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Extrait de "Breaking bad. Série blanche"
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http://www.contretemps.eu/lectures/lire-extrait-breaking-bad-s%C3%A9rie-blanche
Emmanuel Burdeau (dir.), Breaking bad. Série blanche, Paris, Les prairies ordinaires, 176 pages, 15 €.
Deal & Co
Breaking Bad déroule en parallèle deux récits : celui d’un homme, Walter White, passant en cinq saisons du statut de victime – du cancer, de sa famille et, plus généralement, de la société – au statut de donneur d’ordres ; et celui de son entreprise, une PME de fabrication de métamphétamine. C’est à cette seconde épopée, étroitement liée à la première, que l’on va s’intéresser ici. Car derrière les cliffhangers et les rebondissements, le sujet de Breaking Bad, c’est l’économie : à l’inverse de la plupart des récits de constitution d’entreprise, qu’elles soient criminelles (Scarface, Le Parrain) ou bien légales (Jobs, The Social Network), la série n’use pas de métaphore pour décrire la création de richesse. Le développement de l’activité de Walter White y est au contraire raconté en détail, comme si la trame narrative avait été calquée sur des manuels de micro-économie, de macro-économie et de management. L’aventure entrepreneuriale n’y est pas envisagée comme une simple illustration de la personnalité du fondateur, comme c’est souvent le cas dans les récits de capitaines d’industrie, mais comme une histoire en soi, et chaque nouvelle difficulté comme un problème narratif à surmonter.
Non content d’utiliser l’économie comme moteur, Breaking Bad développe un discours très radical sur le capitalisme américain. Avec Weeds mais également The Wire, il s’agit d’une des très rares fictions télévisées à disposer d’un véritable point de vue sur l’économie politique américaine. Et, pour envisager les mutations du marché mondial, ces trois séries s’attachent au même phénomène : la fabrication et la vente de drogue dans les banlieues, qu’elles soient riches ou pauvres.
Le monde de Breaking Bad est celui, dévasté, de l’après-crise financière. Les krachs successifs de 2002 (bulle Internet), puis de 2008 (crise des subprimes), n’ont rien laissé debout. Les systèmes d’assurance, ruinés, ne couvrent plus grand-chose : atteint d’un cancer du poumon, Walter White ne peut payer ses traitements. Quant à l’école publique, désargentée, elle ne transmet plus rien et n’est même plus en mesure de rémunérer ses enseignants. Chimiste brillant, Walter White peine à subsister avec son salaire de professeur et, pour survivre, doit nettoyer des voitures sous les sarcasmes de ses étudiants. Le gouvernement est totalement absent : les seuls fonctionnaires visibles sont des policiers. Pas d’élus ni de travailleurs sociaux.
Les rares individus qui prospèrent sont d’abominables financiers négociant obsessionnellement leurs bonus et hurlant dans leur téléphone portable sans se soucier de ceux qui les entourent. Dans une scène emblématique, Walter White brûle la voiture de l’un d’entre eux, qui se met immédiatement à glapir le montant de la somme dépensée pour acquérir le véhicule partant en fumée sous ses yeux.
D’autres ne réussissent qu’en volant les idées des autres : c’est le cas du couple Schwartz, dont la start-up Gray Matter exploite les intuitions de Walter White sans jamais avoir rémunéré ce dernier à hauteur de sa contribution. Ils sont aussi insupportables et obscènes que les traders : l’anniversaire d’Elliott Schwartz est l’occasion d’une débauche de cadeaux inutiles et coûteux, scène qui contraste de manière flagrante avec le dénuement des autres personnages. Là encore, la série offrira à Walt la possibilité d’une revanche : devenu un baron de la drogue, il obligera le couple Schwartz, qui a publiquement nié sa contribution en quoi que ce soit à leur société, à lui servir de couverture pour des opérations financières.
Dans l’apocalypse douce de la dépression économique, les personnages de Breaking Bad sont livrés à eux-mêmes. Cette impression de solitude est encore renforcée par le cadre choisi pour la série : Albuquerque, cité-champignon sans cesse menacée d’être reconquise par le désert sur lequel elle a été péniblement gagnée. C’est une ville sans centre ni histoire, un vaste développement incontrôlé de banlieues asséchées qui se vident et se remplissent au gré des licenciements et des krachs boursiers. Breaking Bad part de cette frontière, à la fois géographique et économique : Walter White est au bord d’un pays, au paroxysme d’un système en faillite, et il ne peut compter que sur lui-même. Deux cents ans après, il est dans une situation similaire à celle des pionniers partis à la conquête de l’Ouest (comptant parmi les États les plus à l’ouest, le Nouveau-Mexique est l’un des tout derniers à adhérer à l’Union en 1912). Il ne peut aller que droit devant lui. Derrière, il n’y a que ruine et désolation.
