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Ukraine. Les mineurs du Donbass vont au charbon contre Kiev

international Ukraine

Lien publiée le 9 juin 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Reportage. Peu engagés au début du conflit, les mineurs de la région de Donetsk rejoignent de plus en plus les bataillons armés de la rébellion anti-Kiev. La lutte contre le fascisme et la défense de leur outil de travail menacé par les bombes ukrainiennes ont accéléré ce processus de militarisation.

Debaltsevo et Donetsk (est de l’Ukraine), 
envoyé spécial. Le visage est arraché, le corps criblé de balles. Mais la statue dorée de Lénine domine encore les ruines du centre culturel de Debaltsevo. Vestiges macabres du 17 février 2015. Ce jour-là, l’armée ukrainienne, en pleine déroute, dynamitait le bâtiment de style néoclassique, symbole de l’ère soviétique. Nous sommes trois mois avant la promulgation officielle par le président Porochenko de la loi de désoviétisation de l’Ukraine. Mais certains militaires ont pris les devants. « Ce sont des milices du Pravyi Sektor (1) qui font ça », explique Vadim Petruhin, un soldat mineur de Makiivka venu rendre visite à son unité. « Ces mecs agissent un peu comme le font les islamistes en Syrie », déplore-t-il en regardant le bâtiment éventré au pied de la statue sans figure. « S’attaquer à Lénine, c’est très blessant pour les gens du Donbass, surtout chez nous autres, mineurs de fond », reprend cet homme de cinquante ans devenu instructeur intérimaire pour l’armée populaire de la République autoproclamée de Donetsk. « Du coup, j’ai de plus en plus de travail… »

Un an plus tôt, pourtant, peu nombreux encore étaient les ouvriers des mines à avoir rejoint l’armée rebelle. « Quelques centaines tout au plus », assure Vadim, traversant les rues de la ville délabrée où des slogans anti-Kiev pullulent sur les murs. « Mort aux partisans nazis de Bandera ! (2) », « Iouchtchenko est la salope des USA ! », « Nous sommes avec la Russie », etc. « Tout ça n’existait pas il y a six mois », affirme le mineur s’approchant d’une maison en ruine transformée en casemate. La porte rouillée s’ouvre difficilement. Vladimir et Oleskander, tous deux mineurs au puits de Kalinovskaya Vostochnaya à Makiivka, tombent dans les bras de Vadim avec qui ils triment depuis des années dans les mêmes boyaux de charbon. Lebov, administratrice d’un des syndicats de mineurs de Donetsk, complète le tableau de cette famille improvisée. Dans le jardin attenant, des caisses de munitions et d’armes sont empilées. Cette partie du petit bataillon de mineurs dépêché à Debaltsevo s’occupe de la logistique des armes légères de la ville garnison. Vladimir, jeune homme taiseux d’une trentaine d’années, est devenu un officier respecté dans la zone, un des premiers mineurs de la région à s’engager. « Dès le mois de mai 2014, explique-t-il entre deux crissements de talkie-walkie, les massacres d’Odessa m’ont convaincu de prendre les armes contre Kiev. Pour moi, il s’agissait d’un acte patriotique. J’ai donc quitté la mine. Mais seul mon père m’a rejoint. On ne se séparait pas pendant les combats. Nos corps se touchaient tout le temps. Mais je ressentais de l’amertume de ne pas voir mes camarades de fond à mes côtés. » Un sentiment partagé par Vadim, arrivé quelques mois plus tard et devenu instructeur militaire. « Ma femme ne voulait pas que je parte. Elle me disait : “Tu partiras quand la guerre arrivera chez nous.” Et puis, une nuit, un obus de Kiev a atterri dans notre quartier en tuant des civils… Début juillet, je me suis engagé. Au départ, nous étions vraiment très peu. On avait des fusils de chasse, des arquebuses fabriquées à la va-vite. » C’est un parachutiste français qui formera le futur instructeur, dont les connaissances militaires acquises dans l’Armée rouge, trente ans plus tôt lors de son service en Allemagne de l’Est, remontent vite à la surface. « Mais ce qui nous motivait plus que tout, c’était le mépris que nous ressentions de la part de Kiev… comme dans des émissions à la télévision. Ils passaient leur temps à dire que les esclaves du Donbass ne feraient rien, ne bougeraient pas et obéiraient à la baguette. Maintenant, ils savent… »

Lebov, jeune femme discrète de vingt-quatre ans, du syndicat de mineurs, s’est engagée pour des raisons plus affectives. « Vous savez, nous sommes les petites-filles et les petits-fils des héros de l’Armée rouge. Mon grand-père est mort sur le champ de bataille. Il défendait le monde contre le fascisme. Aujourd’hui, c’est à notre tour de le faire. Dès que j’aurai fini ma formation militaire, je prendrai les armes pour aller sur le front à Marioupol ! » Un objectif partagé par Oleskander, à peine vingt ans, qui a, lui, pris les armes lorsque sa mine a fermé.

