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De plus en plus d’Allemands sous-traitent leur doctorat
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Au moment où Educpros publie une enquête « Thèse : attention au plagiat ! », nous reproduisons ici, une fois n’est pas coutume, un article paru dans 7 sur 7 (Belgique), le 19/02/13, article lui-même basé sur une enquête du journal Der Spiegel, il y a deux ans.
En Allemagne, beaucoup de carriéristes ont besoin d’un titre universitaire pour faire évoluer leur carrière. Souvent trop occupés, ils emploient des nègres pour faire le travail à leur place. Un de ces nègres révèle au journal Der Spiegel les imperfections du système éducatif allemand.
Un nouveau travail vient de rentrer : 200 pages à écrire pour dans quatre semaines sur la gestion d’entreprise, en anglais. Christian est assis dans sa chambre à Francfort, dans un appartement en collocation. Il porte un pull en laine, une écharpe, des lunettes et des pantoufles confortables. Sa chambre est à peine décorée et les seuls meubles qu’il possède sont un lit et un bureau sur lequel sont posés des classeurs et des textes juridiques, ainsi que de la littérature classique. Il aime la fiction et les pièces de théâtre, mais ne lisait par le passé que des livres non romanesques. « Quand j’avais 13 ans, je voulais un livre de Nietzsche pour noël ! », s’exclame l’homme de 33 ans, avec un grand sourire. Christian est intelligent, peut-être trop, d’après lui. Il n’y a presque aucun métier pour lui mis à part écrire des travaux universitaires pour les autres. Il y a de cela quatre ans, après avoir fini son doctorat en philosophie, il a posé sa candidature chez un éditeur mais n’a pas décroché le poste. « J’étais trop qualifié ». « Trop cher et trop ambitieux », selon lui. Il n’a pas de collègues de travail ni de patron derrière lui. Il ne doit jamais retirer ses pantoufles. Mais pour trouver un équilibre, il est metteur en scène amateur dans un théâtre et répète deux soirs par semaine. Il n’envisage pas de faire carrière dans le théâtre, ni dans aucun autre domaine d’ailleurs. Il se dit trop peu connu pour devenir écrivain, trop qualifié pour devenir éditeur, et trop érudit pour le journalisme. Il ne veut pas devenir professeur non plus parce que cela l’obligerait à mettre certains sujets de côté. Il a appris l’existence des agences de nègres, très peu nombreuses en Allemagne, dans une revue de ressources humaines, et très vite, il travaillait pour l’une d’entre elles. Son premier travail était un essai. De plus gros contrats ont suivi, notamment des doctorats en droit, en science politique, en gestion d’entreprise, en histoire de l’art et en sociologie. « Je trouve cela merveilleux de découvrir des choses. Aucune autre profession ne me permettrait d’engranger autant de connaissances ». Souvent, on ne lui donne qu’un sujet général et c’est à lui de déterminer la problématique. Parfois, il ne connaît même pas le nom de l’université, du promoteur ou du client. Il échange un minimum d’e-mails, anonymes, mais sait lire entre les lignes. « Ce sont des gens qui n’ont absolument aucune ambition intellectuelle. En voyant leurs fautes d’orthographe, on sait tout de suite qu’ils ne sont pas capables d’obtenir un doctorat seuls ». Mais il s’assure que ceux-ci l’obtienne tout de même. Le jeune homme est détendu. Sa méthode est de ramener un sujet à l’essentiel. Mais comment fait-il pour se familiariser avec un nouveau sujet aussi rapidement? « Evidemment, il faut avoir une très bonne connaissance du domaine. Alors, quand un sujet m’intéresse, j’ouvre une encyclopédie, j’apprends la terminologie et j’écris un plan. De là, je remplis les pages ». Il a mis cinq ans à écrire son propre doctorat. Cela a demandé beaucoup d’efforts, de passion et d’aide financière. Aujourd’hui, dans son travail, trois mois lui suffisent pour honorer chaque commande, et jusqu’à présent, tous ses travaux ont été validés par les universités.
