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Gilets Jaunes : des cahiers de doléances aux mesures concrètes

Par Lucas Battin (13 décembre 2018)
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Le mouvement des Gilets Jaunes est riche à bien des égards. Une large partie de la population parmi laquelle une forte proportion d’exploité·e·s se mobilise contre la politique de Macron et de son gouvernement. Mais le mal est plus profond que la seule tête de Macron, il s’agit d’une mobilisation large contre l’injustice sociale qui fait qu’une majorité peine à boucler les fins de mois (ou même simplement à les commencer), alors qu’une poignée s’enrichit et vit bien grassement. Des revendications très variées ont vu le jour dans des cahiers de doléances, et sauf quelques exceptions racistes et xénophobes extrêmement problématiques, ces revendications sont progressistes et essaient de limiter les abus des gens de pouvoir, de limiter la déconnexion entre les institutions du pouvoir et la vie des moins favorisé·e·s, de limiter les injustices, et d’améliorer la démocratie.

Ce mouvement est riche aussi car il bouscule les organisations syndicales. Que ça soit à la base, où les militant·e·s ont été surpris·e·s, quelquefois méfiant·e·s, mais qui rapidement et dans de nombreux endroits ont rejoint le mouvement, ou que ce soit au sommet des organisations, dans leurs directions confédérales, où les dirigeants, qui sont tellement intégrés à l’appareil d’État, voient ce mouvement comme un danger. Les directions syndicales, et notamment la CGT, sous couvert d’appel à la grève le 14 décembre, refusent de rejoindre le mouvement des Gilets Jaunes, et font en sorte de tuer ce qui pourrait se transformer en une convergence du mouvement organisé (syndical et politique) et celui des gilets jaunes (qui échappe à tout contrôle des bureaucraties syndicales).

Une plateforme nationale ?

Tout le monde s’accorde à dire que le mouvement des gilets jaunes est hétérogène, multiple, polymorphe. C’est vrai : les réalités, d’une région à l’autre, d’un rond-point à un autre, sont variées. Mais, s’il faut s’opposer aux prises de position réactionnaires et racistes, il est clair que les vécus, les ras-le-bols, les colères, les rages, et ce qui en découle : les aspirations à plus de justice, et moins d’injustice sociale sont largement partagées.

Un gilet jaune, dans une vidéo sur Youtube reprend la formule de Coluche : «la dictature c’est « ferme ta gueule », la démocratie, c’est « cause toujours » ! ». Nous pouvons constater tous les jours que dans cette sacro-sainte république, la démocratie est un vain mot. En dehors des périodes électorales, où viennent s’agiter devant nous des personnes peu recommandables, déconnectées du monde réel de la majorité, et qui viennent faire des promesses que plus personne ne croient, en dehors de ces périodes-là, nous sommes privé·e·s de toute possibilité de nous investir dans les choix politiques qui sont faits. Qui a déjà réussi à vraiment faire remonter quelque chose via son/sa député·e ? Comment peut-on arriver, par les institutions, à changer quelque chose dans le fonctionnement du pays ? Les gigantesques taux d’abstention aux différentes élections sont la preuve que tout cela dysfonctionne.

On voit fleurir des idées de fonctionnement démocratique différent, on voit que le tirage au sort se discute ou bien encore l’idée du referendum d’initiative citoyenne1. Si ce dernier est une revendication saine qui vient contrebalancer l’exclusion démocratique dont nous sommes victimes, nous pensons qu’elle n’est pas suffisante. Le referendum d’initiative citoyenne ne remet pas en cause la structure de notre État, la structure gouvernementale. En effet, même avec des outils comme celui-ci, si la structure représentative reste la même, c’est-à-dire que nous élisons des hommes et femmes professionnel·le·s de la politique pour nous représenter, à part dans de rares occasions d’initiative populaire, ce sont ces mêmes personnes, professionnel·le·s qui décideront 99 % du temps. Ces professionnels de la politique ne sont pas n’importe qui : à de très rares exceptions, ils font partie de la classe dominante ou des sommets de la petite-bourgeoisie qui lui lèche les bottes (hauts fonctionnaires, avocats, start-uppers…). Ils ont le temps, le capital culturel et la « légitimité » (donnée par les médias dominants) pour monopoliser les postes d’élus et nous faire croire qu’ils sont plus compétents. En réalité ils sont surtout compétents pour défendre leurs intérêts et les faire passer pour l’intérêt général. Et une fois à l’assemblée ou dans les cabinets ministériels, ils fréquentent au quotidien des patrons et des rentiers. Le lobbying outrancier n’est que la partie émergée de l’iceberg : ce petit monde partage simplement la même vision du monde, celle où la seule politique économique possible est celle de Macron.

