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Des milliers de manifestants à Istanbul pour défendre l’éducation laïque
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le gouvernement islamiste turc tente de passer en force pour liquider l'éducation laique en Turquie. La résistance s'organise, elle a mobilisé en masse dans les rues d'Istanbul. Et la lutte ne fait que commencer.
La place de Kadiköy noire de monde. Les chiffres varient, on parle de dizaines de milliers de personnes, certains évoquent les 100 000 manifestants. La bataille pour la défense de l'éducation publique est montée d'un cran ce 8 février en Turquie.
Alevis, communistes, syndicats : pour une éducation laïque et universelle
La mobilisation a été portée d'abord par les organisations de la communauté Alevi soucieuse de résister à l'islamisation et la « délaicisation » de l'éducation en Turquie
Les Alevis – apparentés à une forme plus « libérale » de l'islam, souvent associée au chiisme ou aux alaouites – représentent plus de 15 % de la population et surtout une minorité constamment discriminée, réprimée.
Ils en ont développé une forme de radicalisation à gauche, très marquée dans les milieux « progressistes », jusqu'aux communistes, défendant notamment le caractère laïc et public de l'éducation.
La manifestation a trouvé un relais important dans les partis de gauche, dont en premier lieu le Parti communiste (KP), ainsi que dans les syndicats de lutte comme les Fédérations KESK (Syndicat des fonctionnaires) et DISK, ce dernier menant en parallèle la lutte pour défendre la grève des métallurgistes, interdite par le gouvernement
Les mots d'ordre étaient centrés sur la défense de l'éducation laïque mais aussi plus généralement de l'enseignement scientifique et rationaliste, d'une éducation publique et gratuite ainsi que d'une conception du service public non-discriminante pour toutes les populations de Turquie.
La « guerre culturelle » d'Erdogan : islamiser les écoles
Car les dangers sont multiples à un moment où le gouvernement Erdogan décide de jouer la la guerre-éclair (blitzkrieg) pour gagner la bataille sur le front culturel, une véritable « guerre culturelle » (Kulturkampf) pour la conquête des écoles.
Cela a commencé à la rentrée par deux mesures d'importance à la rentrée 2014 : (1) l'autorisation du voile islamique dans les collèges dès l'âge de 10 ans ; (2) la transformation forcée de plusieurs dizaines d'établissements laïques en collèges religieux : les Imam Hatip qui forment traditionnellement les imams et les prêcheurs, défendant une vision fondamentaliste de la religion.
Les Imam Hatip ont pris une importance considérable dans l'enseignement secondaire, alors qu'ils avaient quasiment disparu au début des années 2000. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le nombre d'élèves dans ces écoles religieuses a augmenté de 90 %, passant de 2 % à 10 % des étudiants scolarisés dans le secondaire.
La réforme du cadre général de la scolarité actée en 2012 étendait la scolarité obligatoire de 8 à 12 ans avec les 4 (école) + 4 (collège) + 4 (lycée). L'étape « collège » (pour utiliser une terminologie française) avait été effacée pour casser le pouvoir des Imam Hatip dans la société, son rétablissement constitue un coup de force pour les remettre sur le devant de la scène.
Des cours de religion obligatoires … dès l'âge de 3 ans !
La querelle actuelle porte sur l'extension des cours obligatoires sur la religion. Déjà obligatoires après 10 ans, le gouvernement veut les étendre à l'école primaire, sans possibilité de dispense. Il propose même l'enseignement de « valeurs religieuses » à la maternelle, dès l'âge de 3 ans.
Selon la minorité alévi, ces cours constituent une atteinte au principe de laïcité/sécularisme tout en représentant la diffusion d'un Islam sunnite univoque, orthodoxe, discriminant leurs propres croyances ainsi que celles des autres minorités, qu'elles soient chrétiennes ou kurdes.
Mais pour le président Erdogan, il s'agit d' « élever une génération pieuse ». A cette fin, il est prêt à aller beaucoup plus loin, si il ne rencontre pas de résistance.
Plusieurs propositions radicales ont été portées devant le Ministère de l’Éducation en décembre dernier. Elles n'ont pas été adoptées telles quelles, mais prises en considération. Elles constitueraient toutes un recul sans précédent pour l'éducation laïque en Turquie.
Ce serait d'abord (1) la remise en cause de l'éducation mixte dans les établissements scolaires publics, suivant l'exemple ; (2) des cours obligatoires de langue ottomane – avec alphabet arabe, dans une langue mêlant turc, arabe et persan – une provocation face au nationalisme kémaliste, mais aussi une façon de renouer avec l'héritage impérial.
« Nous demandons l'égalité, sans distinction de religion, couleur de peau, langue »
Avant l'initiative, le Parti communiste (KP) appelait à la lutte « contre les cours religieux obligatoires et l'islamisation/religionisation de tous les aspects de nos avis, contre les tentatives de façonner notre vie politique et sociale en fonction de normes religieuses, nous défendrons le fait qu'il y a un avenir pour la science et la culture dans ce pays ».
S'adressant aux manifestants, Baki Düzgün, vice-président de la Confédération des Alevis-Bektasi a ainsi déclaré que « l'éducation publique laïque est un système qui devrait garantir un traitement égal à tous les citoyens (…) Aujourd'hui, la politique d'islamisation de l'AKP est l'instrument d'une politique injuste, répressive, tyrannique.
Nous croyons à l'égalité entre tous les êtres, indépendamment de leur religion, leur couleur de peau et la langue qu'ils parlent. Nous demandons enfin une citoyenneté égale pour tous dans ce pays. »
Dans l'immédiat, un vaste mouvement de boycott des écoles a été lancé pour aujourd'hui, 13 février. Le gouvernement a déjà menacé les enseignants qui suivraient ce mot d'ordre. La lutte s'annonce très tendue dans les écoles du pays.
Alors que les dirigeants turcs étaient accueillis récemment à Paris en grande pompe pour défendre la « liberté d'expression », ils ne cessent de la bafouer chez eux en renforçant l'appareil répressif étatique et en bafouant la liberté de conscience de ses citoyens. Dénonçons aussi l'hypocrisie de nos dirigeants, avec celle de nos meilleurs alliés !