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    Longue interview de Montebourg

    économie

    Lien publiée le 2 avril 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Les Echos) INTERVIEW - Après la défaite de la gauche aux départementales, l’ex-ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique sort de son silence dans «Les Echos».

    Vous ne vous êtes pas exprimé depuis sept mois. A quoi attribuez-vous la défaite de la gauche aux départementales ?

    C’est la quatrième défaite et carabinée. Ce qu’il est intéressant d’observer, c’est que la progression territoriale du Front national est directement corrélée à l’augmentation du chômage. Dans les territoires où les difficultés économiques se sont accrues, où la désindustrialisation s’est accentuée, où le sentiment d’abandon a augmenté, le FN a progressé de façon spectaculaire. Le sentiment d’impuissance économique des dirigeants politiques fait aujourd’hui la force du FN.

    Pendant la campagne, le Premier ministre s’était mis en première ligne, lui imputez-vous le résultat électoral ?

    La défaite est surtout la conséquence des grands choix qui ont été faits depuis 2012 - débats auxquels j’ai âprement participé. Depuis mai 2012, il y a 570.000 chômeurs de plus de catégorie A et 880.000 de plus de catégorie A, B et C. Une étude de l’OFCE montre que la perte moyenne de pouvoir d’achat par ménage de 2011 à 2014 - sous l’action des gouvernements Fillon, Ayrault et Valls -, a atteint 1.650 euros. C’est considérable. La conséquence, ce sont des retraités en larmes dans les trésoreries parce qu’ils ne peuvent pas payer leurs impôts, des classes moyennes surfiscalisées et furieuses, et ce que les élus de terrain rapportent comme témoignages depuis 2012. C’est tout le programme d’austérité fiscale commencé par la droite et poursuivi par la gauche qui est au cœur du grand désaccord national. On est loin des promesses de 2012. Voilà pourquoi une partie de l’électorat de gauche ne va plus voter et une autre passe au FN.

    A vous entendre, la politique de François Hollande serait pire que celle de Nicolas Sarkozy…

    Non, elle est en matière économique la même. Je n’ai eu de cesse de faire des notes au président de la République _ et j’ai publié ces archives _ proposant une autre stratégie économique et budgétaire, qui n’ont donné lieu ni à débat ni à réponse. D’où mon départ. On peut dire que j’ai été évincé. Mais je dois aussi confesser que j’ai été vraiment volontaire pour partir. On ne peut pas rester dans une équipe avec des désaccords pareils. Aujourd’hui, je constate que le gouvernement n’a plus de majorité ni dans le pays ni au Parlement pour mener cette politique.

    Changer de cap ne serait-il pas encore pire ? Aucun ancien ministre de l’Economie n’a jamais tenu ce genre de discours.

    Cette politique économique est celle du dogmatisme bruxellois et de la droite allemande – je ne dis pas l’Allemagne – et c’est un dogmatisme qui mène à l’entêtement. Il n’est je crois pas interdit, il est même recommandé, de reconnaître ses erreurs. Le quinquennat qui devait être celui de la décroissance du chômage est celui de l’hémorragie du chômage. Le quinquennat qui devait être celui de la protection des classes moyennes est celui de la mise à contribution des classes moyennes pour payer la crise. Après mon discours de Frangy où je recommandais des baisses d’impôts, on a considéré que j’étais un hérétique qu’il fallait brûler d’urgence sur le bûcher gouvernemental. Simplement parce que je demandais qu’on redonne 15 milliards de pouvoir d’achat aux classes moyennes.

    Avez-vous revu le président de la République depuis le mois d’août ?

    Non.

    Lui avez-vous reparlé ?

    Non.

    De nombreux indicateurs repassent au vert. N’est-ce pas le signe que la politique menée commence à porter ses fruits ?

    Mais la reprise est partout dans le monde depuis déjà 2 ans... Sauf que les politiques d’austérité européennes la piétinent et l’empêchent d’exister. Je rappelle que Royaume-Uni a eu plus de 2% de croissance dès l’année dernière, parce qu’il n’est pas soumis aux politiques d’austérité de la zone euro.