Cet ailleurs, cet équivalent du Grand Ouest où les premiers émigrants aux États-Unis sont partis chercher fortune, ce sera la drogue. L’équivalence que fait la série entre la fabrication de stupéfiant et la ruée vers la Californie, pays de cocagne, est contenue dans un détail : le chapeau de Walter White. Familièrement appelé Pork Pie Hat car sa coiffe évoque la forme, inversée, d’une tourte, ce chapeau à bord court est apparu dans les années 1830 dans les premières communautés de pionniers (il est toujours porté par les Amish, ces groupes religieux qui continuent à vivre comme au xixe siècle). Mais c’est également le couvre-chef d’une figure emblématique de la fiction criminelle : Jimmy « Popeye » Dole, le détective joué par Gene Hackman dans French Connection, l’un des premiers films à considérer le trafic de drogue comme une activité économique à part entière.
La fabrication de métamphétamine, puis la distribution des cristaux de drogue sont envisagées ici comme le retour aux formes les plus pures du capitalisme. Dans le commerce de stupéfiants, on ne peut compter que sur ses propres talents et son savoir-faire. Chaque erreur est potentiellement mortelle, il n’y a pas de seconde chance ni personne pour vous secourir.
Les deux premières saisons sont un véritable bréviaire de l’entrepreneur : elles suivent étape par étape la transformation de Walter White en artisan en narcotique, depuis la constitution d’un stock de matières premières (achat d’ingrédients nécessaires à la confection de métamphétamine et vol d’un fût de méthylamine dans une usine) en passant par la constitution d’un atelier (un vieux camping-car transformé en laboratoire), et jusqu’au blanchiment des profits par le biais de l’avocat Saul Goodman.
Loin d’être une déchéance, l’immersion de White dans les territoires frontaliers du capitalisme s’avère au contraire une renaissance. Autrefois dominé, velléitaire et amer, Walter White s’affirme et se virilise en effectuant un pas de côté par rapport à l’économie légale, devenant même autoritaire, impérieux et tranchant. Même chose pour son comparse Jesse Pinkman, junkie infantile qui, en travaillant avec White, finit par abandonner, pour un temps au moins, la consommation du produit qu’il fabrique. Ce retour aux sources du capitalisme constitue pour les deux hommes une épiphanie personnelle : en prenant des risques, en sortant de ce songe organisé qu’est devenu le salariat, Walter White et Jesse Pinkman deviennent des hommes nouveaux.
Mieux : la série fait un parallèle explicite entre la rémission du cancer dont souffre White et le développement de son entreprise. Le deal, thérapie ultime ? Plus les affaires de White prospèrent, plus son cancer recule, jusqu’à devenir un risque parmi d’autres. « Au diable le cancer » déclare-t-il dans la saison 4 à un autre malade qui, comme lui, attend son scanner de routine : « Je vis avec le cancer depuis presque un an. C’est une condamnation à mort. Et alors ? Toute vie est une condamnation à mort. Alors, chaque mois, je viens ici pour mon scanner, sachant parfaitement qu’un de ces jours – peut-être même aujourd’hui –, les résultats ne seront pas bons. En attendant, je fais ce que je veux. »
Comme la métamphétamine qu’il produit, pure à 98 %, Walter White est habité par le rêve d’une activité économique débarrassée des scories de l’échange : une création de valeur ex nihilo, menée en totale autarcie, à la manière d’un scientifique ou mieux, d’un alchimiste. La fabrication de métamphétamine s’apparente en effet à la transmutation du plomb en or : il s’agit d’une production, solitaire et épuisante, d’un matériau extrêmement précieux à partir d’éléments vils. Ce fantasme d’un retour aux fondamentaux de création de richesses s’apparente aux rêves des pionniers de l’Ouest et des chercheurs d’or, pour qui la seule activité économique valable était la chasse au trésor et aux fourrures rares.
Si White parvient, au début, à fonctionner en circuit fermé, ne travaillant qu’avec Jesse Pinkman, à la fois laborantin et responsable commercial, le développement de son activité le contraint à endosser le costume de gérant d’entreprise. Et à se confronter au problème numéro un de tout responsable de PME : la distribution. Les aléas du commerce de détail constituent le grand moteur narratif de Breaking Bad. Les personnages parviennent toujours à surmonter les écueils de la production en changeant de lieu de fabrication ou en volant les composants chimiques nécessaires. La distribution, en revanche, représente un défi constant, jamais véritablement réglé.
