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Joué-lès-Tours... et le procureur ne mit pas fin aux rumeurs
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/31/joue-les-tours-procureur-mit-fin-rumeurs-256842
Le 20 décembre dernier, Bertrand Nzohabonayo (qui se faisait aussi appeler Bilal) agresse au couteau des policiers au commissariat de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) avant d’être abattu.
Très vite, la version officielle semble claire : l’homme, qui avait affiché sur son compte Facebook le drapeau de l’Etat islamique, s’est présenté de lui-même au commissariat et a attaqué les forces de l’ordre en criant « Allahu Akbar » (« Dieu est grand » en arabe). L’attaque terroriste fait très peu de doutes.
Sauf qu’après plusieurs enquêtes (de Mediapart, de France 3 et du Point notamment), la version officielle apparaît beaucoup moins solide. Des témoins mettent en doute certains éléments mis en avant par le parquet de Tours et par de mystérieuses sources « proches de l’enquête ».
« Des rumeurs circulent dans tous les sens »
Ce mercredi, le parquet a donc décidé, en raison « des rumeurs qui circulent dans tous les sens » et qui « inquiètent la famille », d’organiser une conférence de presse au tribunal. Le procureur Jean-Luc Beck expliquait son objectif :
« Il s’agit d’un point presse intermédiaire pour couper court aux rumeurs qui mettent en cause le fait qu’il [Bertrand Nzohabonayo] ait été tué dans des circonstances de légitime défense. »
Problème : après cette prise de parole, de nombreux éléments restent toujours en suspens.
1
Un acte prémédité...
... pas formellement avéré
Dans Le Point (article payant), le cabinet de Bernard Cazeneuve est formel et assure que « le jeune Bilal s’est rendu à l’antenne de police de sa propre initiative afin de s’en prendre aux forces de l’ordre ».
De nombreux témoins prétendent pourtant l’inverse. Un homme interrogé quelques heures après l’agression témoigne ainsi à l’AFP :
« J’ai vu les quatre policiers prendre le monsieur pour le rentrer à l’intérieur, ils lui ont dit calmez-vous et le monsieur il a commencé à crier. »
Ghyslain Vedeux, responsable du conseil représentatif des associations noires d’Indre-et-Loire (CRAN), interrogé par Mediapart (article payant) et également contacté par Rue89, émet une nouvelle hypothèse.
Selon lui, Bertrand Nzohabonayo aurait été interpellé par la police avant l’agression, à propos d’une altercation ayant eu lieu la veille entre un policier et des jeunes de la ville. Il assure :
« Les témoins sont formels, c’est bien l’équipe du gardien de la paix impliqué dans l’altercation la veille qui a interpellé Bertrand le lendemain. »
Il aurait ainsi été amené de force au commissariat et serait « devenu fou de rage » avant de commettre son crime. Sans mentionner clairement cette hypothèse, le procureur a maintenu sa version initiale :
Il s’est rendu spontanément seul à l’entrée du commissariat dont il a secoué la porte avant qu’un adjoint de sécurité ne vienne lui ouvrir et le fasse pénétrer dans le sas d’entrée [...] Il ne faisait l’objet d’aucune procédure ou convocation au moment des faits. [...] L’ensemble des faits se passe à l’intérieur du sas et ceci jusqu’à preuve du contraire. »
« Je fais un appel à témoins »
Le procureur, qui distingue de manière étonnante les témoignages des simples rumeurs (qui proviennent pourtant d’autres témoins), a toutefois lancé un appel qui nuance ses certitudes :
« Je fais un appel à témoins parce que je trouve assez déplorable qu’un certain nombre de témoignages plus ou moins anonymes ne soient pas portés à la connaissance des autorités, mais soient colportés à gauche et à droite. Je pense que c’est déplorable dans la mesure où cela soulève un tas d’interrogations auprès de la famille. »
2
Des caméras inexistantes...
...mais des analyses en cours
Pour savoir si Bertrand a été interpellé avant d’être emmené au commissariat, ou s’il avait prémédité son acte, sa famille a donc exigé l’analyse de la vidéosurveillance.