Pour arriver à se faire entendre, il n’y a pas à tergiverser : il faut que le gouvernement se sente obligé de nous écouter. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de structurer démocratiquement, et sans récupération, le mouvement. Pour cela, à l’image de ce qui se fait chez les gilets jaunes de Commercy en Meuse, nous proposons à tout·e·s celles et ceux qui sont engagé·e·s dans ces mobilisations de constituer partout des comités permettant de débattre, et de définir des revendications, de désigner et de contrôler des porte-parole, et de structurer le mouvement à l’échelle départementale et régionale et pourquoi pas nationalement !

Ces comités seront aussi des instruments pour aider à faire grossir ce mouvement, de le rendre encore plus participatif, et de permettre le débat politique sain, sans aspiration à la logique politicienne, et permettre la prise de décision collective, et de cultiver cette intelligence et cette force collective.

C’est cela la vraie démocratie, celle où nous où nous participons tou·te·s, celle où nous débattons et décidons collectivement, et où nous mandatons des délégué·e·s parmi nous pour nous représenter en leur demandant des comptes. Dans le jargon de l’extrême gauche, c’est ce qu’on appelle l’auto-organisation, et c’est la base de la construction d’une autre société, ce à quoi nous aspirons.

Et la question de la grève ?

À la Tendance Claire et au NPA, nous faisons l’analyse que ce qui cause la déconnexion entre les dirigeants du pays et les plus exploité·e·s, c’est le système économique. Celui-ci se base sur les exploité·e·s, des salarié·e·s dans les entreprises qui travaillent et produisent, et dont la production est partagée entre leur salaire et le profit des patrons des entreprises. Preuve en est des milliards de profits générés par les grandes entreprises, alors que les salarié·e·s les moins favorisé·e·s peinent à boucler les fins de mois. La crise économique de 2008, comme d’autres précédentes, fait que la concurrence entre les capitalistes, les grands patrons, se fait de plus en plus rude, et que pour que leur business survive, il faut encore plus exploiter les salarié·e·s.

Macron et son gouvernement gouvernent clairement pour ces gens là, pour ces capitalistes : les lois travail, CAP 2022, etc., les mesures sont là pour affaiblir les résistances à l’exploitation du monde du travail (les acquis sociaux obtenus par des luttes passées), les mesures sont là aussi pour désengager l’État de tout un tas de services et les ouvrir aux capitalistes pour qu’ils puissent générer du profit (service public du transport, service public hospitalier, etc. les exemples ne manquent pas malheureusement…).

Fort de cette analyse, la conséquence est claire pour nous : pour accentuer encore plus le rapport de force qui s’installe en France grâce aux Gilets Jaunes et qui fait peur au gouvernement et au patronat, il nous semble nécessaire que ce mouvement s’étende aux entreprises, pour construire la grève générale qui bloquera l’économie. Grâce aux Gilets Jaunes, le gouvernement est sonné, il faut maintenant le mettre KO !!

C’est pour cela que nous militant·e·s du NPA et de la Tendance Claire, nous nous efforçons de lutter dans nos syndicats pour que ceux-ci construisent la grève partout où cela est possible. Nous nous efforçons à ce que les directions de nos syndicats, et des confédérations comme la CGT, soutiennent enfin le mouvement des Gilets Jaunes, entrent réellement dans la bataille en donnant un signal fort d’appel à la grève générale dans tout le pays et permettent au monde du travail organisé, syndiqué, de se lancer plus facilement dans cette bataille d’ampleur pour faire échouer ce gouvernement et enfin obtenir des avancées sociales.