Anomalies Christian n’est pas surpris par ce phénomène. « La relation professeurs-doctorants est souvent réduite au minimum syndical ». Pour lui, ce sont souvent ces mêmes professeurs qui ferment les yeux sur la supercherie. « Un véritable promoteur serait capable de deviner que le style et le niveau intellectuel du texte ne correspondent pas au doctorant ». Voilà pourquoi il ne se sent pas coupable. « Si les universités fonctionnaient normalement, mon travail n’existerait pas ». Il ne demande aucune reconnaissance: il l’a déjà obtenue avec son doctorat. De plus, il est payé. Une page coûte entre 60 et 100 euros, dont la moitié revient à l’agence. L’honoraire est revu à la hausse pour les sujets particulièrement difficiles. L’intérêt pour les diplômes universitaires se fait croissant en Allemagne, ce qui révèle aussi les dessous de la montée de la fraude doctorale, même dans les plus hautes sphères gouvernementales. La ministre de l’Education allemande, Annette Schavan, s’est récemment vue retirer son doctorat et a été forcée de démissionner lorsque son université à annoncé que sa thèse de doctorat avait été plagiée. Il y a deux ans, Karl-Theodor zu Guttenberg avait lui aussi démissionné pour les mêmes raisons. Sa thèse aurait été écrite par un nègre. Cela n’a pas entraîné de réactions négatives. Bien au contraire: ces cas ont permis à beaucoup de personnes d’apprendre l’existence des agences. Depuis le début des années 2000, le nombre de nègres comme Christian a augmenté, et les prix sont tombés.
Qu’en dit la loi? L’agence la plus importante et la plus vieille existe depuis plus de 20 ans. Etant donné que la concurrence pourrait utiliser l’information contre elle devant la justice, l’agence ne peut plus indiquer le nombre de personnes qu’elle emploie. « Je ne peux pas donner le chiffre exact », indique le créateur de l’entreprise. « Mais ce nombre pourrait tout à fait comporter cinq chiffres ». Sur son site internet, l’agence se décrit comme une agence de textes et d’écriture académiques. Selon le pdg, il ne s’agit pas de dissertations pour des carriéristes fainéants mais de textes de recherche destinés aux entreprises et aux universités, notamment des études médicales destinées à l’industrie pharmaceutiques, domaine dans lequel l’auteur n’a pas d’importance. « Les groupes de travail universitaires ayant peu de capacités commandent des textes dans le domaine linguistique, littéraire, musical et artistique ». Certaines agences, en revanche, disent ouvertement prendre le relai pour aider des universitaires débordés. Ces agences restent dans le cadre légal étant donné qu’elles font signer à leurs clients une déclaration selon laquelle le texte ne sera utilisé que pour des besoins de formation. Cependant, la cour de justice de Düsseldorf en doute. L’année dernière, lors d’un jugement, elle a déclaré que les personnes impliquées dans ce business, y-compris les nègres, savaient pertinemment que les travaux étaient également soumis aux universités. La cour a indiqué qu’il s’agissait « d’un service interdit et immoral ». Selon la réglementation universitaire, les personnes faisant appel à ce service risquent au minimum de perdre leur licence voire de payer des amendes salées. La plupart des universités exigent une déclaration par laquelle l’étudiant assure avoir rédigé son travail lui-même, ce qui est risqué légalement. Pour Christian, « ceci est une bonne chose parce que la fraude universitaire est grave »: le nègre méprise le système dont il profite lui-même.
Des portes ouvertes Christian a honte de ne pas produire de textes universitaires pertinents, de ne faire qu’ouvrir des portes aux carriéristes. « Je ne trouve pas cela très sexy d’aider des abrutis à percer ». Beaucoup gagnent énormément d’argent, mais sont coincés dans leurs carrières. Ils ont donc besoin d’un diplôme universitaire pour aller plus loin. Les 20 000 euros qu’ils payent pour faire faire le travail affectent à peine leur porte-monnaie. Et grâce à des personnes comme Christian, les riches s’enrichissent davantage. « Tout est à vendre: le sexe, les gens, les doctorats. Je ne représente qu’un maillon de la chaîne capitaliste ».