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Peyrelevade, l’Euro et la vérité
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
On peut être un ex-haut fonctionnaire, un ex-grand banquier, et dire des choses stupides, voire mensongères. Jean Peyrelevade nous en fait la démonstration. On sait que cet homme de pouvoir et d’influence est l’un des plus fanatiques défenseur de l’Euro. C’est son droit. Mais, argumentant cette défense et illustration des « bienfaits » de l’Euro, il montre sa suffisance et son insuffisance, et en passant le mépris en lequel il tient ses lecteurs. Cette démonstration, il nous l’assène dans les colonnes du journal Les Echos où il tient une rubrique régulière[1].
Jean Peyrelevade l’arrogant.
Commençons par le commencement. Le titre de son article est calamiteux. Par définition, et surtout en économie, rien n’est indissoluble. Et certainement pas les unions monétaires dont l’Euro (ou plus exactement l’Union Economie et Monétaire) n’est qu’un exemple parmi d’autres. S’il voulait persuader son lecteur des avantages de l’Euro, ou des risques de sa dissolution, il eut dû intituler son article « Les dangers d’une dissolution ». Mais, tout à sa suffisance, il révèle son insuffisance. Mesdames, messieurs, on ne bouge plus, les choses sont figées pour l’éternité car le grand prêtre a parlé : l’Euro est indissoluble. Oui, écoutez cette révélation ; quand bien même la terre serait engloutie par le soleil l’Euro existerait toujours dans les siècles des siècles… Nous ne sommes plus dans l’économie mais dans la croyance religieuse. C’est l’expression de la foi du charbonnier.
Monsieur Peyrelevade ignore visiblement que de très nombreuses Unions Monétaires se sont défaites au XXème siècle. On en compte en fait plusieurs dizaines. Les cas les plus spectaculaires furent l’Union Latine (qui dura de 1914 à 1927), ou l’Union Scandinave (qui dura de 1914 à 1924). Mais, il faut aussi y intégrer la dissolution de l’Empire Austro-Hongrois[2]. Où peut-être le sait il fort bien en réalité. Et c’est pour cela qu’il affirme si fort ce qu’il sait bien, en réalité, être faux. C’est un exemple typique où la (mauvaise) foi religieuse ne peut convaincre que par la répétition des plus énormes contre-vérités. Ainsi, Peyrelevade est-il d’autant plus péremptoire que, comme un avocat défendant une mauvaise cause, il cherche à emporter l’adhésion non par la rigueur de son raisonnement mais par la mobilisation de catastrophes supposées et à venir. On connaît la valeur de ce procédé et on lui préfèrera la rigueur d’un Paul de Grauwe, qui en 2014 annonçait que la crise de l’Euro était en réalité à venir.[3]. Signalons, enfin, que visiblement Peyrelevade ignore que l’un des fondateurs de l’Euro, Oskar Lafontaine, alors dirigeant du SPD, a fait sur cette question de l’Euro une véritable volte-face à l’occasion de la crise chypriote, et qu’il se prononce désormais pour la dissolution de la zone Euro[4].
Jean Peyrelevade et la compétence économique.
Dans la liste des catastrophes qui est ainsi dressée nous avons droit à ce qui se prétend une analyse du bilan des banques mais qui ne repose sur aucune source. Quand Peyrelevade par des actifs et des passifs des banques, il ne fournit aucun chiffre, alors que ceux-ci sont disponibles et ont été publiés, entre autres parNomura[5].
Tableau 1
Si son raisonnement est aussi désincarné, ce qui pour le coup nous semble bien curieux quand on connaît le parcours professionnel de notre Grand Prêtre, c’est parce que le recours à des sources et des chiffres montrerait qu’il ne dit pas la vérité.
