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Hommage à Suzanne de Brunhoff (1929-2015)

Lien publiée le 2 avril 2015

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Hommage à Sauzanne de Brunhoff (1929-2015)

Posted on 2 avril 2015

http://www.anti-k.org/2015/04/02/hommage-a-sauzanne-de-brunhoff-1929-2015/


Elle n’a cessé de développer et actualiser une approche marxiste vivante des rapports de classe camouflés derrière les institutions, les prix, les politiques économiques, les relations internationales.  Elle s’est notamment concentrée dans des domaines de recherche où  ces réalités de classe sont soit absentes (dans les théories dominantes) soit simplifiées – la monnaie, le monde de la finance et l’Etat – encore largement ouverts à des recherches marxistes où l’apport de Suzanne de Brunhoff demeure une référence sur les sujets les plus complexes et controversés.Suzanne de Bruhoff vient de s’éteindre paisiblement (le 12 mars) après un long combat contre la maladie qui l’a mise à l’écart depuis quelques années des plus récentes controverses et recherches en économie, après avoir été chargée de recherche au C.N.R.S. Elle n’a cessé de combiner son activoté de chercheuse avec un militantisme contre les rapports d’exploitation et de domination. Membre du PCF puis prenant ses distances avec l’”encartement”, elle s’impliqua activement dans le réseau Curiel solidaire des luttes pour l’indépendance de l’Algérie puis dans des réseaux associatifs. Elle fut, avec son époux et indéfectible soutien, Mathieu de Brunhoff, membre active du MRAP et du réseau Education Sans Frontières sur le 13è arrondissement de Paris. Elle fut aussi membre d’ATTAC et de son conseil scientifique pendant plusieurs années, avant sa maladie.

Sa notoriété s’est notamment construite à partir de son premier grand ouvrage, la Monnaie chez Marx(Editions sociales, Paris) qui, après une première édition en 1967 fut réédité en 1973. Il demeure un appui essentiel pour comprendre l’originalité de la pensée de Marx par rapport à ses prédécesseurs, les “Classiques”, comme Smith, Ricardo ou Say : alors que ces derniers distinguaient une “sphère monétaire” de l’économie dite “réelle” sans monnaie (en évaluant son impact par sa quantité en circulation), Marx analysait le capitalisme comme un système productif monétaire. Et si pour Jean-Baptiste Say la monnaie était un “voile neutre” Marx en soulignait au contraire les différentes fonctions articulées (non seulement intermédiaire aux échange, mais aussi étalon de mesure et réserve de valeur) ; et il analysait en quoi la monnaie était une marchandise spécifique, utilisée avant le capitalisme, mais transformée en Capital-argent et s’inserrant dans les contradictions et crises du capitalisme. Contrairement aux Classiques, Marx ébaucha donc aussi l’analyse des dimensions spéculatives du capital financier et “fictif”. Suzanne de Brunhoff a mis en évidence de façon précieuse, ces chantiers laissés en friche par Marx, soulignant aussi combien, “quel que soit le régime institutionnel étalon-or du XIXè siècle ou monnaie “inconvertible” contemporaine, le principe monétaire s’exprime toujours à travers une pluralité de monnaies” (monnaies des banques et celle de la Banque centrale, monnaies nationales diverses) dont elle analysait les articulations et les contradictions dans un monde en évolution (cf. L’Heure du marché – critique du libéralisme, p.92).

Suzanne de Brunhoff aide donc à l’appropriation par les chercheurs contemporains de l’approche marxienne tout en menant un travail d’actualisation et de discussion des théories dominantes. Contrairement à celles-ci, elle a souligné le caractère spécifique de la monnaie et de la force de travail comme « marchandises particulières » au croisement du social et du privé, sous contraintes de régulations publiques et sociétales, codifiées, évolutives – imposant aussi l’analyse du rôle de l’Etat, que Marx ne fit qu’ébaucher. Elle fut, ce faisant, toujours ouverte aux questionnements nécessaires sur les transformations du capitalisme. L’ancrage de départ de ses recherches s’est poursuivi sur la monnaie (cf. outre l’ouvrage déjà cité, l’Offre de monnaie,Maspéro, Paris, 1971) et la Politique monétaire, un essai d’interprétation marxiste, en collaboration avec Paul Bruini (PUF, Paris, 1973) ou encore Les rapports d’argent, Maspero, 1979 – analysant toujours, comme le faisait Marx, les rapports et conflits sociaux derrière la monnaie, la politique monétaire ou plus spécifiquement le Capital-argent et ses transformations. Elle publia dans le Monde Diplomatique en 1974 un article « significatif » de sa problématique que l’on peut relire avec grand intérêt quelque vingt ans plus tard : « Lutte des classes et lutte contre l’inflation » 

http://www.monde-diplomatique.fr/1974/11/BRUNHOFF/32723.

Ses réflexions s’élargirent sur Etat & Capital - dont le dernier ouvrage sur ce sujet avait pour sous-titreRecherche sur la politique économique (éd. La Découverte, 2010). Suzanne de Brunhoff se pencha sur les caractéristiques de la nouvelle phase d’accumulation capitaliste ouverte au tournant des années 1980. Elle les analysa notamment dans L’heure du marché : critique du néolibéralisme, PUF, 1986 et dans son chapitre sur « L’instabilité monétaire internationale » de l’ouvrage coordonné par François Chesnais La finance mondialisée : racines sociales et politiques, configuration, conséquences, Editions La Découverte, 2004. Membre actif d’un Séminaire d’Etudes Marxistes avec Isaac Johsua, Gérard Duménil, Dominique Lévy, Michel Husson, et François Chesnais, elle contribua également à l’ouvrage collectif : La finance capitaliste,Coll. Actuel Marx Confrontation, éd. PUF, 2006. Au-delà des politiques monétaires, Suzanne de Bruhoff s’est efforcée d’intégrer pleinement l’Etat dans l’analyse concrète (historique) et théorique des contradictions fondamentales et récurrentes à l’oeuvre dans le mode production capitaliste, derrière l’opacité et l’évolution de ses formes.

En 1977, Michel Aglietta commentant « Etat et Capital » dans la Revue Economique soulignait : « Le dernier livre de Suzanne de Brunhoff s’apprécie d’autant mieux que l’on est averti de la continuité de sa démarche et de la ténacité de l’effort qui parcourt l’ensemble de son oeuvre théorique. » Ceci est resté vrai jusqu’à ses toutes dernières publications. Intégrer pleinement cet effort aux recherches toujours ouvertes sur ces sujets est le meilleur hommage à lui rendre.

 Catherine Samary,

Maître de Conférence en retraite de l’Université Paris Dauphine

http://csamary.free.fr