Walter White a le plus grand mal à négocier le virage du commerce. Son premier distributeur, l’hystérique Tuco, lui prend trop d’argent et s’avère particulièrement instable. Ses multiples tentatives pour se substituer lui-même aux détaillants sont des échecs cuisants : ses dealeurs sont arrêtés, voire tués par des concurrents, quand ce n’est pas par White lui-même. Ces difficultés à constituer un bon réseau de distribution mettent rapidement fin aux rêves d’autarcie de Walter White : au terme de la deuxième saison, il prend conscience que l’échange est le passage obligé de la création de valeur et le marché nécessaire, même dans les marges.
Oscillant sans cesse entre l’implosion et le dépôt de bilan, la PME de métamphétamine de Walter White finit par attirer l’attention des prédateurs du secteur, des entreprises « qui pourraient être cotées au NASDAQ », comme les qualifie lui-même l’ex-professeur de chimie. Ces mastodontes du deal sont de deux ordres : le cartel, une entreprise familiale basée au Mexique ; et un groupe dirigé par Gustavo Fring, figure emblématique du nouvel âge du capitalisme qu’annonce la série. La principale différence entre le cartel et Gustavo Fring tient, là encore, à des questions de distribution : le cartel est producteur de métamphétamine, alors que Fring n’est qu’un détaillant. Ses réseaux de distribution sont couverts par une entreprise légale et profitable, la chaîne de fast-food mexicaine Los Pollos Hermanos. La restauration rapide présente en effet de nombreuses similitudes avec le trafic de drogue : dans les deux cas, les ingrédients nécessaires à la fabrication sont très bon marché et tous les coûts – et les risques – sont dans la distribution. Plusieurs légendes du capitalisme américain sont d’ailleurs des créateurs de chaînes de restaurant : Ray Kroc, l’inventeur de McDonald’s, ainsi que Harlan Sanders, le « colonel » Sanders de Kentucky Fried Chicken (KFC), auquel l’agent Steve Gomez compare d’ailleurs Fring.
Fring arbore de nombreux traits de ces personnages historiques, dont il pourrait être le lointain héritier. Comme eux, il est parti de rien : sa première entreprise a été écrasée dans le sang et s’est soldée par la mort de son partenaire. Il s’occupe à la fois du temps de friture des poulets qu’il vend, du suivi des tournées de distribution de drogue en passant par l’élimination des concurrents potentiels. Truffant ses restaurants et son laboratoire de caméras de surveillance, c’est également un obsédé du contrôle, doublé d’un risque-tout, capable de mettre sa propre vie en jeu pour écarter des concurrents : pour se débarrasser du cartel, il absorbe la même dose de boisson empoisonnée qu’il propose à ses adversaires, ceci afin de les mettre en confiance. Fring n’a rien d’autre dans sa vie que son entreprise, à laquelle il consacre tout son temps et son énergie, à l’exclusion de toute famille – il vit seul – voire de toute sexualité : lors d’une fête au bord d’une piscine au Mexique, il reste insensible aux charmes des nymphettes en bikini.
Mais, comme tous les détaillants, Fring a un rêve secret qui guide sa vie : devenir producteur et maîtriser la totalité de la chaîne de création de valeur. Il rêve d’autarcie, mais à une échelle bien plus vaste que celle recherchée par Walter White. Bien avant de rencontrer ce dernier, il a déjà mis en place une bourse destinée aux étudiants en chimie afin, un jour, de disposer d’un responsable de la production. Il a même fait creuser un laboratoire ultramoderne sous l’un de ses entrepôts.
Les difficultés commerciales de White constituent une véritable aubaine pour celui que l’on surnomme Gus : la fin de la deuxième saison est occupée par ses manœuvres pour recruter l’ex-professeur de chimie. Étranglé, White est finalement contraint de céder le contrôle de sa petite entreprise et d’intégrer celle de Fring, dont il devient simple salarié. Le personnage devra attendre deux saisons pour redevenir entrepreneur.