Contacté par Rue89, le cabinet du maire de Joué-lès-Tours a refusé de nous confirmer la présence ou non de caméras devant le commissariat :
« Je ne peux rien vous communiquer là-dessus. Nous avons reçu des consignes, je ne dirai rien de plus. »
Grâce à Google Street, il est facile de s’apercevoir que la façade du commissariat n’est pas munie d’un système de vidéosurveillance.
Capture de la devanture du commissariat/ Google Street
Et selon un journaliste du Monde (article payant), « aucune caméra [dans le sas] ne filme l’accès au bâtiment ».
Mais les autorités ont beau être certaines que les caméras ne pourront pas parler, le procureur a toutefois annoncé ce mercredi que l’analyse de la vidéosurveillance des commerces aux alentours était... encore en cours.
3
Une attaque terroriste...
...toujours pas confirmée
L’essentiel des doutes émis depuis cette attaque du 20 décembre porte principalement sur un élément : Bertrand Nzohabonayo était-il un terroriste ? Si Le Figaro l’a annoncé le jour du drame avec certitude, cette théorie est loin de faire l’unanimité.
D’abord parce que contrairement à la version des policiers, plusieurs témoinsprésents sur les lieux ont assuré le contraire. S., un jeune du quartier, confirme sa version au Monde ce mercredi :
« Je passais devant le commissariat quand j’ai entendu une policière dire “Calmez-vous, monsieur”. J’ai tourné la tête et j’ai vu deux policiers encadrer un jeune homme devant le sas, dans lequel se trouvait la policière, pour le faire entrer. A ce moment, il a hurlé “Aaaaah…”
Ce cri religieux paraît pourtant être l’élément principal de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire.
L’Etat islamique d’Irak : “Pas en mon nom”
Pour étayer cette hypothèse, de nombreux médias ont scruté la page Facebook de Bertrand Nzohabonayo avant sa fermeture et ont constaté la photo du drapeau de l’organisation de l’Etat islamique publiée deux jours avant l’attaque.
Mais cet élément souffre aussi de quelques fragilités. L’avocat de la famille, Jérémie Assous, assure que l’agresseur présenté comme un islamiste avait également “ liké ” une page intitulée “ Etat Islamique d’Irak : pas en mon nom ”. Ce que nous avons en effet pu constater sur la vidéo YouTube de sa page Facebook encore disponible aujourd’hui.
Capture de la page Facebook de Bilal Nzohabonayo
Là encore, le procureur Jean-Luc Beck n’a levé aucun doute puisqu’il a mis en avant l’enquête de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire pour “ne faire aucun commentaire” sur cet aspect.
Après cette intervention, qui n’a pas vraiment “dissipé les rumeurs” autour de cette attaque, Me Assous s’est une nouvelle fois interrogé devant la presse :
“ Comment expliquer que depuis dix jours des personnes témoins des faits, qui ont des explications extrêmement importantes, n’aient toujours pas été entendues ? Aujourd’hui d’après le point presse les seuls éléments qui ont été recueillis vont dans le sens de la version officielle.”
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RÉCIT
Plusieurs témoignages mettent en cause la version rapportée par le commissariat.
La version officielle qui conte, dans le détail, l’agression de quatre policiers par un jeune français musulman d’origine burundaise au commissariat de Joué-lès-Tours ne peut souffrir d’aucune contestation. C’est Jean-Louis Beck, procureur de la République de Tours, qui l’a assuré en cette veille de nouvel an, lors d’une conférence de presse convoquée précipitamment. Le magistrat, agacé, souhaitait«faire un certain nombre de mises au point afin que l’on ne s’égare pas et qu’on ne colporte pas des informations inexactes».