La grève nous donnera aussi le temps de construire des comités, de discuter des revendications, des maux de notre société et des solutions que nous pouvons y apporter. La grève donne aussi le temps des rencontres entre lieux de travail, entre rond-points, entre quartiers, et entre villes. Cela nous permettra de structurer le mouvement démocratiquement, par et pour les gilets jaunes !

Un mouvement qui peut tout changer !

Si ce mouvement prend encore plus d’ampleur, devient largement majoritaire et s’étend aux lieux de travail et dans les quartiers, ce à quoi nous nous attelons, alors il peut tout changer. Cette rage, cette colère contre l’absurdité, l’injustice de notre société peut se transformer en un élan de renouveau profond.

Par sa structure démocratique auto-gestionnaire potentielle, sa structure sous forme de comités locaux qui mandatent et peuvent révoquer leurs représentant·e·s, par cette structure-là, le mouvement peut constituer les bases d’une société différente, où les choix sociétaux sont faits par la majorité et pour la majorité.

Ensuite par la grève, nous pourrons prendre conscience collectivement que sans les exploité·e·s, celles et ceux qui travaillent sans cessent, et qui produisent pour qu’une minoritaire d’exploiteurs, de capitalistes et d’actionnaires s’enrichissent, sans le travail de ces exploité·e·s alors, la société capitaliste s’écroule. Si nous avons conscience de ça, si nous l’expérimentons par exemple par la grève générale qui bloquera le pays, alors nous pourrons changer les règles du jeu.

Une entreprise quelle qu’elle soit, peut fonctionner très bien sans hiérarchie et sans patron, les exemples de SCOP, etc. sont une preuve de cela. Pourquoi alors, ne serait-il pas possible de décider collectivement, et démocratiquement là encore, de ce que nous produisons et de pourquoi nous le produisons. Pourquoi les règles qui permettent de décider ce qui est produit sont forcément la rentabilité et pas plutôt les besoins des gens, des travailleurs et des travailleuses ?

Si nous, les exploité·e·s, pour notre mobilisation et notre force ultra majoritaire, nous reprenons la production, nous exproprions les grands patrons, nous récupérons enfin tout ce que nous produisons, alors il n’y aura plus besoin de ces capitalistes et de leurs gouvernements. Nous pourrons alors prendre les choses en main, par la structure démocratique auto-gestionnaire, et nous pourrons mettre en place ce qu’à l’extrême gauche, nous appelons le gouvernement des travailleurs et des travailleuses. Rien de comparable à l’actuel gouvernement non ! Mais un gouvernement élu, réellement élu, mandaté, et qui doit rendre les comptes. Un gouvernement qui mène une politique pour l’intérêt des gens, pour satisfaire les besoins de vie, de loisir, et de travail, et pas ceux du profit des possédants.

Un tel changement, véritablement révolutionnaire, résoudrait à la racine le dysfonctionnement démocratique que nous constatons tou·te·s. Finis les parasites capitalistes qui détourent toute la richesse et finie la caste de politiciens professionnels à leur service. Finie l’exploitation au travail qui nous empêche de faire de la politique (la vraie) par nous-mêmes par manque de temps de cerveau disponible.

Évidemment, nous n’avons pas toutes les réponses de ce à quoi pourrait ressembler une autre société, mais l’histoire et les élaborations des Zadistes, des entreprises autogérées, des mouvements lycéens et étudiants, nous montre qu’il est possible de faire autrement.

C’est pour cela que dans le mouvement des Gilets Jaunes, nous y défendons la perspective de ce qu’on appelle la révolution socialiste ! Alors construisons là ensemble !

1Referendum qui existe en Suisse et aux USA, et qui permet, si une proposition recueille un certain nombre de soutiens de la population de lancer un referendum national.

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