L’arrivée de Walter White dans le groupe de Gus fait changer la série d’échelle : on quitte la micro-économie pour entrer dans la macro-économie. L’enjeu n’est plus la constitution d’une entreprise et l’apprentissage des règles fondamentales du capitalisme, mais bien plutôt une guerre entre deux groupes constitués, le cartel d’un côté et l’entreprise de Gus Fring de l’autre. Les deux adversaires visent le même marché, celui des consommateurs du sud des États-Unis. Ils sont de même taille et ont globalement les mêmes capacités de fabrication et de distribution.
La bataille occupe deux saisons (3 et 4). Durant tous ces épisodes, le véritable centre de la série n’est plus Walter White mais Gus : Breaking Bad étant une série sur les entrepreneurs, un subalterne, privé de capacité d’initiative, ne peut plus être le personnage principal. Mobilisé par des problèmes conjugaux et relationnels, Walter White est éclipsé par Gus, qui mène des opérations de plus en plus spectaculaires, répliquant coup pour coup au cartel et gérant la menace permanente que représentent les deux tueurs aux ordres de ses concurrents, Leonel et Marco Salamanca.
Ce qui va faire la différence et permettre à Gus de l’emporter face au cartel, ce sont les méthodes de management du dealer-restaurateur. À l’inverse du syndicat de la drogue, où les liens du sang prédominent, Fring constitue son groupe en manager moderne, choisissant, pour s’entourer, non des cousins ou des frères, mais des spécialistes : en chimie, financement, logistique, sécurité. Le recrutement de Gale Boetticher, le premier chimiste de son groupe, est à cet égard exemplaire : Gale est le récipiendaire de la fameuse bourse de chimie Pollos Hermanos, qui récompense les étudiants les plus prometteurs. Même chose pour Mike Ehrmantraut, le conseiller « sécurité » de Gus : au lieu de choisir un gangster pour s’acquitter des questions de surveillance et de protection, le PDG de Pollos Hermanos a fait porter son choix sur un policier, démis de ses fonctions suite à un scandale.
Dans le cartel, la cohésion est uniquement fonction de la contrainte et de la menace : dès que celle-ci faiblit, l’organisation se délite. Ayant personnellement fait l’expérience des limites de ce modèle, Gus offre au contraire des salaires conséquents, voire même des possibilités d’avancement à ses collaborateurs : Jesse Pinkman, au départ simple préparateur de laboratoire, se voit ainsi proposer des responsabilités de plus en plus larges au sein du groupe.
La scène d’assassinat des membres du cartel montre de manière saisissante le contraste entre l’entreprise moderne de Gus et ce qui n’est resté qu’une armée de fantassins de la drogue : lorsque Gus offre une boisson empoisonnée à tous les membres du cartel, il lui suffit de convaincre le chef de boire pour que tous ses lieutenants fassent la même chose. Personne n’émet la moindre réserve. Gus, à l’inverse, s’entoure de conseillers éclairés qui n’hésitent pas à lui signaler les problèmes, voire à remettre en question ses décisions de gestion, arguments à l’appui.
C’est notamment le cas de Mike Ehrmantraut, passé en quelques années de consultant en sécurité à véritable bras droit de Gus. Employé loyal, Mike ne cache rien à son patron des problèmes que rencontre la société, mais lui laisse l’entière responsabilité des décisions managériales.
Gus lui-même succombera par où il a vaincu, c’est-à-dire le management. Car le point faible de cette figure du capitalisme de la frontière, c’est le contrôle. Gus est ce que les manuels de gestion moderne appelleraient un « micro-manager » : il se mêle de tout, repasse derrière chacun de ses employés, même ceux qui font le café et lavent les tables de ses restaurants (il est plusieurs fois filmé en train de superviser l’utilisation d’un bac à friture ou bien d’expliquer comment placer les salières sur les tables). La totalité de ses employés est placée sous surveillance par le biais d’un système de caméra géré directement par le PDG à partir de son ordinateur personnel. Ce panoptique virtuel, dont Walter White peut physiquement constater les pouvoirs inquisiteurs quand la caméra installée dans son laboratoire bouge sur son axe, va saper les fondements de l’organisation de Fring.
Constamment jaugé et surveillé, Walter White cesse graduellement de considérer Gus comme un égal, voire un modèle. Privé de toutes possibilités de contrôle sur sa production, y compris les plus basiques comme la pesée, et ne disposant d’aucune information sur la marche de l’entreprise, White vit de plus en plus mal sa descente dans la hiérarchie managériale, même si elle s’accompagne de substantielles compensations financières.
Dans l’économie réelle, White aurait démissionné. Dans le capitalisme de la frontière, une telle chose est impossible : il faut prendre le pouvoir, ou disparaître. White tue donc Gus pour constituer son propre groupe, refermant la parenthèse du salariat.
