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L’Euro, la Grèce et le référendum

Grèce international

Lien publiée le 15 mai 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://russeurope.hypotheses.org/3818

Par Jacques Sapir

On parle beaucoup d’un possible référendum sur le maintien de Grèce dans la zone Euro actuellement. Même le Ministre allemand des finances, M. Schäuble, s’est prononcé en faveur d’une telle consultation. Cette soudaine passion pour les référendums, survenant pratiquement dix années après le référendum français sur le projet de traité constitutionnel, est touchante. Les mêmes qui avaient tout fait pour que la parole du peuple français (55% de « non » ne l’oublions pas) soit oubliée se découvrent subitement une âme référendaire. S’il n’y allait pas du sort de la Grèce, et des principes démocratiques, que l’Union européenne ne cesse de fouler aux pieds, il y aurait de quoi rire aux éclats. Et d’ajouter, à l’encontre de tous ces partisans nouveaux de la pratique référendaire, de ces hommes politiques qui viennent avec un grand sourire nous présenter leur nouvelles bonnes résolutions, « pas ça, pas vous ». Car, cette question des référendums est sérieuse. Il convient d’en clarifier les tenants et aboutissants.

Une option inapplicable.

En réalité, l’option d’un référendum sur une sortie de l’Euro est inapplicable. Dans un texte posté sur un site de la gauche américaine, Stathis Kouvelakis écrit ainsi « Le temps est venu d’expliciter le contenu et d’expliquer la viabilité de la stratégie alternative, qui commence avec la double initiative de la suspension des remboursements de la dette et de la nationalisation des banques, et qui se poursuit, si nécessaire avec le choix d’une monnaie nationale approuvée par le public au cours d’un référendum populaire »[1]. De fait, c’est aussi, entre autres, la position de Schäuble. Mais il convient de considérer deux facteurs qui – dans le cas de la Grèce – rendent justement le recours à une procédure référendaire inapplicable :

  1. Un référendum exige un minimum de campagne, d’une durée de 6 semaines (au plus juste) et plus probablement de 12 semaines. Or, les mécanismes de la spéculation monétaire se déclenchent à l’horizon de minutes, voire d’heures. La temporalité d’élections, aussi souhaitables soient elles, n’est tout simplement pas compatible avec le spéculation monétaire. Cette spéculation se manifestera avec une force extrême, sauf si l’on décide de fermer les marchés financiers grecs, et pas seulement les marchés obligataires mais aussi les marchés d’action. On est en présence d’un cas extrême de la spéculation, qui ne pourra être réduit par l’application d’un simple contrôle des capitaux. Il faudra fermer les marchés financiers. Mais, si la fermeture de tous ces marchés est possible, elle ne l’est que pour quelques jours ou l’on change progressivement de système économique. Si la Grèce (et n’importe quel autre pays) devaient laisser l’ensemble des marchés financiers fermés pour plusieurs semaines, on prend le risque de voire l’économie changer de nature, et les investisseurs déserter le pays. La conclusion s’impose alors d’elle-même : il n’est pas possible de tenir un référendum sans déclencher un spéculation massive, et cette spéculation non seulement sera très destructrice pour l’économie ou alors impliquera que le gouvernement ait recours à des modes de contrôles allant bien au-delà d’u simple contrôle des capitaux. Mais, cela aura alors des conséquences politiques importantes, qui sont de nature à fausser le résultat d’un tel référendum.
  2. Un référendum ne fait sens que dans la mesure où il permet une validation démocratique. Mais, un référendum qui se tiendrait en plein milieu d’une spéculation déchaînée ne permettrait pas aux règles de la démocratie de s’appliquer. On serait loin du débat ouvert que l’on est en droit d’attendre avant un référendum, et qui eut lieu dans le cas des deux référendums de 1993 (Maastricht) et de 2005 (sur le projet de traité constitutionnel). Dès lors, privé du débat serein (même s’il est passionné) un référendum n’est plus une procédure démocratique. Cette dernière nait de la combinaison du débat (dans le cadre de la campagne) et du vote. Or, il faut craindre que dans cette campagne, qui sera par nécessité relativement courte, s’expriment non pas des idées mais des pressions, sous la forme justement de la spéculation. Les conséquences politiques de cette dernière vont fausser le débat, et par voie de conséquences vicier l’ensemble de la nature démocratique de la procédure référendaire.

