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Lien publiée le 23 octobre 2014

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DANS LA PETITE COUR

Par Daniel Schneidermann le 23/10/2014 - 09h15 - le neuf-quinze

Le matin, pour commencer, c'est Benoît qui a expliqué sur une radio que Manuel et François étaient nuls, et même s'ils continuaient comme ça ils menaçaient la République. Ca n'a pas plu à Stéphane, qui a répondu sur une autre radio que le mois dernier, Benoît disait tout le contraire, il s'en souvenait. Si c'était comme ça, Benoit n'avait qu'à quitter la bande. C'est vrai, quoi. Il faut être cohérent, il a dit Stéphane, la République quand même c'est grave. Aurélie, qui était aussi sur une radio, s'est fâchée tout rouge. Depuis la rentrée, elle forme une petite bande, avec Arnaud et Benoît. Elle a dit qu'elle n'avait aucune leçon à recevoir de Stéphane, mais alors aucune, et qu'on avait bien le droit de critiquer, on fait ce qu'on veut, on est grands.

Stéphane n'a pas eu le temps de répondre. Il devait aller voir Manuel et François, justement, qui faisaient une fête avec toute la bande. François mettait une sorte de ruban bleu à Manuel, ils étaient tous drôlement contents. Il en a profité pour critiquer un peu Manuel, en expliquant qu'il aimait bien la bagarre, ce qui était bien, mais qu'il fallait de temps en temps faire la paix, aussi. François rigolait bien. Il faut dire qu'il rigole toujours, même quand tout le monde le critique. Manuel, lui, avait un drôle de sourire. On ne savait pas vraiment ce qu'il pensait, surtout quand François lui a dit qu'on pouvait être très heureux sans être président, ce qui a fait rigoler tout le monde.

Il faut dire que Manuel venait de chercher la bagarre avec Martine, dans un journal. Il l'avait critiquée, comme quoi elle était vieille, archaïque, du passé, et qu'elle avait un "surmoi marxiste". Le "surmoi marxiste", c'est nouveau, comme insulte. Avant, dans la bande, ils se traitaient de "social démocrate". Le surmoi marxiste, c'est aussi méchant, mais dans l'autre sens, si vous voyez. Parce que Martine venait elle-même de critiquer Manuel dans une autre journal, comme Benoît : François et Manuel avaient tout faux, ils allaient à la catastrophe de la République. C'est comme ça qu'ils se parlent, d'une radio à une radio, d'un journal à un journal. Quand ils ne sont pas contents, ils se critiquent dans un journal, l'autre répond, et c'est parti pour la bagarre. Ils ne disent même pas les noms de ceux qu'ils critiquent, mais comme ils ont l'habitude, ils se reconnaissent.

Après la fête du ruban, François est allé dans un incubateur. Il a posé une pierre qui n'était pas vraiment une pierre, avec une drôle de forme. Il était avec Anne et Fleur. Un incubateur, personne ne sait vraiment ce que c'est, surtout pas François qui n'a pas d'ordinateur dans son bureau, on l'a vu un jour sur une photo, mais ce sera le plus grand du monde, ça tout le monde l'a compris. François a dit qu'il fallait aller très vite. De toutes manières, personne ne critique, parce que c'est une idée de Xavier, qui n'est pas de la bande, et surtout qui est très riche. Beaucoup plus riche que François, Martine, Benoit, Aurélie, Stéphane, Manuel, Anne, Fleur, et tous les autres, même si on additionne tout ce qu'ils ont, vraiment tout.

Il rit tout le temps, Xavier. Il est toujours content. Comme il n'a pas de bande, il ne critique jamais personne. Du coup, personne ne le critique. C'est peut-être aussi parce qu'il possède tous les journaux où les autres se critiquent, ce qui est bien pratique. Quand un journal pourrait le critiquer, il l'achète, et tout le monde est content. Le soir, après la fête de l'incubateur, il répondait à Natacha, qui lui demandait pourquoi il était toujours content comme ça, alors que les enfants n'apprennent plus rien à l'école, quand même. Il disait qu'il était d'accord, mais que ce n'était pas de sa faute, c'est pour ça qu'il fait des incubateurs avec son argent. Il était aussi d'accord avec Manuel. Ca tombait bien, parce qu'il était le propriétaire du journal où Manuel avait critiqué Martine. Lui, il ne critique jamais, mais il est quand même content que les autres se critiquent dans ses journaux, il ne critique même pas ceux qui critiquent. Il a dit aussi qu'on vivait dans un beau pays, c'est vrai quoi, un pays avec plein de musées qui se créent tous les jours, et des incubateurs, il ne faut pas exagérer, quand même.