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Mixité scolaire : le scandale d’une ségrégation d’État
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.marianne.net/luttedesclasses/mixite-scolaire-scandale-segregation-etat-100235737.html
La suppression, à caractère économique, des sections bilangues et des options de langues anciennes est au cœur de la réforme du collège. Mais, pour justifier ces coupes sombres économisant des milliers et des milliers de postes, le gouvernement a préféré un mot d’ordre plus acceptable : « la lutte contre les inégalités scolaires » (nous avons déjà vu ici que cette lutte était très relative).
Ces inégalités ont rapidement trouvé leur cause : les classes de niveau, auxquelles contribuent ces sections et ces options « réservées à quelques-uns ». Une opportune étude sociologique du CNESCO (le tout nouveau Conseil national d’évaluation du système scolaire) sur « la mixité sociale et scolaire » (fondée sur le niveau scolaire) a été publiée à point pour accuser le collège de « ségrégation » et dénoncer « la “bombe” de la non-mixité sociale » : « Près d’un collège sur deux crée des classes de niveau en toute illégalité » affirme “Les Échos“, ce qui ne manquera pas d’étonner la plupart des enseignants.
A la vérité, les conclusions de cette étude (dont la méthodologie appellerait quelques commentaires) sont beaucoup plus nuancées – quoique très ambigües.
L’étude montre d’abord que la ségrégation scolaire dans les établissements est « faible au collège ». De fait la ségrégation sociale ou scolaire entre les établissements est bien plus importante, quoique l’étude ait une étrange tendance à la minorer (« Une partie seulement de cette ségrégation sociale à l’école s’explique par la ségrégation résidentielle »). La conclusion semble dès lors contradictoire : « Les classes de niveau contribuent autant à la ségrégation scolaire que les disparités résidentielles. »
On apprend également à l’occasion de cette étude que la majorité des latinistes ne sont pas de « bons élèves » et que, dans leur immense majorité (81%), les latinistes sont répartis dans des groupes (avec des horaires alignés) et ne forment donc pas des classes à part. L’étude continue pourtant d’évoquer des « classes latinistes » et oublie ─ curieusement ─ de préciser que 93% des établissements défavorisés proposent des langues anciennes.
Mais le plus frappant dans cette étude “sociologique” d’un nouveau genre, c’est qu’elle n’évoque nulle part la « ségrégation » entre le public et le privé. Pourtant la part du privé ne cesse d’augmenter depuis une décennie, notamment au collège : un collège sur quatre est aujourd’hui privé en France. Le recrutement des collèges privés échappe à toute sectorisation : si, en principe, tous les élèves sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès, rien ne les empêche en revanche de recruter leurs élèves sur dossier scolaire. Quant aux frais de scolarité, ils ne peuvent en aucun cas contribuer à une plus grande mixité sociale.
Cet “oubli” laisse d’autant plus perplexe que l’État finance les collèges privés sous contrat : pour le dire autrement, l’État organise lui-même cette ségrégation. C’est tout le miracle de cette étude sociologique, commandée par l’État, se s’attaquer à « l’entre-soi », « obstacle à l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble » en faisant tout simplement comme si l’enseignement privé n’existait pas. Ceux qui accusent le système scolaire français d’être « le plus inégalitaire de l’OCDE » oublient généralement de rappeler que ces inégalités sont structurelles en France : la principale « ségrégation » est celle qu’institutionnalise depuis 1959 la loi Debré : celle entre les collèges qui peuvent – de droit – choisir leurs élèves et les collèges condamnés à accueillir tous les élèves restants.
L’étude ne donnant aucun renseignement sur cette ségrégation bien réelle, alors qu’elle en avait pleinement les moyens, il est impossible d’en prendre la mesure en France. Mais on peut néanmoins observer cette ségrégation à l’échelle d’un arrondissement des Hauts-de-Seine, celui de Nanterre, qui comprend quatorze communes avec de fortes disparités de niveau de vie. La ségrégation sociale et scolaire résidentielle saute alors aux yeux, tout comme la ségrégation occasionnée par l’enseignement privé.
Les élèves admis dans le privé n’ont pas les mêmes chances de réussite que les élèves affectés dans le public : avec en moyenne deux fois plus de « bons élèves » dans leur classe, ils n’ont pratiquement aucune chance d’échouer au brevet et presque deux fois plus de chances d’obtenir une mention. Inversement un élève affecté dans le public a presque une chance sur cinq d’échouer au brevet. La moitié des élèves non admis au brevet sont concentrés dans un quart des collèges, tous publics.
On observe également que, dans les communes où existe une certaine mixité sociale, l’enseignement privé, en recrutant les « bons élèves », empêche toute mixité sociale ou scolaire dans l’enseignement public.
Difficile de croire que les difficultés des collèges défavorisés trouvent leur cause dans leurs groupes de latinistes, leurs sections bilangues ou leurs hypothétiques classes de niveaux : ils subissent de plein fouet des ségrégations, autrement plus aiguës. En minorant la ségrégation résidentielle et incriminant une très relative « ségrégation » dans les établissements (à travers des sections ou des options qui permettent surtout aux établissements les plus défavorisés de conserver une certaine attractivité), l’étude du CNESCO occulte soigneusement la seule véritable « ségrégation » au sens propre entre les établissements : celle de l’enseignement privé.
Dès lors, le CNESCO peut bien imaginer une « politique très volontariste de mixité » (autour de la carte scolaire par exemple), tant que la question de cette ségrégation ne sera pas posée, une telle politique restera vaine. Pire : elle contribuera même à son propre échec !
Du moins rendre coupable l’école publique de « ségrégation » a-t-il la vertu de dédouaner l’État de son incompréhensible soutien à l'enseignement privé ainsi que de sa politique urbaine défaillante, dont on somme l’école de pallier les carences.
Cet article est une version abrégée d’un article plus long, avec notes, sur « La Vie moderne » : « Mixité impossible ».