    C’est quand même amusant de vous voir vanter le modèle britannique…

    Je ne vante aucun modèle. Je suis concret et pragmatique. Et vous pourriez noter avec moi que les Américains sont déjà revenus au plein-emploi pendant que la zone euro, sept ans après le début de la crise, est encore en déflation et avec croissance quasi-zéro l’année dernière. La reprise est là depuis longtemps. Le président de la République, d’ailleurs, ne cessait de le rappeler. Pour quelle raison n’en avons-nous jamais profité ? Parce que nous menons des politiques absurdes. En outre, si aujourd’hui les indicateurs s’améliorent, c’est pour des raisons parfaitement indépendantes du gouvernement : parce que les prix du pétrole se sont affaissés et parce que la BCE a, avec deux ans de retard, enfin fait son travail. Je lui rends d’ailleurs un hommage. Mais maintenant, Mario Draghi l’a dit dans son discours de Jackson Hole (l’été dernier, NDLR), c’est aux gouvernements d’appuyer sur l’accélérateur et de desserrer l’étau.

    L’Allemagne, qui a rétabli ses comptes publics, est un des pays qui a la croissance la plus forte dans la zone euro…

    L’Allemagne, quand elle a connu des déficits, a obtenu de ne pas avoir à les réduire trop vite. Heureusement que Jacques Chirac était là pour aider Gerhard Schröder à ne pas respecter le traité de Maastricht… Souvenons-nous de cela.

    Vos critiques sont un peu caricaturales. Le pacte de responsabilité ne va-t-il pas dans le bons sens en redressant la compétitivité ?

    Etre pour une demande plus soutenue ne veut pas dire qu’on est contre l’amélioration de l’offre. On a besoin des deux jambes pour faire marcher l’économie. J’ai toujours soutenu la politique de rétablissement de la compétitivité des entreprises. Mais aujourd’hui, les chefs d’entreprise eux-mêmes se plaignent qu’il n’y a pas de demande. J’avais d’ailleurs proposé la règle des trois tiers : qu’un tiers des efforts budgétaires servent au désendettement, un tiers au soutien de l’offre et un tiers à la demande. C’est une position équilibrée qui suppose que la Commission européenne renonce à son dogmatisme.

    La Commission a changé de message. Jean-Claude Juncker ne dit pas la même chose que José Manuel Barroso…

    J’approuve la volonté exprimée par le président de la Commission européenne d’une politique d’investissement massif. Mais son message n’est pas crédible. Cela fait des années que des plans d’investissements sont annoncés, et qu’ils n’ont aucun effet. La Commission et la Banque européenne d’investissement ne savent pas utiliser l’argent dont ils disposent. Le plan Juncker consiste une fois de plus à recycler de l’argent non dépensé. Il ne se passera encore une fois pas grand-chose.

    La France a obtenu un nouveau délai pour ramener son déficit à 3% de PIB, la Commission n’a-t-elle pas une lecture plus souple du Pacte de stabilité, comme vous le souhaitiez ?

    Elle demande toujours à la France de faire 30 milliards d’euros d’efforts. Cette obsession de la réduction du déficit est pourtant épinglée par l’OCDE, le FMI et nombre de prix Nobel d’économie. L’administration Obama considère que la zone euro marche sur la tête et s’inquiète de ne pas trouver en Europe de relais à la croissance américaine. Elle a raison de s’inquiéter. Si on ne parvient pas à diminuer rapidement et fortement le chômage, l’Europe s’enfoncera dans la crise politique. Partout des coalitions éclatent ou sont remises en cause par de nouvelles formations qui plaident enfin pour des orientations alternatives. François Hollande, en 2012, aurait dû prendre la tête de ce courant. Au lieu de cela on mène une politique qui étouffe l’économie et porte la responsabilité de l’augmentation du chômage.

    En creux, vous exprimez un doute sur l’avenir de l’euro...

    Il y a un risque que l’euro et la construction européenne succombent à l’exaspération et à la colère des peuples européens. Nous sommes comme dans une centrifugeuse, et le péril du « grexit » alimente ce mouvement. Tout comme l’Ukip britannique. Le Parti socialiste est sur la route du Pasok grec.

    Vous sentez-vous l’âme d’un « frondeur » ?

    La fronde, c’est dans une monarchie où le roi est défié. Il y a derrière ce mot un mépris considérable, le même qui conduit à ne pas écouter la colère populaire. Dans une démocratie, il y a seulement - j’en suis désolé - des opinions divergentes, et il faut les entendre, voilà tout.