Dans le groupe autonome que constitue White dans la dernière saison et qui, à bien des égards, rivalise avec la sophistication atteinte par Fring, il parvient à franchir une barrière que Los Pollos Hermanos n’avait jamais réussi à dépasser : celle de l’export. Alors que Gus ne vendait qu’aux États-Unis (même s’il avait réussi à attirer des capitaux étrangers, ceux du groupe allemand Madrigal), Walter White se lance à l’international et exporte une partie de sa production en Tchécoslovaquie. Ce saut qualitatif et quantitatif vient clore le constat fait par la série sur l’état du capitalisme américain depuis son premier épisode : la frontière, que les États-Unis ont toujours située à l’intérieur de leur territoire, apparaît pour la première fois à l’étranger. Il ne s’agit plus, pour survivre, de conquérir le marché américain comme le colonel Sanders avec son poulet frit ou Gus Fring avec sa métamphétamine, mais bien d’exporter ses produits et son savoir-faire au-delà de l’Atlantique.
La dépression économique qui constitue la toile de fond de Breaking Bad devient, dans la dernière saison, un avantage comparatif. Les conditions difficiles dans lesquelles Walter White est parvenu à survivre se transforment, à l’export, en atout : elles permettent d’offrir des coûts faibles et un produit de qualité. Comme le cartel, White ne peut plus survivre sur son marché national : l’export représente sa dernière planche de salut.
Ce renversement vient éclairer la place de l’économie américaine dans le monde : les États-Unis, assène Breaking Bad dans ses épisodes finaux, sont une puissance émergeant d’un profond marasme économique et financier et qui, si elle veut survivre, doit tout miser sur l’export, comme le font déjà ces pays dits « en transition » que sont la Chine et le Brésil.
Le capitalisme que pratiquent Walter White et Gus est sans foi ni loi : le produit qu’ils fabriquent et vendent détruit les consommateurs sans possibilité de rémission. Pour se sauver, les deux entrepreneurs abusent des autres. Les premiers épisodes laissent la porte ouverte au déni : la métamphétamine est d’abord présentée comme une sorte de cocaïne du pauvre et ceux qui la prisent comme des jeunes en quête de sensations fortes.
Deux personnages viennent lever l’ambiguïté : Wendy, d’abord, la prostituée au visage ravagée qui enchaîne les fellations pour se payer sa dose, et surtout Spooge et sa femme, deux methheads hirsutes qui laissent leurs fils de cinq ans survivre dans une maison repoussante de saleté. Ces deux apparitions, difficiles à oublier, éclairent de manière particulièrement crue la nature profondément darwinienne du capitalisme version Walter White.
Car les consommateurs ne sont pas les seuls à être abusés : les subordonnés sont poussés à bout, et les gêneurs, éliminés. La relation entretenue par Walter White avec Jesse Pinkman flirte avec le harcèlement : professeur, White perd tout tact et toute pédagogie dès qu’il bascule dans le commerce. Jesse est sans cesse insulté, rabaissé, humilié. Devenu le subordonné de Gus, White ne sera pas mieux traité.
Quand aux règles de la concurrence, elles sont expéditives, comme l’étaient celles de l’Ouest. White et Pinkman, meurtriers par accident dès les premiers épisodes, apprennent au fil des saisons à éliminer physiquement ceux qui leur font de l’ombre. Traumatiques, les deux premiers meurtres, ceux des dealers Emilio et Krazy-8, sont rapidement éclipsés par d’autres, à chaque fois envisagés comme des décisions d’affaires. Celui du chimiste Gale Boetticher, savant Cosinus de la métamphétamine, est particulièrement emblématique : bien qu’il soit le seul personnage de la série avec lequel Walter White a plaisir à socialiser, Gale, personnage lunatique et sans défense qui voue à White une admiration éperdue, est impitoyablement éliminé dès qu’il devient un concurrent potentiel.
Pire : lorsque White, lassé d’avoir retrouvé dans l’économie criminelle la place de subalterne qui était la sienne dans le monde légal, finit par concevoir le projet d’éliminer Gus, il choisit, pour arriver à ses fins, d’empoisonner un enfant. Gus lui-même, quelques épisodes plus tôt, avait lui aussi laissé tuer un jeune garçon qui menaçait son organisation.
