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    Copier-coller bâclé à Libération

    Lien publiée le 15 janvier 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.acrimed.org/article4543.html?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter

    Alors que les ventes du journal poursuivent leur dégringolade, que plus d’un tiers des effectifs du quotidien a été licencié, les responsables de Libération n’ont vu qu’un seul coupable : la crise de la presse. Une nouvelle formule est annoncée, avec des maquettes rénovées, le renforcement de Radio-Libé et la reprise des forums. Et si le déclin du journal était simplement dû à la faiblesse de son contenu ? Illustration ici avec un article publié dans la rubrique « Sciences ».

    Le 7 décembre 2014, Laurent Joffrin, de retour aux commandes deLibération, annonçait « de nouveaux outils journalistiques » au service de « l’émancipation de la société française » [1].

    L’usage du copier-coller, les mauvaises traductions et la non-vérification des sources sont-ils ces nouveaux outils ? Une chose est sûre, le choix de reprendre dans la presse étrangère un sujet racoleur en guise d’article scientifique, faute d’émanciper les lecteurs, réduit le journalisme à un travail de manutention de l’information, si loin de « l’exigence », de « l’intelligence » et de « l’inventivité » dont Joffrin se réclame.

    Illustration le 17 décembre 2014, lorsque le journaliste Hugo Pascual publie dans la rubrique « Sciences » de Libération « La tortue à respiration cloacale est menacée d’extinction ». Abordant l’extinction possible de la tortue australienne Elseya Albagula, l’article est le résultat dramatique d’une longue chaîne de copier-coller dans les médias anglophones (un blog du site de la revue Scientific American, repris par USA Today, repris ensuite par le quotidien britanniqueThe Independant, enfin par Libération). En bout de chaîne, le journaliste poursuit à son tour les erreurs de montage, avec de bien mauvaises traductions et des inventions inappropriées.

    Passons sur le fait que le choix de cette tortue qui « respire par le derrière » semble résider avant tout sur son caractère racoleur et sous la ceinture, plus que d’une réelle préoccupation concernant l’extinction des espèces (l’UICN - Union internationale pour la conservation de la nature - et sa liste rouge ne sont par exemple même pas évoqués. D’ailleurs, au vu des intentions de l’auteur et des commentaires des lecteurs, le sujet trouverait davantage sa place dans une rubrique « insolite ». On le découvre pourtant, pêle-mêle, entassé et sur un même plan que l’actualité internationale dans la newsletter quotidienne de Libération.

    Traduction bâclée

    « Quand tout va vite, une seule solution : aller plus vite encore »nous vantait un slogan promotionnel de Libération en 2013 : pragmatique, Hugo Pascual a simplement (mal) traduit le papier deThe Independant du 16 décembre 2014.

    Hélas notre manutentionnaire de l’information ne semble pas avoir de formation scientifique : il a donc laissé une série d’erreurs de traduction flagrantes : 
    - En français on ne dit pas « tortue d’eaux vives » (« freshwater turtle » en anglais), mais « tortues d’eau douce »
    Elseya Albagula n’est pas non plus la plus grande des tortues d’eaux douces d’Australie, mais une des plus grandes (en anglais dans The Independant : « One of Australia’s largest freshwater turtle species »). 
    Ass ne veut pas dire Anus en anglais, mais derrière (anus se dit tout simplement anus en anglais).

    Lorsque plus loin Pascual écrit « Cette tortue respire par son anus »c’est faux, pour ne pas dire absurde ! En fait, la tortue Elseya Albagula respire par son cloaque, une cavité où s’ouvrent l’intestin postérieur, les voies urinaires et génitales. Pour celui qui veut bien s’intéresser à la biologie, le cloaque n’a rien d’original dans le règne animal, il concerne les tortues, les oiseaux, les marsupiaux comme le kangourou... Dans le cas d’Elseya Albagula, l’eau rentre dans son cloaque (ni dans son anus, ni dans ses voies génitales ou urinaires) et des échanges gazeux se déroulent avec les capillaires de la peau de cette cavité.

    Qui l’a compris à la lecture de l’article ?

    Non-vérification des sources

    La tortue Elseya Albagula a avant tout une respiration pulmonaire (on voit d’ailleurs ses narines sur la photo). C’est comme cela qu’elle s’oxygène quand elle vient à la surface. La respiration par son cloaque est secondaire, une respiration « complémentaire » pour dire simplement. Malheureusement tout ceci n’apparaît pas non plus dans l’article. Au final combien de lecteurs désinformés par ce jet de mots superficiel ?

    Poursuivons. Dans l’article on peut donc lire : « Cette tortue respire par son anus ! C’est juste fantastique ! s’exclame dans The Independant, Jason Schaffer qui les étudie depuis 8 ans au sein de l’université James Cook ». Mais le chercheur ne s’est jamais exclamé dans The Independant puisque cet article du 16 décembre 2014, est un copier-coller de la veille, du 15 décembre, écrit par Elizabeth Armstrong Moore dans USA Today.

    Moore invente au passage que Jason Schaffer étudie les tortues depuis 8 ans. Faux encore. Son projet – « Present The Effects of River Regulation on Bimodally Respiring Freshwater Turtles in North Eastern Queensland » – date de 2009. Auparavant il travaillait sur le poisson Tilapia.

    Et d’où vient le papier de USA Today ? Le journal cite une source, la revue Scientific American. Faux encore ! Il provient d’un article de John R. Platt sur un blog de la revue Scientic American daté du 12 décembre… D’ailleurs, le site précise que les opinions exprimées sur les blogs sont celles de l’auteur et ne sont pas nécessairement celles de Scientific American.

    Vite, toujours plus vite au rythme d’internet on s’éloigne dangereusement de l’information initiale ! Le journalisme ne consiste-t-il pas à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ? Alors nous avons échangé par téléphone avec le chercheur Jason Schaffer. Il nous a expliqué que le journaliste John R. Platt l’a contacté par e-mail : l’article publié sur le blog deScientific American est le produit de cet échange et d’un copier-coller du rapport de la mi-novembre de l’Université James Cook. Et surtout, c’est à John R. Platt que l’on doit l’invention de la tournure suivante : « Cette tortue respire par son derrière ce qui est fantastique ! » (Original : « These turtles breathe out of their ass, which is super awesome »). Il l’utilise en guise de chute humoristique dans son papier. Or, USA TodayThe Independant etLibération remonteront la phrase en début d’article, lui donnant une portée toute différente, à savoir bien racoleuse et centrale dans la démonstration de Schaffer (qui ne l’a donc pas prononcée).

    En définitive, c’est l’aspect le plus sombre de la nouvelle manière d’entrevoir la presse, à savoir le fait de résoudre l’objectif d’un article à sa seule audience. « L’exigence », « l’intelligence » et « l’inventivité » sont déjà oubliés.

    Jean-Sébastien Mora

    Notes

    [1] Voir la profession de foi du nouveau directeur du journal ici.