Il nous présente, ensuite, un tableau véritablement apocalyptique des conséquences de la fin de l’Euro pour l’économie française. Mais, si ces conséquences étaient aussi dramatiques – alors que nous sommes 66 millions d’habitants en France – comment font les Suédois, qui sont environ 10 millions et qui sont eux-aussi fort intégré dans l’économie européenne, pour survivre sans être membres de l’Euro ? Tout à sonhybris pro-Euro, Peyrelevade ne se rend pas compte que son argumentation est constamment contredite par des exemples bien réels de pays européens qui connaissent une croissance d’ailleurs plus forte que celle de la France sans être pour autant partie prenante de la zone Euro. Ceci n’est pas sans nous amener à nous interroger sur le point de vue de jean Peyrelevade. D’où parle-t-il ? Depuis ses compétences économiques, dont on veut bien croire qu’elles existent ? Mais alors, pourquoi ne prend-il pas en compte tous les travaux qui démontrent, chiffres à l’appui, que l’Euro n’a pas eu les conséquences que l’on en attendait ?
En fait, plusieurs éléments ont conduit à une remise en cause fondamentale des résultats des travaux qui nous avaient promis le paradis avec l’Euro. Capitalisant sur près de vingt ans de recherches sur le commerce international et les modèles de gravité[6], Harry Kelejian (avec G. Tavlas et P. Petroulas) ont ainsi repris les diverses estimations des effets d’une union monétaire sur le commerce international des pays membres[7], et ils aboutissent a des résultats qui sont dévastateurs. Ainsi, l’impact de l’Union Economique et Monétaire sur le commerce des pays membres est très loin des estimations mêmes les plus pessimistes des travaux antérieurs. En dix ans, on assiste à une réduction tout d’abord de 10 à 1 (de 200% à 20%[8]) de ces effets supposés, puis à une nouvelle réduction ramenant la taille de ces effets de 20% à une moyenne de 5% (un facteur de 4 à 1)[9]. Les effets de persistance du commerce semblent avoir été largement sous-estimés, et inversement les effets positifs d’une union monétaire tout aussi largement surestimés, très probablement pour des raisons politiques. Les mêmes arguments servent aujourd’hui à accréditer l’idée qu’une dissolution de l’Euro serait une catastrophe, mais cette fois de manière inversée. C’est la méthode utilisée par Peyrelevade pour « prédire » un effondrement du commerce international des pays concernés et donc une chute du PIB dans le cas d’une sortie de l’Euro. Or, si l’effet sur le commerce international créé par une zone monétaire est faible, il faut en déduire qu’inversement l’effet des prix (ce que l’on appelle la « compétitivité coût ») est nettement plus important que ce qu’en dit le discours dominant[10]. Ceci redonne toute son importance aux dévaluations pour restaurer la compétitivité de certains pays. Il ignore, de même, que des études ont été faites, en France dans des services de recherches et y compris au sein de Banques Centrales, et qui ne sont pas du tout aussi catastrophistes que ses prédictions[11].
La réalité est que Jean Peyrelevade prétend parler au nom d’une compétence économique, mais fuit toute possibilité de vérification et surtout toute référence à des travaux universitaires et appliqués qui sont indiscutables. Il ne suffit donc pas d’être arrogant, encore faut-il être incompétent.
Peyrelevade fâché avec le droit et la vérité.