Selon lui, les faits sont les suivants. Samedi 20 décembre, peu avant 14 heures, Bertrand Nzohabonayo, alias Bilal, un homme d’une vingtaine d’années à la barbe fournie et à l’allure sportive se présente au commissariat de Joué-lès-Tours, une commune calme d’Indre-et-Loire posée en périphérie de Tours. Il tambourine à la porte, un policier vient lui ouvrir. Ce dernier est aussitôt agressé de plusieurs coups de couteau au cri «d’Allahou Akbar» [Dieu est le plus grand, en arabe]. Des collègues interviennent dans le sas de sécurité et sont eux aussi agressés de plusieurs coups de couteau, toujours au cri d’Allahou Akbar. Une policière, elle aussi atteinte, finit par l’abattre de plusieurs balles. Décès constaté une demi-heure après le commencement des faits.
Pourtant, depuis cette agression, une autre histoire se trouve relayée par des témoins directs et des proches du jeune homme. Celle-ci assure que Bertrand Nzohabonayo n’a jamais crié Allahou Akbar, version confortée par quatre témoins rencontrés par les différents médias et qu’il ne s’est pas rendu seul au commissariat, mais accompagné par des policiers qui souhaitaient l’entendre dans le cadre d’une agression subie par l’un des policiers locaux la veille au soir. Un témoin a affirmé devant les caméras de l’AFP : «J’ai vu les quatre policiers prendre le monsieur pour le rentrer à l’intérieur, ils lui ont dit : “Calmez-vous!” et le monsieur a commencé à crier “Aaah!” et à se débattre.»
«Effectivement, un policier en repos a eu des incidents alors qu’il faisait un jogging dans la rue», a reconnu le procureur, officialisant la «rumeur» qui courrait depuis plusieurs jours. Mais selon le magistrat, qui vient de lancer un appel à témoins, les deux affaires ne seraient pas liées. Une manière de couper court à toute autre supputation. Ce qui sidère Amal Bentounsi, du collectif «Urgence notre police assassine». «C’est quand même fou qu’on nous parle d’Etat de droit et de justice indépendante et qu’un procureur de la république ne s’en tienne qu’à une seule version.» Selon cette militante, qui a vu tomber son frère sous des balles policières,«tout est organisé pour décourager les potentiels témoins. […] Si le procureur se positionne aussi fermement, les témoins s’interrogeront sur la pertinence de leur propre version», assure-t-elle.
Une difficulté à collecter des témoignages spontanés accrue par l’image du commissariat de Joué-lès-Tours que plusieurs scandales ont entaché, comme cette affaire de harcèlement sexuel ou, plus récemment, celle d’une interpellation filmée qui a tourné à la violence gratuite. Au point que le procureur reconnaisse, gêné: «Je sais bien les mauvaises relations que certains habitants du quartier peuvent avoir avec le commissariat.» Certains habitants rencontrés au lendemain de l’agression ne sont pas tendres avec leur police locale. «Les gars qui sont mutés ici sont ceux dont on ne veut pas à Tours ou Saint-Pierre-des-Corps», avance un acteur social.«Peut-être vivent-ils mal leur situation. En tout cas, ils ne sont pas équipés pour faire face à une difficulté, encore moins lorsqu’il s’agit d’un événement aussi grave.»
Un autre témoin qui travaille régulièrement avec les policiers jocondiens rapporte que l’un d’eux lui a récemment confié qu’ils s’attendaient à ce qu’une «attaque terroriste ou djihadiste» s’abatte sur Joué-lès-Tours. «Ils étaient chauffés à blanc et prêts à dégainer au moindre soupçon». Une situation qui va sans doute conduire un regroupement de collectifs et d’associations à se constituer partie civile. «Un coup de taser ou de tonfa aurait suffi à maîtriser leur agresseur», regrette Amal Bentounsi. «Mais ces gens (les policiers) jouissent d’une parfaite immunité. Tant que l’un d’eux ne sera pas condamné lourdement, ils continueront à se sentir au-dessus des lois.» Les éventuels témoins ont été invités par le parquet de Tours à se tourner vers la direction régionale de la police judiciaire d’Orléans. Loin, très loin de Joué-lès-Tours.
Mourad GUICHARD Orléans, de notre correspondant