On le constate, un tel référendum n’est pas praticable sauf à considérer que le référendum n’est là que pour légitimer une décision déjà prise. Mais, l’argument d’impraticabilité du référendum n’est pas le seul que l’on puisse invoquer. Il est douteux que, sur une telle question (la Grèce, ou un autre pays, doit elle rester dans l’Euro ou quitter la zone Euro) un référendum soit la procédure adaptée.

La logique des procédures référendaires et l’action gouvernementale.

Les procédures référendaires sont destinées à redonner de la légitimité à un système démocratique en mobilisant une forme directe de souveraineté populaire. En cela, elles sont un instrument irremplaçable des systèmes démocratique. Mais, la souveraineté populaire doit être mobilisée pour trancher de questions politiques et non des questions techniques ou des questions de société. Sinon, on transforme une procédure de légitimation démocratique en un instrument politique divisant profondément la société et visant en réalité à introduire des normes techniques (ou morales) dans l’espace politique.

La tradition tant française qu’internationale fait du référendum l’instrument pour trancher des questions de souveraineté (comme l’indépendance) ou des traités. Or, la question de l’Euro est en partie une question de souveraineté, mais en partie aussi une question technique, qui est susceptible de connaître de multiples réponses. De ce point de vue, si la question de l’appartenance ou non à l’Union européenne peut parfaitement être tranchée par un référendum, il est douteux qu’il en soit ainsi sur la question de l’Euro. Car, à quelles questions les citoyens auraient-ils à répondre ? Faudrait-il dire « êtes-vous pour ou contre l’Euro », ou « êtes-vous pour l’Euro au prix de politiques d’austérité renforcées ou contre ces politiques », ou enfin « êtes vous pour un Euro avec un mécanisme de solidarité et de transfert entre les pays membres ou contre l’Euro » ? On ne peut multiplier les questions posées sous peine de vider la procédure référendaire de son sens et de son esprit.

En fait, il faut reconnaître la légitimité de l’action gouvernementale à traiter de problèmes qui peuvent être très fortement contextualisés. La question qui se pose en Grèce (ou qui se poserait dans un autre pays) n’est pas celle de l’Euro en général mais celle de l’Euro dans le contexte de la logique de l’austérité et plus précisément de l’affrontement entre l’Eurogroupe et le gouvernement grec. Nous sommes ici dans une situation qui peut être assimilée à un état de guerre économique, qui empêche le fonctionnement normal des institutions dans le cadre normal. En cela, cette question relève de la décision exceptionnelle, celle que le gouvernement peut prendre dans le cas d’un état d’exception et où il peut s’affranchir temporairement du respect de la lettre de la loi et des traités afin d’assurer la survie de la Nation et de reconstituer le cour normal des événements. De ce point de vue, il faut reconnaître que l’état d’exception se caractérise par la suspension de certaines normes de la légalité dans le but de reconstruire les conditions d’exercices de ces mêmes normes. Le fait de prendre des mesures dites exceptionnelles traduit le fait que le gouvernement est bien souverain.

Ainsi, ce serait une erreur d’abdiquer la responsabilité gouvernementale et de se réfugier derrière l’argument du « choix démocratique » (qui n’en serait pas un) à travers la mise en place d’une procédure référendaire. La situation de la Grèce (mais ceci pourrait être transposable dans d’autres pays) est celle d’une urgence économique qui interrompt le cours normal des règles et des lois. Pour rétablir ce cours, ce qui est l’essence même de la démocratie, on ne peut agir suivant les règles et les lois mais il faut avoir recours à des mesures d’exception dont la finalité sera de ramener la situation à la normale. Ceci, dans l’esprit même de la démocratie, est le propre de l’action du gouvernement, et qui plus est d’un gouvernement récemment élu de manière parfaitement démocratique, qui est censé être le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Ce gouvernement doit, maintenant, assumer ses responsabilités.

[1] www.jacobinmag.com/2015/05/kouvelakis-syriza-ecb-grexit/(http://www.jacobinmag.com/2015/05/kouvelakis-syriza-ecb-grexit/)