Il reste un dernier point, qui démontre de la manière la plus flagrante la mauvaise foi de Jean Peyrelevade. Dans son article il dit ainsi : « Il est vrai que le cher Jacques Sapir a inventé un concept juridique nouveau, qu’il appelle pompeusement la « lex monetae ». D’après lui, une dette publique ou privée émise en droit français doit être réglée dans la monnaie ayant cours légal en France, quelle qu’elle soit. Si l’on abandonne l’euro et que l’on passe au franc, les créanciers étrangers seront contraints par la force du droit d’accepter la nouvelle monnaie, même fortement dévaluée. Bon moyen, pour tout pays, d’alléger sa dette externe : il lui suffit de changer de monnaie ! ». Simplement, ce n’est pas moi qui est « inventé » cette notion ou ce « concept juridique ». C’est Julian Wiseman qui, dans un texte datant de 1999, a le premier (et le plus justement) décrit ce concept et donné ses sources. Car, on est bien devant un principe du droit. Je fournis la citation exacte, en m’excusant devant mes lecteurs pour sa longueur : «The application of the principle of “lex monetae” or the “state theory of money”, which is a universally accepted principle of law, should ensure the continuity of existing contracts also in third countries’ jurisdictions. As set out by F.A. Mann[12] , it is the law of the currency (“lex monetae”) that determines how in case of a currency alteration, sums expressed in the former currency are to be converted into the new one. The underlying assumption is that money as a legal construction is subject to the power of the State. It is held that each State exercises its sovereign power over its own currency, and that no State can legislate to affect another country’s currency. From this it follows that it must be the law of the currency which determines what is money and what nominal value is attributed to it. Applied to the introduction of the euro this means that in non-EU jurisdictions which respect the principle of “lex monetae”, references in contracts set up in the currency of a participating Member State will be interpreted with reference to European law, which is directly applicable in each of the participating Member States. (…) Moreover, Article 3 of the Council Regulation (EC) No 1103/97 confirms the principle of continuity of contracts and other legal instruments. European Commission contacts with third countries’ governments and market participants have shown that the principle of “lex monetae” or the “state theory of money” is indeed followed in the main financial centres of the world »[13].
Ceci montre bien que Peyrelevade ignore les principes fondateurs du droit international, à l’inverse de la Commission européenne. Or, il exerça des fonctions bancaires à haut niveau et, on le sait, nul n’est censé ignorer la loi…Ce qui, d’ailleurs pose de nouveau un problème. Ignore-t-il réellement ce principe juridique, dont on voit qu’il est reconnu et validé depuis maintenant fort longtemps, auquel cas on peut se demander quelles étaient ses compétences réelles de grand banquier ou bien affecte-t-il de nous faire croire en son ignorance, auquel cas le passage cité plus haut relève du mensonge pur et simple.
Il procède de la même manière, qui est à vrai dire assez crapuleuse, quand il ajoute : « Passons sur les années de disputes et procès devant les tribunaux du monde entier, les avoirs français à l’étranger systématiquement saisis par les créanciers et l’accès aux marchés financiers définitivement fermé.
Jacques Sapir, et avec lui Florian Philippot, oublient une chose simple : si le coût de la dévaluation n’est pas supporté par le débiteur, il le sera, pour un montant symétrique, par le créancier. Ce que le premier ne paye plus est une perte pour le second. Que le partage soit fait théoriquement aux dépens plutôt de l’un ou plutôt de l’autre n’a qu’une importance relative. Dans tous les cas, la France serait exclue du jeu international, et le système financier mondial plongé dans une crise systémique profonde. Lehman a disparu, ce qui a entraîné la faillite de maintes banques. Un Lehman, cela ne vous suffit-il pas, chers souverainistes ? Mettez donc m’en trois ! [14]». Il n’y aura aucune procédure judiciaire, car les supposés plaignants savent parfaitement (eux…) ce que la lex monetae implique. Ils savent qu’ils seraient déboutés aux dépens par les tribunaux. La France ne serait nullement exclue des marchés financiers, ce que l’on a constaté pour tous les pays ayant effectué une dévaluation, et même dans le cas extrême d’un défaut de paiement. Le choc sur le système bancaire serait important, mais en réalité parfaitement gérable et ce d’autant plus que l’on se déciderait à dissoudre d’un commun accord l’Euro.