Le propos de Breaking Bad sur la violence, économique et individuelle, est parfaitement résumé par le vendeur qui fournit à Walt son premier pistolet : « On est dans l’Ouest, boss, lui dit-il, si un homme vous menace, vous avez le droit de le tuer. Certains parlent de droit moral et j’en fais partie. »
Dans Breaking Bad, comme dans les traités d’économie libérale, les personnages ne sont motivés que par leur intérêt personnel et celui de leur famille. Justifiant son choix de devenir fabriquant de métamphétamine, Walt répète de manière obsessionnelle qu’il ne cherche qu’à faire vivre les siens et à les protéger, que c’est son seul devoir et son unique objectif. Gus Fring abonde dans son sens : quand il veut recruter Walter comme chimiste alors que celui-ci a fait vœu d’abandonner la fabrication de drogue, l’homme d’affaires demande à l’ex-professeur de chimie pourquoi il s’était, à l’origine, reconverti dans l’économie criminelle : « Pour subvenir aux besoins de ma famille » répond Walter. « Ce n’était donc pas une mauvaise décision, répond Fring, car que fait un homme ? Il fait vivre sa famille. »
Cette profession de foi s’avère plus politique que personnelle. Celui qui la prononce n’a en effet aucune famille, et pas même de vie sexuelle (il n’est toutefois pas invraisemblable de penser qu’il est en couple avec un de ses gardes du corps, le sculptural Tyrus). Quand à Walter White, la famille à laquelle il prétend se dédier lui est un poids presque insupportable, au point qu’il saisit la moindre occasion, y compris thérapeutique, pour y échapper.
Cette exaltation de l’égoïsme et du communautarisme le plus étroit fait écho à une autre grande fiction sur l’économie libérale : Wall Street (1987), le film d’Oliver Stone sur la Bourse de New York. Dans ce film, le financier Gordon Gekko s’exclamait : « L’avidité est bonne ! » Vingt ans plus tard, Walter White ne dit pas autre chose : « Garde le contrôle de tout. Vis comme tu l’entends. Qui est aux commandes ? Toi. Personne d’autre. »
Au cours de la série, plusieurs personnages offrent un développement explicitement politique à ce constat au départ strictement économique. C’est notamment le cas de Gale Boetticher, qui se fait le porte-parole des thèses libertariennes, mouvement qui considère que tout ce qui ne nuit pas à autrui doit être autorisé par la loi et qui a connu son apogée sous l’ère Reagan. Favorables à la libéralisation du commerce de la drogue mais également des armes à feu, les libertariens jugent que l’État doit être cantonné à un rôle minimal, les citoyens majeurs étant capables de décider ce qui est bon pour eux. Ce sont peu ou prou les arguments invoqués par Gale pour justifier sa reconversion dans la fabrication de métamphétamine : « Les gens ont le droit d’ingérer tout ce qui leur chante » explique-t-il à Walter White pour expliciter son transfert des laboratoires de l’université aux ateliers de fabrication clandestins. Le chimiste arbore même un autocollant en faveur de Ron Paul, le candidat libertarien, sur sa voiture.
Lors d’une discussion avec son beau-frère Hank, agent de la Drug Enforcement Administration, Walter White évoquera lui-même l’arbitraire des législations antidrogue qui sanctionnent certains produits stupéfiants mais en autorisent d’autres. Jamais l’ex-professeur n’ira aussi loin que son acolyte : la politique n’est clairement pas son affaire.
Le mouvement libertarien a ceci de particulier que sa principale figure n’est pas un philosophe ou un économiste mais une romancière, Ayn Rand, auteur de La Grève (Atlas Shrugged), La Source vive (The Fountainhead) et Nous, les vivants (We the Living), trois fictions figurant depuis cinquante ans parmi les livres les plus vendus aux États-Unis. Or le « capitalisme de frontière » envisagé par Breaking Bad est également une économie de la fiction. Une fois passé de l’autre côté de la loi, l’économie traditionnelle apparaît fictive : les entreprises ne sont que des coquilles vides alimentées par le seul commerce véritablement réel, celui de la vente de drogue. C’est le cas de la chaîne de restaurant Los Pollos Hermanos de Gus Fring, de la station de lavage de voiture A1A, mais également de Vamonos Pest, la société de désinfection qui servira de couverture à Walter White et Jesse dans la cinquième saison.
Dans l’économie légale, les seuls qui survivent, comme la société Beneke Fabricators de Ted Beneke, ne le font qu’en maquillant leurs comptes (l’entreprise de Ted Beneke est l’image miroir de la PME du deal de Walter White : toutes les deux sont des entreprises familiales flirtant avec la faillite. L’une choisit de basculer dans la fiction comptable pour survivre, alors que l’autre, florissante, est condamnée à rester pour toujours fictive, voire légendaire. Le fait que Skyler, la femme de White, soit également l’amante de Beneke, empêche que se noue entre les deux hommes un partenariat de blanchiment, qui serait la seule issue rationnelle de leurs problèmes respectifs).
