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    L’enquête et les rumeurs de Joué-lès-Tours

    Lien publiée le 31 décembre 2014

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde du 1er janvier) La mort de " Bilal ", le 20  décembre, après avoir agressé au couteau des policiers, alimente tous les fantasmes

    Enveloppé dans son long manteau noir, Vénérand Nzohabonayo, catholique pratiquant et ancien dignitaire burundais, aujourd'hui réfugié politique au chômage, prend la pelle et jette un peu de terre sur le cercueil de son fils, Bertrand Nzohabobayo, qui se faisait appeler Bilal depuis sa conversion à l'islam. L'imam prononce une prière. Le vent siffle entre les tombes. Les discussions reprennent à voix basse. En boucle, sur les rumeurs de la ville, dix jours après la mort du jeune homme de 20 ans, tué devant le commissariat après avoir agressé des policiers avec un couteau de cuisine.

    La rumeur d'une vengeance

    du " cow-boy "

    La défiance envers la police est telle qu'une version alternative a émergé dès le soir du drame : Bertrand aurait " pété les plombs " en " réponse " à une énième brimade policière. Certains vont jusqu'à s'identifier à son " coup de sang " et confessent avoir déjà " fantasmé " de s'attaquer au commissariat pour se venger d'une " humiliation ".

    Cette rumeur qui a envahi la ville se cristallise autour d'une  figure du commissariat, défavorablement connue des habitants : Loïc V., dit " le cow-boy ". Ce fonctionnaire de police a été condamné à une amende pour avoir " gazé " à bout portant un couple d'origine congolaise en août  2013. La veille de la mort de Bertrand, il s'est fait " tabasser " par deux jeunes pendant son jogging. Pour les habitants de Joué, cela ne fait aucun doute : les deux affaires sont liées.La Nouvelle République a annoncé mardi soir que le policier était en passe d'être muté à Tours.

    Le lien entre ces deux événements est pourtant à ce jour impossible à établir. Pour les uns, Loïc V. aurait, le jour de son agression, " savaté " Bilal, qu'il aurait pris à tort pour un de ses assaillants, dans un snack, le McKebab. Le patron de l'établissement affirme, lui, qu'il n'en est rien. Pour les jeunes, ce silence est le signe de " l'omerta " qui règne sur la ville : " Ils se taisent parce qu'ils ont peur. " Le cercle vicieux de la défiance se referme sur lui-même, et conforte la rumeur.

    Cette hypothèse est d'autant plus mal fondée que, la veille du drame, Bertrand Nzohabonayo était à Paris. Il n'est rentré à Joué-lès-Tours qu'en fin de matinée le samedi, pour aller déjeuner chez sa sœur. Il a quitté l'appartement vers 13 h 30, une demi-heure avant sa mort, en emportant un couteau de cuisine de 35  cm.

    La théorie la plus partagée voudrait que Bilal ait été interpellé après cette visite chez sa sœur tandis qu'il cheminait vers le KB, un kebab situé à quelques mètres du commissariat. Les policiers auraient tenté de lui soutirer des informations sur les auteurs de l'agression de la veille. Mais aucun témoin direct de cette " interpellation " ne s'est jamais fait connaître. Les habitants, relayés par les médias, réclament les images de la vidéosurveillance du commissariat. Il suffit d'y pénétrer pour constater qu'aucune caméra ne filme l'accès au bâtiment.

    Le témoin et les doutes

    sur le cri de Bilal

    La rumeur d'une " interpellation ", démentie par les services d'enquête, repose sur le témoignage d'un jeune du quartier, S., filmé à visage découvert le soir du drame par l'AFP et que Le Monde a rencontré :

    " Je passais devant le commissariat quand j'ai entendu une policière dire “Calmez-vous, monsieur”, explique le témoin. J'ai tourné la tête et j'ai vu deux policiers encadrer un jeune homme devant le sas, dans lequel se trouvait la policière, pour le faire entrer. A ce moment, il a hurlé Aaaaah… et il y a eu une empoignade. J'ai vu un policier tomber au sol avec du sang qui giclait de la gorge. J'ai aperçu une lame briller. Un deuxième policier avait l'oreille entaillée. Les deux policiers blessés sont sortis du sas. J'ai alors entendu un coup de feu. Puis deux autres. Le jeune homme était à terre dans le sas. Ses jambes dépassaient par la porte et tremblaient. Puis j'ai entendu le quatrième coup de feu. "

