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Règlement de comptes à l’UMP
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) L'ex-premier ministre souhaitait que la présidence de la République accélère les enquêtes visant son rival
Les propos de M. Jouyet, recueillis le samedi 20 septembre en fin de matinée, dans un petit salon de l'Elysée, révèlent d'abord que le repas du 24 juin, dans un restaurant du 8e arrondissement de Paris, avait été organisé à la demande de M. Fillon – contrairement à ce qu'assure ce dernier – par un ami commun aux deux hommes, Antoine Gosset-Grainville, ancien directeur adjoint du cabinet de M. Fillon à Matignon.
M. Fillon et M. Jouyet se connaissent et s'apprécient de longue date. Ami intime de François Hollande, M. Jouyet avait accepté, après l'élection de Nicolas Sarkozy, de devenir secrétaire d'Etat aux affaires européennes du premier gouvernement Fillon, poste qu'il quitta en décembre 2008. Au moment où les deux hommes se rencontrent, M. Fillon a pris la tête de l'UMP aux côtés de Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, et ce après que M. Copé a été contraint de quitter son poste de secrétaire général sous la pression de l'affaire Bygmalion.
" J'ai déjeuné avec Fillon le 24 juin, nous assurait ainsi M. Jouyet. J'ai de bonnes relations avec Fillon, puis surtout, j'ai travaillé très étroitement avec Gosset-Grainville, qui est un ami proche ", a précisé d'emblée M. Jouyet. Avant d'indiquer : " J'ai dit au Président - François Hollande - " Est-ce que je vais voir Fillon, puisque Antoine m'a dit : " François Fillon serait content de te voir " ? ".Il - M. Hollande - m'a dit : " Bien sûr, - mais - faut pas que ce soit à l'Elysée ". Très bien, donc on est allés dans un restaurant à côté, et j'étais avec Antoine et Fillon ".
" Faute personnelle "
Après avoir évoqué la véhémence des propos de M. Fillon à l'endroit de M. Sarkozy lors de ce déjeuner, M. Jouyet a ajouté : " Où Fillon a été le plus dur, vraiment le plus dur, c'est sur le remboursement que Sarkozy avait demandé des pénalités pour le dépassement des frais de campagne. Fillon m'a dit, texto : " Jean-Pierre, c'est de l'abus de bien social. C'est une faute personnelle. Il n'y avait rien à demander à l'UMP, de payer tout ça ". Il était extrêmement clair. Je lui ai dit : " Vous pensez que c'est partagé par Raffarin et Juppé ? ". Il m'a dit : " Bien sûr. Juppé le sait et Raffarin le sait " (…) Je lui ai dit : " Dans quel état vous avez trouvé l'UMP ? ". Il me dit : " Il n'y avait aucune trace, ni de factures, ni de ce qui était dépensé, ni de rien du tout… Donc on était incapables de faire une comptabilité. " ".
Ce premier élément de la conversation est crucial : ce 24 juin, le trio d'anciens premiers ministres s'apprête en effet à dénoncer devant la justice le fait que M. Sarkozy ait demandé et obtenu - contre le code électoral - que l'UMP s'acquitte à sa place, fin 2013, des sanctions financières (363 615 euros) liées au dépassement de ses comptes de campagne 2012. Une affaire qui fait l'objet depuis le 6 octobre d'une information judiciaire pour " abus de confiance ", mais qui aurait pu valoir à M. Sarkozy une citation directe en correctionnelle, tant les faits semblaient établis. Le parquet de Paris, sur lequel l'exécutif a autorité aurait pu le décider. M. Fillon sait tout cela, ce 24 juin.
A la question : " Il ne s'est pas interrogé devant vous devant la lenteur de la justice par rapport à tout ça ? ", M. Jouyet nous a alors répondu : " Mais si ! En gros, son discours c'était de dire : " Mais tapez vite ! Tapez vite ! ". J'ai dit à Gosset-Grainville : " Vois plutôt Sylvie Hubac - directrice du cabinet de François Hollande - . Moi on me dit qu'on ne peut pas aller plus vite et que c'est la justice qui instruit normalement les procédures ".
M. Jouyet poursuit, à propos de M. Fillon : " Et puis il me dit : " Mais Jean-Pierre, t'as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir ? ". Alors moi, je reviens voir le président, je lui dis : voilà ce qu'a dit Fillon, c'était très intéressant, tout le machin… Puis je lui dis : " Ce qu'il demande, c'est taper vite ". Il me dit : " Oui mais, taper vite, comment ? On peut pas, c'est la justice ". Je lui dis : " Je te le fais pas dire, c'est ce que je lui ai dit - à Fillon - ".
" La justice est indépendante "
On demande ensuite à M. Jouyet s'il a le sentiment que M. Fillon était dans la provocation ou si il pensait que François Hollande avait la possibilité d'accélérer les enquêtes visant M. Sarkozy. " Moi je pense qu'il y avait les deux, répond-il. Un, il voulait me faire passer vraiment le message : il était très choqué de ce qu'il avait vu. Et je connais Fillon, il n'aime pas Sarkozy, mais enfin, je ne l'ai jamais vu quand même balancer sur des affaires. Là il était quand même très choqué de ce qu'il voyait, très choqué de Bygmalion (…) et très choqué de cette affaire de pénalités. Et après, la deuxième partie du déjeuner, c'était pour me faire passer : " Mais agissez ! Agissez ! Faites le truc ". Mais je lui dis : " Quoi ? La justice est indépendante ". Il pense toujours, et tout le monde pense, je vous parle très franchement, que l'Elysée a toujours une main invisible sur la justice (…) Mais là ce n'est plus le cas, je n'y peux rien ! Même les trucs de Sarkozy… C'est un grand progrès de la démocratie. Moi maintenant je vois comment les choses se passent à l'Elysée ".
Un élément plutôt à porter au crédit du camp Hollande, accusé par les sarkozystes d'avoir créé un " cabinet noir " permettant d'instrumentaliser la justice. Depuis le début de son mandat, François Hollande affirme que la justice est indépendante, et que l'exécutif n'intervient jamais sur les procédures en cours. D'ailleurs, un peu plus tard au cours de l'entretien, M. Jouyet revient sur les propos de M. Fillon au cours du déjeuner du 24 juin : " Quand Fillon m'a dit ça, j'ai dit, tiens, oui, on pourrait peut-être simplement signaler le machin… Mais François - Hollande - m'a dit : " Non, non, on ne s'en occupe pas " ".
Puis M. Jouyet a de nouveau cité des propos que lui aurait tenus M. Fillon sur l'affaire des pénalités : " " Là, c'est pas Copé, c'est pas Bygmalion ". Il m'a dit : " Là, c'est lui - Nicolas Sarkozy - . C'est un truc personnel que tu fais prendre en charge par l'UMP. "Relancé une nouvelle fois sur les propos exacts de M. Fillon, M. Jouyet a répété : " Il m'a dit : " Faut aller vite ", ça je me souviens. " Faut aller vite " (…) Pour lui casser les pattes avant " - sous-entendu, avant le retour annoncé de M. Sarkozy, alors annoncé comme imminent - .
Sollicité vendredi, M. Fillon a confirmé son démenti, dans les mêmes termes. M. Jouyet n'a pas souhaité s'exprimer.
Gérard Davet et, Fabrice Lhomme