Breaking Bad dépeint l’économie légale comme un simple décor, un paysage de carton-pâte à l’intention des dupes. Initié, Walter White découvre que tout est truqué : les machines de la blanchisserie de Gustavo Fring cachent des passages secrets vers un laboratoire souterrain de fabrication de métamphétamine, et les camions frigorifiques de Los Pollos Hermanos transportent, cachées dans des seaux de préparation alimentaire, des doses de drogues.
Le sommet de ce capitalisme de fiction est une scène de la cinquième saison, dans laquelle Walter White et Jesse Pinkman cherchent un nouveau laboratoire. Une à une, ils visitent diverses entreprises – une fabrique de carton, un atelier de tortillas, une salle de jeu –, les envisageant non pour leurs valeurs réelles, mais pour leur simple potentiel de camouflage. L’économie légale, dans Breaking Bad, ne vaut que pour sa seule valeur postiche.
Paranoïaque persuadé que la « vérité est ailleurs », l’agent de la DEA Hank Schrader est le seul à rester lucide : il pressent, sans jamais pouvoir le prouver, que l’affabilité de Gustavo Fring et ses donations aux œuvres de la police cachent un commerce de drogue florissant. Mais, cloué sur un fauteuil suite à une blessure à la colonne vertébrale, il est incapable de vérifier la véracité de ses intuitions. Surtout, il se limite à l’analyse, et ne tire jamais les conséquences économiques, politiques et personnelles de ses découvertes.
Écran aux enquêtes de « Hank », la fiction qui masque la réalité de l’économie souterraine est vécue comme une punition par Walter White. Homme d’affaires prospère, il est privé du prestige social que devrait lui conférer sa réussite, et doit sans cesse jouer les victimes, voire les ratés. Ayant dû mentir sur la nature exacte de ses activités pendant trois saisons, il est contraint de poursuivre la comédie pour ses enfants et sa belle-famille quand sa femme découvre le pot aux roses.
La seule issue à cette économie perpétuellement fictionnelle est la légende : bien réelle, l’entreprise de Walter White ne peut exister sur le même plan que les échanges virtuels qui la couvrent. Elle est donc élevée au rang de mythe, celui d’un mystérieux baron de la métamphétamine surnommé Heisenberg et qui contrôlerait tout le commerce de drogue dans la région d’Albuquerque depuis un repaire secret. Cette histoire fabuleuse est la seule réalité à laquelle peut prétendre White. Elle est colportée non par les articles de journaux et les rapports de police, qui ne traitent que de faits vérifiables, mais par les chansons des mariachis mexicains, seuls à même, de par leur statut de conteur, de raconter une saga dont l’ampleur échappe à tous les autres personnages.
Perpétuellement fuyante, la légende de Heisenberg rend fou Hank. Comme le commissaire Juve dans l’une des premières séries animées de l’histoire, le Fantômas de Louis Feuillade, Hank s’épuise à courir derrière une figure fictive dont il perçoit partout l’influence sans jamais pouvoir l’approcher. Moteur de la série elle-même, ce dispositif qui permet à deux réalités d’exister sur le même plan ne sera levé qu’au prix de la mort de Hank et, rapidement, de celle de Walter White.
C’est au travers de Hank que le positionnement politique de Breaking Bad apparaît le plus clairement. Seul représentant de l’État dans la série, l’agent de la DEA n’est jamais présenté comme un fonctionnaire émanant d’une institution, mais au contraire comme un loup solitaire aux prises avec une obsession, une enquête qui va graduellement coloniser toute sa vie. La police, dans Breaking Bad, n’est jamais envisagée du point de vue de l’institution, encore moins du maintien de l’ordre dans la société. Ces questions politico-sociales ne sont même jamais véritablement prises en considération : seule compte la quête de vérité de Hank, de moins en moins maîtrisée, de plus en plus solitaire. La seule fois où le policier tente de s’intégrer à une équipe au centre régional de la DEA à El Paso, c’est le fiasco : moqué par ses nouveaux collègues, il ne parvient pas à s’imposer.