    S., qui doit bientôt être entendu par les enquêteurs, est l'un des rares témoins extérieurs au commissariat. Il apporte un élément intéressant sur le cri poussé par Bilal. Deux témoins – un des policiers blessés et un civil venu porter plainte ce jour-là – affirment l'avoir entendu crier "Allah Akbar ! " S.  est formel : il n'a entendu qu'un long hurlement de rage. C'est pourtant en grande partie sur ce cri que se sont fondées les autorités pour qualifier l'attaque de terroriste. Autre question soulevée par le récit du témoin : pourquoi les policiers auraient-ils escorté dans le sas un agresseur armé, au lieu de le neutraliser dehors ?

    Les éléments concrets

    de l'enquête de police

    Le témoignage de S. ne permet pas de valider la rumeur d'une interpellation, pas plus qu'il ne renseigne sur le départ de l'agression. Il faut pour cela s'en remettre aux déclarations concordantes des quatre policiers impliqués dans le drame, d'un autre fonctionnaire de police présent dans le commissariat, et du simple particulier qui portait plainte. Tous ont été entendus séparément. Ils affirment que Bertrand s'est présenté " seul " devant le sas vers 14  heures et a violemment secoué la porte. Un agent de sécurité se serait alors approché pour lui ouvrir, et aurait reçu un premier coup de couteau.

    Deux policiers, un homme et une femme, se seraient alors précipités pour maîtriser l'agresseur. Les récits livrés par la section antiterroriste du parquet de Paris et celui de Tours ne font pas mention d'une tentative pour le faire entrer dans le commissariat, comme l'évoque S. Selon les constatations médicales, Bilal a blessé l'agent de sécurité à la main, à la gorge et au crâne, un deuxième policier à la joue et à la main, et la policière au front.

    Il a été lui-même touché par trois tirs provenant de l'agent de sécurité avec lequel il se battait dans le sas : une balle l'a atteint à la main, une autre lui a effleuré l'épaule, la dernière, tirée de bas en haut, lui a traversé le poumon par l'abdomen. L'analyse balistique conforte les déclarations de l'agent de sécurité qui a déclaré être au sol au moment où il a fait feu. Trois cartouches, correspondant à ces tirs, ont été retrouvées dans le sas.

    L'agent de sécurité, étendu dans le sas, bloquait la porte d'accès au hall du commissariat. C'est alors qu'il se débattait au sol avec son agresseur, qui aurait tenté de lui arracher son arme, qu'un quatrième policier, une femme, dit avoir fait feu par l'entrebâillement de la porte. La quatrième douille a en effet été retrouvée à l'intérieur du commissariat. Ce dernier tir, mortel, a traversé la poitrine de Bilal de haut en bas.

    Pendant la rixe, un des policiers blessés s'est traîné hors du sas pour s'allonger sur l'escalier devant le commissariat, dans une mare de sang. Ce point est essentiel. Ces derniers jours circule sur Twitter et dans certains médias une photo censée représenter Bertrand " gisant sur les marches ", qui nourrit la thèse d'une interpellation tragique à l'extérieur du commissariat.

    Or, comme l'affirme S., confirmant ainsi les éléments de l'enquête, l'homme qui est étendu sur les marches est un policier blessé qui " pissait le sang ". Le procureur de Tours, Jean-Luc Beck, devait tenir mercredi matin un point presse pour " couper court aux rumeurs ", à partir d'éléments établis par l'enquête, qui ne viennent en rien étayer les rumeurs.

    Le profil de Bilal, qui ne passait pas pour un islamiste

    Personne, à Joué-lès-Tours, ne décrit Bilal comme un islamiste. S'il avait cessé de boire et de fumer depuis sa conversion à l'islam, il rejoignait volontiers ses amis réunis autour d'une bière au Victor Hugo. Deux jours avant sa mort, le jeune homme avait pourtant dressé le drapeau de l'Etat islamique sur son profil Facebook.

    Mais une de ses dernières " activités récentes " sur Facebook est d'avoir " aimé " une page intitulée " Etat Islamique d'Irak : pas en mon nom ". Une ultime contradiction qui ajoute au mystère de ce dossier et a fondé mardi soir l'avocat de sa famille, Me Jérémie Assous, à réclamer des " éléments objectifs " étayant la nature terroriste de l'attaque.

    Soren Seelow