Six puits bombardés et une dizaine fermés pour des raisons de sécurité

Nombreux sont les mineurs au chômage aujourd’hui dans le Donbass. Sur les trente-six puits que compte actuellement le territoire de la République populaire autoproclamée de Donetsk, seuls dix-huit sont aujourd’hui en état de fonctionner. « Six d’entre eux ont été bombardés et une dizaine ont fermé pour raison de sécurité, explique Vadim. C’est pour cela, que, depuis six à huit mois, de plus en plus de mineurs ont rejoint les rangs de l’armée rebelle », se réjouit-il. La nécessité de trouver de l’argent, pour les plus jeunes, mais aussi et surtout la volonté de défendre leur outil de travail ont été décisives dans l’engagement croissant des mineurs. Grâce au travail des syndicats, ceux-ci avaient déjà compris avant le début de la guerre civile qu’avec l’accord d’association Ukraine-UE, le marché ukrainien serait complètement ouvert sur l’Europe et que les normes plus strictes de production de l’Union européenne sonneraient le glas de leur métier. Les bombardements ciblés de l’armée ukrainienne des mines du Donbass ont été ressentis comme une mise en pratique radicale du projet européen. D’après le syndicat des mineurs de Donetsk (lire interview ci-contre), sur quelque cent mille mineurs qui travaillent dans le bassin houiller, 10 000 à 20 000 d’entre eux auraient rejoint les différents bataillons de l’armée populaire de Donetsk. Réservistes et actifs compris, tout particulièrement depuis six mois.

Fin 2014, une division a même été constituée. Cette division d’environ mille hommes, la Shakhtyor Skaïa (littéralement la division des mineurs), est aujourd’hui située à soixante kilomètres au sud de Debaltsevo, à l’ouest de Donetsk, cachée dans le ventre d’un ancien dispensaire connexe d’une fabrique de coton désaffectée. Ici, ce n’est pas sur les ruines d’un ancien front que sont regroupés les mineurs, mais au contraire sur un front potentiel, en devenir. Trois kilomètres de champs incultes, de hangars et de maisons plus ou moins habitées séparent les soldats mineurs des chars de l’armée ukrainienne.

Ce jour-là, l’ambiance est pesante dans la cour de la caserne, du toit de laquelle flottent ostensiblement les drapeaux de la République autoproclamée et de l’ex-Union soviétique. « Le Voisin », nom de guerre d’un des officiers de la Shakhtyor Skaïa, tient une réunion avec quelques soldats. « Pour nous, ce drapeau rouge signifie beaucoup de choses », explique-t-il. « La faucille et le marteau, ce n’est pas de la provocation, ni une volonté de revenir dans le giron russe », reprend-il. « L’internationalisme, la solidarité, ce sont des valeurs qu’aujourd’hui nous défendons plus que jamais. L’internationalisme, c’est ce que nous opposons au fascisme de Kiev », s’enhardit le jeune homme barbu. Il faut dire que « le Voisin » sait de quoi il parle. « Je suis arrivé il y a un peu plus de six mois, relate-t-il. J’ai un passeport russe et un passeport ukrainien. J’ai d’abord été militaire en Russie. Aujourd’hui, j’ai une petite entreprise de pêche sur la mer d’Azov, tout près d’ici. Ma mère était originaire du Donbass et mon père russe, d’Oufa exactement, en République de Bachkirie. Je ne pouvais pas laisser mes compatriotes se faire massacrer. Et puis, je voulais aider les mineurs dans leur combat car mon père était mineur. »

« Nous voulons reconstruire notre société avec l’esprit de solidarité que l’on trouve à la mine »

À ses côtés, « la Mouche », grand gaillard ventru d’un mètre quatre-vingt-dix, ne regrette pas son choix lui non plus. « Je suis mineur au puits de Poltavskaya de Donetsk, mais j’habitais dans un quartier situé non loin de l’aéroport. Ça bombardait tout le temps. Mon fils de six ans avait peur. Nous sommes partis. Puis, je me suis dit qu’il fallait se battre. Alors j’y suis allé, car ce que je veux avant tout, c’est la paix. Une vraie paix. » « Le Roumain », artilleur de la Shakhtyor Skaïa et mineur de fond à AF Zasyadko, est quant à lui beaucoup plus radical. « Vous voyez ce drapeau, c’est celui de la Nouvelle Russie », invoque-t-il désignant un tissu flanqué d’un aigle à deux têtes couvant l’archange saint Michel. « Cela veut dire qu’avec Kiev, c’est terminé maintenant. Novorossia a déjà gagné. » Nulle crainte cependant de voir les mineurs de la division tomber dans les travers de certains bataillons nationalistes de l’armée rebelle, prônant l’orthodoxie comme seule religion et la Russie blanche pour unique horizon. « Moi, je suis musulman, et ce genre de considération chez les mineurs, ça n’a pas de sens », reprend « le Voisin ». Dans les mines du Donbass, les mineurs recouvrent en effet plus de 50 nationalités, vestiges de l’ex-Union soviétique et des ex-pays satellites du Kremlin d’avant 1991. « Il y a des Géorgiens, des Moldaves, des Kazakhs, des Ouzbeks, des Gagaouzes, des Bulgares, des Tatars… tout ce que vous voulez », s’amuse « le Samouraï », l’un des premiers mineurs de Skochinskogo à s’être engagé dès le mois de mai 2014. « Que nous soyons au fond de la mine ou au combat, dans les deux cas de figure, on joue notre vie. Il faut que Porochenko le sache, l’esprit de solidarité que l’on trouve au fond, on le retrouve ici, au combat ! Et c’est sur cette base-là que nous voulons reconstruire notre société », conclut-il, tandis que le vent du nord rapporte la musique funèbre des tirs de mortier sur l’aéroport Sergueï Prokofiev, du nom du grand compositeur soviétique.

(1) En français, secteur droit. À l’origine, une formation paramilitaire créée en 2013, devenue peu après un parti politique d’extrême droite.


(2) Stepan Bandera (1909-1959). Nationaliste ukrainien 
qui s’allia avec les nazis, créa la légion ukrainienne 
sous la direction de la Wehrmacht, lors de l’invasion 
allemande en Union soviétique.