Shérif solitaire, Hank opère depuis sa voiture puis, quand il est handicapé par une blessure, depuis son lit. Ce portrait du policier sans cesse mêlé à des conflits où il ne représente pas les intérêts supérieurs de l’État, mais uniquement les siens propres, contraste avec l’image de la police dans une autre série, The Wire, où les forces de l’ordre sont d’abord envisagées comme institution et où la dimension sociale de la criminalité est systématiquement évoquée. Rien de cela dans Breaking Bad, où il n’y a que des histoires individuelles et particulières.
On retrouve le même écart entre Breaking Bad et The Wire sur la question du capitalisme : quand, dans la première saison de The Wire, le dealer Stringer Bell assiste à des conférences sur la gestion d’entreprise, puis cherche à les appliquer à la distribution de drogue, ce développement est présenté comme la dernière extrémité d’une société devenue proprement monstrueuse. Dans Breaking Bad, au contraire, il s’agit d’un constat qui sert de fondation à toute la narration, sans que les conséquences sociales de cette analyse soient jamais véritablement prises en compte.
Si The Wire est une fiction de sociologue, Breaking Bad est plutôt un récit d’économiste où les personnages ne réagissent qu’aux stimuli économiques. Politiquement, les deux séries se situent également aux antipodes l’une de l’autre : entremêlant en cinq longues saisons les points de vue de tous les grands corps sociaux – police, professeurs, juges, journalistes –, The Wire tente de trouver des solutions politiques aux problèmes sociaux, et pourrait être qualifiée de démocrate, au sens américain du terme.
Breaking Bad est l’exact inverse : les solutions qu’elle propose, pour radicales qu’elles soient, sont d’abord individuelles avant, éventuellement, d’être collectives. Le discours des personnages, qui font de l’égoïsme une vertu morale et de l’initiative économique l’alpha et l’oméga de la vie publique, est peu ou prou aligné sur celui de la droite américaine. La seule entité sociale qui a droit de cité dans Breaking Bad est la famille : les liens du sang sont les seuls qui comptent. Tout est envisagé à cet aune : l’action de Walter White est d’abord guidée par un souci patrimonial. Son but : dégager suffisament de profit pour permettre à sa femme et ses deux enfant de vivre sans lui. La charge menée par Breaking Bad est d’autant plus virulente qu’elle émane d’un ancien fonctionnaire, autrement dit quelqu’un qui a cru à l’utilité de l’action collective et à la pertinence de la transmission intergénérationnelle et qui, brusquement, change de point de vue pour se convertir aux bienfaits du capitalisme le plus sauvage (le gauchiste repenti est un fantasme récurrent dans la fiction de droite comme l’est, dans les récits de gauche, le conservateur libéré).
Entre ces deux extrêmes politiques que sont Breaking Bad et The Wire, le centre de l’échiquier polico-fictionnel est occupé par une troisième série, elle aussi consacrée au commerce de la drogue. Il s’agit de Weeds, où une femme au foyer devenue veuve, Nancy Botwin, devient dealeuse d’herbe par nécessité économique. Partant d’une situation en tout point similaire à celle de Breaking Bad, à savoir un personnage issu de la petite bourgeoisie tentant d’échapper à la paupérisation en vendant de la drogue, Weeds présente un constat plus nuancé sur l’économie américaine.
D’abord parce que le produit vendu n’est pas le même : Nancy Botwin ne vend que du cannabis, dont Weeds présente systématiquement les effets comme plaisants, quand Walter White fabrique et distribue de la métamphétamine, dont la puissance d’addiction ne peut être comparée avec l’herbe.
En outre, Weeds ne développe un véritable discours que sur un seul sujet : la dépénalisation des drogues récréatives. Le commerce de cannabis y est présenté comme une activité susceptible d’enrichir la société. Contrairement à Breaking Bad, Weeds ne veut pas réformer le capitalisme : simplement en élargir le périmètre en autorisant un commerce inoffensif. Weeds croit en l’État : son discours est d’abord un propos sur le droit et la loi. Tous les personnages adultes y sont présentés comme des adolescents irresponsables incapables de se gouverner eux-mêmes : l’action publique est systématiquement envisagée comme bénéfique.
Rêve d’une économie américaine retrempée aux fondamentaux de son développement, les cinq saisons de Breaking Bad (2008-2013) coïncident presque exactement avec le premier mandat de Barack Obama : difficile d’imaginer qu’il ne s’agisse pas d’une réponse fictionnelle de droite aux choix politiques de l’administration démocrate, comme The Wire et The West Wing avaient été, en leur temps, des réactions à la politique menée par l’équipe de George W. Bush.