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    Décès de François Maspero

    Lien publiée le 13 avril 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

     PARIS, 13 avr 2015 (AFP) - Ecrivain, journaliste et traducteur engagé à gauche, François Maspero, mort samedi à l'âge de 83 ans, restera dans les mémoires comme éditeur et patron d'une librairie qui fut, dans les années 60 et 70 à Paris, un haut-lieu de la culture contestataire.

          "J'ai beaucoup vécu par les autres. Sans eux, les auteurs, les amis, les militants, rien n'aurait été possible", assurait cette ancienne figure importante de la vie intellectuelle française, homme discret qui a longtemps gardé une allure de jeune homme, à la silhouette déliée.

          Avec sa maison d'édition et sa librairie, situées au coeur du Quartier latin, François Maspero, dit "Masp", imprégné de culture "chrétienne de gauche", a propagé ses idées contestataires (contre la guerre d'Algérie, contre la torture etc). 

          Dans sa librairie de la rue Saint-Séverin, "La joie de lire", on pouvait rencontrer des "révolutionnaires" d'horizons divers, prendre des notes en paix et parfois... voler des livres sans être forcément dénoncé.

          Petit-fils de l'égyptologue Gaston Maspero et fils du sinologue Henri Maspero, professeur au Collège de France, FrançoisMaspero naît à Paris le 19 janvier 1932. Sa jeunesse est marquée par la guerre : son père décède à Buchenwald en 1944 et, la même année, son frère aîné est tué en France par les Allemands. Sa mère sera déportée à Ravensbrück mais restera en vie.

          En 1955, ce survivant sans diplôme, qui a longtemps culpabilisé de n'avoir point péri, devient libraire dans le Quartier latin. Quatre ans plus tard, il crée les éditions Maspero, publiant beaucoup de textes sur la guerre d'Algérie, la contestation du stalinisme, le sous-développement ou le néocolonialisme.

          Certaines publications sont interdites et lui valent de nombreux ennuis judiciaires: fortes amendes, prison et suppression de ses droits civiques. Mai 68 est plutôt favorable pour la librairie mais François Maspero est contraint, pour des raisons financières, et sous la pression de la justice, de vendre la librairie en 1974. Par contre, la maison d'édition est conservée grâce à la mobilisation d'auteurs et de lecteurs.

          Mais, en 1982, épuisé par ses combats, il cède ses parts à François Gèze et quitte sa maison qui prend le nom de La Découverte. L'issue de cette période intense, économiquement pénible, est rude. A 50 ans, il se retrouve sans rien. Sa vie manque de basculer : accident de moto, tentative de suicide... Il mettra des années à s'en remettre.

          

          - 'révolte et indignation' -

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          "Quand je regarde le catalogue des éditions, disait-il, je me dis que je peux être satisfait": Frantz Fanon, Louis Althusser, John Berger, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Yves Lacoste, Yannis Ritsos, Tahar Ben Jelloun, Nazim Hikmet, et beaucoup d'autres ont, pour la plupart, confié leurs premières oeuvres à "Masp" qui a publié aussi le best-seller "Libres Enfants de Summerhill" (1970), d'Alexander S. Neill.

          "J'ai des sentiments extrêmement simples de révolte et d'indignation. La dérive libérale est la plus terrible des utopies. Elle est aussi plus terrifiante que d'autres car on n'en voit pas la fin. Je crois donc à la lutte, sinon il n'y a plus d'Histoire et peut-être plus d'humanité", disait-il.

          François Maspero, qui avait dans les années 60 et 70 lancé deux revues - "La revue des partisans" (où Georges Perec a publié ses premiers textes) et "L'alternative" (donnant la parole aux "dissidents" de l'est) - va se mettre à écrire.

          En 1984, il signe "Le Sourire du chat", un roman quasi autobiographique, premier d'une quinzaine de livres. Ce grand voyageur, qui avait été en Bolivie en 1967 soutenir Régis Debray, alors arrêté, a écrit "Balkans-Transit", "Les passagers du Roissy-Express", (récit d'un "voyage au long cours" sur la ligne B du RER parisien), sur l'Algérie, Gaza etc. Parallèlement, il fait des reportages pour Radio France et Le Monde et traduit des auteurs comme John Reed, Alvaro Mutis, Carlos Ruiz Zafon ou le "Typhon" de Joseph Conrad.

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    (Le Monde) 

    Comme les chats, l'éditeur François Maspero, qui fut aussi libraire, traducteur, écrivain, a eu plusieurs vies – sombres souvent, lumineuses parfois. Il est mort, samedi 11 avril, à Paris, à l'âge de 83 ans. « Tout en moi affirme que je suis né le 24 juillet 1944, à l'âge de 12 ans et demi, écrit-il, dans l'un de ses récits autobiographiques, Les Abeilles & la Guêpe (Seuil, 2002). Ce n'est pas une boutade, encore moins une image. »

    « En guise de sage-femme, je vois, puisque j'ai le privilège de me souvenir de ma venue au monde, le visage d'un agent de la Gestapo », poursuit-il, évoquant cet été tragique, durant lequel ses parents sont arrêtés et déportés par l'occupant nazi. Son père, le sinologue Henri Maspero, meurt quelques mois plus tard, le 17 mars 1945, au camp de Buchenwald. Son frère Jean, résistant, est, lui, tué au maquis, à l'âge de 19 ans. Seule sa mère, détenue à Ravensbrück, survit.