Ce que l’on voit à travers ces lignes c’est comment un homme qui a eu de hautes responsabilités se croit désormais tout permis et autorisé à proférer les mensonges les plus impudents et les contre-vérités les plus éhontées, en les couvrant du manteau de cette prétendue autorité morale que lui confèrerait ses anciennes hautes fonctions. Tout ceci est assez ignoble et nous en dit long sur la moralité et la mentalité du personnage. S’il devait se réincarner en Pinocchio, le nez de Jean Peyrelevade ferait ainsi quelques kilomètres.
Notes
[1] Peyrelevade J., « L’Euro est indissoluble », in Les Echos, 20 mai 2005, http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/02176719490-leuro-est-indissoluble-1120887.php
[2] Voir Bordo M. et Janung L., « The Future of the EMU : What does the history of monetary unions telle us ? », National Bureau of Economic Research, Harvard, Cambridge, Mass., 1999. Voir aussi Garber, P. et Spencer, M., “The Dissolution of the Austro-Hungarian Empire: Lessons for Currency Reform”, Essays in International Finance, No 191, Février 1994 ; et Goodhart, C. A. E., (1995), “The Political Economy of Monetary Union”, chapitre 12 in P. Kenen, ed., Understanding Interdependence. The Macroeconomics of the Open Economy, Princeton University Press, Princeton.
[3] Haldner T., interview de Paul de Grauwe, «The calm in the Eurozone is only temporary», in Finanz und Wirtschaft, 24 mars 2014, http://tablet.fuw.ch/article/the-calm-in-the-eurozone-will-only-be-temporary/
[4] Le texte d’origine se trouve dans le journal Neues Deutschland à l’adresse suivante : http://www.neues-deutschland.de/artikel/820333.wir-brauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem.html ainsi que sur le blog d’oskar Lafontaine : http://www.oskar-lafontaine.de/links-wirkt/details/f/1/t/wir-brauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem/
[5] Sur ce point, on renvoie au livre publié par l’un des principaux analyste de Nomura, Nordvig J., The Fall of the Euro, MacGraw Hill, New York-Londres-Chicago, 2013.
[6] Flam, H., Nordström, H. (2006), « Trade volume effects of the euro: aggregate and sector estimates »,IIES Seminar Paper No. 746. Baldwin R. (2006) « The euro’s trade effects » ECB Working Papers, WP n°594, Francfort. Baldwin R. et al. (2008), « Study on the Impact of the Euro on Trade and Foreign Direct Investment », Economic Paper, European Commission, n° 321.
[7] Kelejian, H. & al. (2011), « In the neighbourhood : the trade effetcs of the euro in a spatial framework »,Bank of Greece Working Papers, 136
[8] Du travail initial de A.K. Rose datant de 2000 mais réalisé en fait entre 1997 et 1999 « One money, one market: the effect of common currencies on trade », Economic Policy 30, op.cit., au travail de R. Glick et A.K. Rose, datant de 2002, « Does a Currency Union Affects Trade ? The Time Series Evidence », op. cit..
[9] Bun, M., Klaasen, F. (2007), « The euro effect on trade is not as large as commonly thought», Oxford bulletin of economics and statistics, op.cit., vont même jusqu’à estimer l’effet « positif » de l’UEM à 3%, ce qui le met largement dans l’intervalle d’erreurs de ce genre d’estimations.
[10] C’est d’ailleurs le sens d’une note rédigée par P. Artus, « C’est la compétitivité-coût qui devient la variable essentielle », Flash-Économie, Natixis, n°596, 30 août 2013.
[11] Kawalec S. et Pytlarczyk E., Controlled dismantlement of the Eurozone: A proposal for a New European Monetary System and a new role for the European Central Bank, National Bank of Poland, Working Paper n°155, Varsovie, 2013.
[12] Mann F.A., The Legal Aspect of Money: With Special Reference to Comparative Private and Public International Law, Clarendon Press, Cambridge, 1992
[13] http://www.jdawiseman.com/papers/finmkts/emu-breakup.html
[14] Peyrelevade J., « L’Euro est indissoluble », op.cit..