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Le transport routier dénonce un dumping social auquel il contribue
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Les grands acteurs français ont créé des filiales dans les pays d'Europe de l'Est. Celles-ci concurrencent leurs propres activités en France
Après une dizaine de jours de grève des routiers en France, fédérations patronales et syndicats se sont accordés, jeudi 29 janvier, sous l'égide d'un médiateur du ministère du travail, pour se retrouver mardi 3 février et négocier sur les " salaires et le pouvoir d'achat ".
Depuis le début des négociations, pour rejeter la hausse de 5 % des salaires demandée par les syndicats, le patronat invoque " les réalités économiques " et un contexte de " concurrence déloyale et de dumping social ". Il vise ainsi les salaires des conducteurs des pays à bas coût, comme la Pologne, la Roumanie, etc.
Reste que les entreprises françaises jouent aussi un rôle dans ce dumping, soit en utilisant des sous-traitants dans ces pays, soit en créant elles-mêmes des filiales en Europe de l'Est.
C'est ce que pointe Jean-Marc Charbonnier, qui dirige une entreprise de transport de 120 salariés à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence). Pour lui, les grands groupes sont en partie responsables de l'arrivée massive de chauffeurs étrangers, payés selon les standards de leurs pays d'origine, sur le sol français. " Ceux qui ont imaginé que passer par la sous-traitance étrangère permettrait d'assainir le marché ont joué avec le feu, nous en payons tous le prix ", relève M. Charbonnier.
Le pavillon français n'a cessé de dégringoler depuis la fin des années 1990. Sa part du marché européen était évaluée à 50 % en 1999. Elle avait été ramenée à 10 % dix ans plus tard. Dans l'intervalle, 21 000 emplois ont été supprimés, selon le rapport d'information du sénateur communiste du Nord Eric Bocquet, publié en 2014 (" Le droit en soute ? Le dumping social dans les transports européens ").
La dégradation de la position française est consécutive à l'ouverture à la concurrence du secteur en 2009. Cela a conduit à " l'ouverture concomitante des marchés à des entreprises dont les coûts de personnel sont moins élevés ", relevait le rapport de M. Bocquet. Selon une étude de 2013 du Comité national routier, le coût de l'heure de conduite moyen d'un chauffeur polonais représente 34 % de celui d'un chauffeur français (données de 2011).
Un autre facteur a joué : la délocalisation d'une partie de la production dans l'est du continent. Elle s'est traduite par une réorganisation des filières de transport. C'est ainsi que la Pologne est devenue le premier pavillon routier en Europe. Le " déficit de compétitivité du pavillon français " a été " mis en avant par un certain nombre d'acteurs du secteur " pour justifier la mise en place des " filiales au sein des pays à bas coûts ", soulignait M. Bocquet dans son rapport.
Le groupe Norbert Dentressangle a ainsi créé deux entités, une en Pologne et une en Roumanie.Ces entreprises travaillent notamment en sous-traitance pour la maison mère pour les trajets internationaux.
Selon M. Bocquet, " 43,5 % des transports effectués à partir de la France " par le groupe " sont sous-traités à des filiales étrangères ou à des entreprises extérieures. "
Norbert Dentressangle refuse de s'exprimer à ce sujet. Les plus grands acteurs français ont suivi le même mouvement, comme Geodis ou FM Logistic,. Cette évolution n'est pas illégale. Reste que Norbert Dentressangle " semble interpréter de façon erronée la réglementation européenne ", soulignait M. Bocquet.
Cabotage
L'entreprise a reconnu devant le comité de groupe, le 27 novembre 2013, qu'elle faisait venir par bus des chauffeurs des filiales polonaise et roumaine pour prendre leur service dans des établissements de France. Ces routiers rejoignent des poids lourds immatriculés en Pologne et Roumanie. Ils sont payés selon les normes de leur pays. Pour Pascal Goument, président de la CFTC de Norbert Dentressangle, " ces salariés devraient se voir appliquer le statut de salariés détachés ", avec des conditions de travail et de salaire équivalentes à celles pratiquées en France, les cotisations sociales étant payées dans le pays d'origine.
" Nous ne sommes pas dans la situation de détachement (…) mais dans une relation normale de sous-traitance ", avait répliqué la direction lors du même comité de groupe de novembre 2013. Sur ce point, la société devra s'expliquer devant le tribunal correctionnel de Valence où se tiendra un procès du 4 au 6 mars sur des faits présumés de marchandage et de travail dissimulé dans une affaire de sous-traitance interne.
Invoquer la sous-traitance et non le détachement de salariés suppose toutefois que ceux-ci effectuent des opérations de cabotage. C'est-à-dire " au maximum trois prestations (chargement/déchargement) en France sur une période maximale de sept jours ", indique Karine Bézille, avocate associée du cabinet Lefèvre Pelletier.
Or, certains de ces travailleurs étrangers resteraient sur le territoire plus longtemps. " Près de Chambéry, il y a un parking où des travailleurs polonais attendent le dimanche soir pour circuler. Ils disent tous qu'ils restent trois ou quatre mois en France et font un peu d'international ", relate Antoine Fatiga, représentant de la CGT des transports en Rhône-Alpes. Aujourd'hui, même les dirigeants de PME du secteur estiment qu'il faut une régulation du cabotage et qu'elle doit se faire à l'échelle de l'Europe.
Francine AizicovicI, AVEC Sébastien cagnac