    « Tout s'éteint d'un coup » dans la vie du petit garçon. « J'ai eu, depuis, comme je le souhaite à tous, mes jours, mes années de soleil. Mais quelque chose me dit toujours que ce n'est pas le même que ce soleil-là, celui dont je sais seulement qu'il brillait avant ma seconde naissance », songe à voix haute, au seuil de la vieillesse, cet enfant de la guerre.

    De la guerre ou des guerres – dont l'Europe du XXe siècle fut criblée, façonnée, meurtrie. C'est d'ailleurs avec La Guerre d'Espagne, un essai de Pietro Nenni, dirigeant du Parti socialiste italien, que les éditions François Maspero entameront, le 15 juin 1959, leur exceptionnelle carrière. Et c'est à la guerre d'Algérie (1954-1962), à la lutte contre la torture, à la dénonciation des ratonnades, au combat anticolonialiste, que le nom de Maspero est lié, indéfectiblement.

    Las « d'aimer les ombres »

    Né en 1932, à Paris, François Maspero a grandi dans les livres. Son grand-père paternel, Gaston Maspero, est un égyptologue de renom ; son père, un éminent spécialiste de la Chine et de l'Extrême-Orient. Tous deux ont été professeurs au Collège de France. Du côté de sa mère ? « C'est la bourgeoisie de Boulogne-sur-Mer [Pas-de-Calais]. Une fortune à la Rougon-Macquart », résume-t-il. La famille Maspero est une « famille joyeuse », à défaut d'être heureuse. Du moins, jusqu'au fer rouge de l'été 1944.

    Après une « scolarité exécrable », selon ses propres mots, et las d'« aimer des ombres », le jeune homme se marie, devient père et reprend « une boutique à l'abandon, qui sentait le pipi de chat », rue Monsieur-Le-Prince. Il a 23 ans. A cette première librairie parisienne, ouverte en 1955, baptisée L'Escalier, succède, en 1957, une plus grande, La Joie de lire, rue Saint-Séverin, en plein Quartier latin. C'est là, dans le petit bureau du sous-sol, que l'apprenti libraire s'improvise éditeur, s'aidant des conseils de son ami Guy Lévis Mano, poète, éditeur et imprimeur lui-même.

    De l'été 1959 jusqu'à la fin de l'année 1960, François Maspero « officie pratiquement seul (…), corrigeant, composant les livres et créant jusqu'aux couvertures », raconte l'historien Julien Hage, dans le très bel ouvrage, Maspero et les paysages humains (La Fosse aux ours-A plus d'un titre, 2009) qui lui a été consacré.
    Pourquoi devenir éditeur et publier des livres ? A cause des guerres, bien sûr. Ou, plus précisément, « du caractère insoutenable des guerres coloniales » – en Indochine d'abord, à Madagascar, puis en Afrique du Nord, indique Maspero, dans un entretien accordé, en 1990, à Miguel Benasayag. A cause, aussi, ajoute-t-il, de la « désillusion face au communisme soviétique ».

    Censure

    La guerre et la lutte politique forment la matrice intellectuelle de la génération à laquelle appartient Maspero. Lequel n'hésitera pas à s'encarter, d'abord, brièvement, au Parti communiste (de l'été 1955 à la fin de l'hiver 1956), puis à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) d'Alain Krivine, au début des années 1970. Le lancement, en novembre 1979, de la revue L'Alternative témoignera de ce souci constant de donner la parole aux oppositions, à « la “dissidence” dans toute sa diversité », selon le mot de Julien Hage. Et ce, bien avant l'effondrement du mur de Berlin (le 9 novembre 1989).

    La collection « Cahiers libres », lancée en 1959, ainsi baptisée en hommage aux Cahiers de Charles Péguy, vise à « combler les lacunes de l'information sur la guerre d'Algérie », explique Fanchita Gonzalez Batlle, dans Maspero et les paysages humains. Elle fait partie, avec Jean-Philippe Talbo-Bernigaud, Marie-Thérèse Maugis et Emile Copfermann, de l'équipe de départ de la maison d'édition. Parmi les premiers livres de cette collection « Cahiers libres », reconnaissable à son bandeau vertical de couleur vive, on trouve L'An V de la révolution algérienne (1959), de Frantz Fanon, Ratonnades à Paris, long article (non signé), de Paulette Péju, L'Algérie, nation et société (1965), de Mostefa Lacheraf. Créée en 1961, la revue Partisans devient l'un des porte-voix incontournables du mouvement anticolonialiste.