    Auriez-vous voté la loi Macron ?

    Je ne veux pas m’exprimer sur le travail de mon successeur, et je souligne que mes désaccords avec le gouvernement concernent avant tout la politique macroéconomique. Mon objectif, quand j’ai lancé ce projet de loi, était de s’attaquer à la rente et aux privilèges. Si j’étais resté en place, je n’aurais pas cédé face aux corporatismes des professions réglementées, et je n’aurais pas renoncé à certaines protections des salariés, qui ont fait perdre au gouvernement sa majorité sur ce texte.

    Comprenez-vous le fait que le nombre de plans d’innovation industrielle soit ramené de 34 à une dizaine ?

    En matière d’innovation, réduire les ambitions me paraît toujours une erreur. Je préfère la ruche industrieuse et protubérante aux haies taillées au cordeau des jardins à la française. Le but était justement de multiplier les initiatives.

    Partagez-vous l’opinion de Manuel Valls qui estime que les chefs d’entreprise ont « peur d’embaucher » et qu’il faut lever ces freins, en faisant référence au droit du travail ?

    La France a créé près de 2 millions d’emplois sous Lionel Jospin. Je comprends que des chefs d’entreprise aient peur d’embaucher quand ils n’ont pas de perspectives économiques et qu’ils ne savent pas où l’on va avec un gouvernement qui persiste dans l’erreur… Le vrai frein aujourd’hui, c’est la minceur du carnet de commande, ce sont les clients qui payent à 90 jours. Je crois possible de concilier la protection des travailleurs avec les besoins flexibles des entreprises.

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    La politique économique n’est pas la bonne, vous estimez avoir été trahi par François Hollande, mais - pardonnez-nous la brutalité de la question - à quoi avez-vous servi au gouvernement ?

    Mon parcours politique a été celui de l’innovation. J’ai écrit il y a 15 ans le projet de VIe République, j’ai été le premier à m’attaquer aux paradis fiscaux, j’ai imaginé les primaires ouvertes du PS en 2009, j’ai importé en Europe le concept de dé-mondialisation et j’ai fait du Made in France une cause nationale de défense de l’appareil productif. On ne peut pas dire que ce n’est rien... Au gouvernement, ce dont je suis le plus fier est d’avoir lancé les 34 plans de l’innovation industrielle au point que certains éditorialistes de la presse économique lançaient des appels à me maintenir à Bercy.

    Vous avez rejoint Habitat et Talan, que leur apportez-vous ?

    Ce sont d’abord des rencontres avec des dirigeants. Habitat est en redécollage, et recrée son design et réinvente sa distribution. Je ne suis pas un apporteur d’affaires, je ne mets pas mes contacts politiques à leur service - ils n’en ont pas besoin -, mais je participe à leur politique d’innovation. Talan est la petite SSII qui monte vite et s’investit dans la digitalisation de l’économie. J’ai par ailleurs le projet de créer ma propre entreprise.

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    Que vous a apporté l’Insead, vous avez mieux compris l’économie ? Y avez-vous perçu ce qui sépare le monde de l’entreprise du monde politique ?

    J’y ai rencontré une cinquantaine des dirigeants internationaux. C’était un séminaire de formation au leadership. La différence entre les deux mondes, c’est celle-ci : le monde politique n’a pas de règles et peu de sanctions ; dans l’entreprise, il y a beaucoup de règles et des sanctions. La politique était devenue pour moi l’accumulation de contraintes. La vie entrepreneuriale est celle de l’aventure. En 17 années de vie politique, j’ai accompli, je vous le disais, un certain nombre de choses, mais j’ai quand même l’impression d’avoir perdu mon temps. Aujourd’hui, la classe politique est devenue une bourgeoisie d’Etat, haut-fonctionnarisée, coupée du peuple. Elle est devenue dangereuse pour notre pays.

    La politique, c’est donc fini ?

    Je ne veux plus vivre de la politique, ce qui ne m’empêche pas de rester un citoyen engagé et de m’exprimer quand ce sera nécessaire. En l’état, je me tiens éloigné de ce système néfaste et dangereux. Je ne veux plus prendre part aux débats qui n’en valent pas la peine.

    Et 2017, ça en vaut la peine?

    On n’en est vraiment pas là.