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Espagne - Les "indignés" aux portes de Barcelone
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Favorite pour les élections prévues le 24 mai, la gauche radicale veut réguler le tourisme
Les hasards n'existent pas. Barcelone, la ville rebelle qui, au début du XXe siècle, était connue pour la vigueur de son mouvement anarchiste, la force de ses luttes ouvrières et son combat contre la dictature, est aujourd'hui en passe de devenir la première grande ville espagnole gouvernée par les héritiers du mouvement des " indignés " de mai 2011.
Si le sondage du Centre de recherche sociologique (CIS) du 7 mai voit juste, la plate-forme citoyenne " Barcelone en commun " (Barcelona en comú) pourrait remporter les élections locales et régionales du 24 mai dans la capitale catalane (1,6 million d'habitants), avec près de 26 % des voix, sept points de plus que son principal rival, la coalition de la droite nationaliste Convergence et Union (Convergencia e Unio, CiU). Proche des milieux d'affaires et de la haute bourgeoisie catalane, éclaboussée par plusieurs affaires de corruption, CiU contrôle actuellement la ville de Barcelone et le gouvernement catalan.
D'autres enquêtes d'opinion, plus récentes, placent les deux formations au coude à coude, mais une chose est sûre : ce duel relègue les autres partis, socialistes et indépendantistes de gauche notamment, à un rôle de figuration. Barcelone en commun n'est pas un parti. " C'est un projet mené par la ville ", assure Ada Colau, 41 ans, sa tête de liste, militante bien connue des Espagnols pour avoir mené la lutte contre les expulsions immobilières ces dernières années.
Cette plate-forme citoyenne intègre le nouveau parti de la gauche radicale Podemos, les écologistes et le mouvement social d'extrême gauche Procés Constituent (" Processus constituant ") mené par la religieuse Teresa Forcades, ainsi que de nombreux militants issus du monde culturel, des associations de voisinage et du fort tissu social barcelonais.
" Droit à décider "
En mettant en avant la question de la redistribution des richesses et la lutte contre la corruption, elle relègue le projet indépendantiste au second plan, se prononçant simplement en faveur du " droit à décider ", c'est-à-dire à la tenue d'un référendum d'indépendance, sans prendre position. Une victoire de cette plate-forme supposerait une rupture avec la politique menée ces quatre dernières années par le maire, Xavier Trias (CiU), laquelle a été " centrée sur les beaux quartiers du centre-ville, délaissant les districts populaires où sévissent le chômage et la crise immobilière ", rappelle le politologue Josep Ramoneda.
L'équipe d'Ada Colau a couché sur le papier 120 mesures d'un programme élaboré à partir des propositions " d'un millier de sympathisants " et de l'apport " d'économistes, de juristes et de techniciens ", dont l'objectif est d'abord la redistribution des richesses. Elle entend remunicipaliser la gestion de l'eau – comme l'a fait Paris, rappelle-t-elle à ceux qui la qualifient de radicale. Elle souhaite introduire un revenu minimum de 600 euros pour les familles démunies, augmenter le nombre de logements sociaux, quitte à réquisitionner les appartements vides aux mains des banques, baisser les prix de l'électricité et du gaz ou encore introduire une monnaie locale, sur le modèle de Toulouse.
Le salaire des cadres de la municipalité sera limité à 2 200 euros mensuels. Chacun sera soumis à une limitation des mandats et -devra rendre des comptes devant les -citoyens.
Mais le point le plus polémique de son programme est son intention de réguler le tourisme, secteur qui représente 12 % du PIB, en appliquant un moratoire sur l'ouverture de nouveaux hébergements touristiques le temps que soit rédigé un plan urbanistique de régulation. Elle considère le tourisme " hors de contrôle, responsable de l'augmentation des prix, de problèmes de cohabitation avec les habitants, de la destruction du tissu social et économique de quartiers entiers et de la banalisation et saturation du paysage urbain ".
Marchandisation des quartiers
Barcelone, ville rebelle, culturelle, créative, veut retrouver son âme. Les touristes ont envahi ses rues, au risque de la transformer en une ville musée. La marchandi-sation des quartiers du centre a mis à mal les petits commerces qui font son charme. Le luxueux port de plaisance Marina Port Vell destiné aux grands yachts menace le quartier populaire de la Barceloneta devant lequel il a été construit. Pendant la crise, les inégalités ont fortement augmenté. La classe moyenne s'est réduite. Le fossé entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres a augmenté de 40 %. Plus d'un tiers des Barcelonais appartiennent désormais aux classes pauvres ou très pauvres.
Une victoire d'Ada Colau ne lui suffirait cependant pas pour prendre le contrôle de la ville. " La fragmentation du vote va obliger les formations à sceller des alliances et il reste à voir comment construire des coalitions, " explique M. Ramoneda, qui augure " un vote anti-Colau significatif par des gens effrayés ".
Sandrine Morel