    La censure gaulliste s'abat immédiatement : une quinzaine d'interdictions frappent les livres et les trois premiers numéros de Partisans. Avec les Editions de Minuit, fondées par Jérôme Lindon, les éditions Maspero sont les seules, en France, à oser braver le pouvoir et la répression – sans oublier les attentats, nombreux, de l'extrême droite et de l'OAS. Tandis que l'Algérie s'embrase et que le préfet Maurice Papon déchaîne la furie policière contre les manifestants, tandis que les luttes de libération enflamment ce qu'on n'appelle pas encore le tiers-monde, la France pré-soixante-huitarde amorce sa percée. Les livres de Maspero et sa revue Partisans (publiée jusqu'en 1973) accompagnent et expriment les espoirs de cette génération.

    « Nous avions bricolé un système de distribution des livres interdits concernant l'Algérie avec les éditeurs étrangers La Cité de Nils Andersson, à Lausanne, ou Feltrinelli, à Milan », rappelle Jean-Philippe Talbo-Bernigaud. Certains ouvrages, censurés en France, sont ainsi diffusés à partir de la Suisse ou de l'Italie. Voire édités et renvoyés en France, sous le manteau, comme La Question (1958), d'Henri Alleg (d'abord édité chez Minuit, mais aussitôt interdit) ou Une victoire (1958), de Jean-Paul Sartre.

    Nées de – et contre – la guerre d'Algérie, les éditions de la rue Saint-Séverin en sortent financièrement épuisées. Les amendes et les interdictions qui frappent de nombreux ouvrages – pas seulement sur l'Algérie : le livre accablant de Mongo Beti (1932-2001), Main basse sur le Cameroun (1972), subit la censure, sous prétexte d'être un « livre d'origine étrangère » – ont vidé les caisses. S'y ajoute le fléau des vols de livres, commis en toute impunité et qui contribuent pour beaucoup à la faillite de La Joie de lire. La librairie, fréquentée par toute la jeunesse estudiantine et le monde universitaire, adulée des groupes gauchistes, est vendue, puis contrainte de fermer ses portes, en 1976.

    Difficile transition

    Les éditions, elles, ont le vent en poupe. De nouvelles collections sont créées – dont la fameuse « Petite collection Maspero », la PCM. Au total, en quelque vingt-quatre années d'existence, plus de 1 350 titres et une dizaine de revues sont publiés. De Pierre Vidal-Naquet à Gérard Chaliand ou à Louis Althusser, d'Elisabeth Roudinesco à Bernard Henri-Lévy ou à Tahar Ben Jelloun, nombre de figures connues ont été éditées par « Masp », comme certains de ses proches le surnomment. Ce n'est qu'en 1982 que François Maspero se décide à passer la main. Sa fille Brigitte, pas plus que son fils Louis ne souhaitent prendre la relève. Les clés de la maison sont données à un jeune collaborateur, François Gèze, qui assure la – difficile – transition et prend la tête de la maison, rebaptisée désormais La Découverte.

    L'heure de la retraite n'a, pourtant, pas sonné. Au contraire. Traducteur de John Reed et d'Eduardo Mendoza, ami du cinéaste Chris Marker, de l'éditeur José Martinez ou du journaliste Sadek Aissat, l'homme aux liens et aux talents multiples, ce « gardien de phare », comme dit de lui l'acteur Michel Piccoli, cet amoureux de l'image et des mots, se met lui-même à écrire. La plupart de ses romans – parmi lesquels Le Sourire du chat (1984), Le Figuier (1988), Le Temps des Italiens (1994) ou La Plage noire (1995), tous édités au Seuil – sont des plongées dans le passé, des contre-plongées plutôt, tant elles éclairent d'une lumière douce et neuve des périodes ou des rêves révolus.

    L'Algérie, qui fut au cœur de sa vie d'éditeur, lui inspire un livre magistral, L'Honneur de Saint-Arnaud (1992, réédité en 2012, Le Seuil). D'autres livres, mi-documentaires, mi-reportages littéraires, comme Les Passagers du Roissy-Express (1990, Seuil), alternent avec des carnets de route, publiés par Le Monde, qui entraînent le lecteur à sa suite, à Cuba, dans les Balkans, en Palestine.

    D'un caractère ombrageux, souvent bourru, François Maspero avait survécu à une tentative de suicide, en 1973. Son grand-père Gaston avait fait graver sur sa tombe, rappelle-t-il dans Les Abeilles & la Guêpe, ces deux mots italiens : « Ma spero » (« mais j'espère »). Dans ce même livre, évoquant les morts qui le hantent, il concluait : « Il est surtout utile d'aimer les vivants. Les vrais. »

    DATES

    19 janvier 1932 : naissance à Paris.
    1957 : ouverture de la librairie La Joie de lire.
    1959 : naissance des éditions Maspero.
    1984 : premier roman, Le Sourire du chat.
    11 avril 2015 : Mort à Paris, à 83 ans.