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Interview de l’avocat du "groupe de Tarnac"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Marianne: Quelle a été votre réaction à la décision de la juge d'instruction Jeanne Duyé d’abandonner la qualification d’entreprise terroriste dans le procès de Tarnac ?
William Bourdon: Cette décision est le fruit d’un travail acharné que nous menons depuis des années, pour démontrer que cette qualification d’entreprise terroriste est contraire à la loi française et internationale. Pour la première fois depuis le début de cette saga, une juge d’instruction a décidé avec indépendance, délivrée de la pression politique jusque là incessante. La position du parquet depuis l’origine porte le germe toxique de l’hyper criminalisation des mouvements sociaux et citoyens qui sont portés par des sémantiques radicales. La décision prise par la justice aujourd’hui envoie un signal fort à ceux qui voudraient discréditer et diaboliser certains mouvements d’opinion et de résistance sociale, avec ce nouveau saut de l’infamie : la qualification de terroriste. Et au delà des personnes concernées, c’est essentiel, par les temps qui courent, de poser des limites à la dangereuse tentative d’étendre toujours plus la notion de terrorisme.
Cette décision est-elle la démonstration que l'affaire Tarnac était une construction policière et politique ?
L’arrestation de ces jeunes gens a été l’illustration caricaturale d’une tentative récurrente d’instrumentalisation du terrorisme. Une tentative pour gagner de la légitimité politique quand on échoue dans d’autres domaines, sociaux et économiques notamment, et qui a atteint un paroxysme avec l’affaire Tarnac. Mais il ne s’agit pas que de ce cas précis. Ce qui est sous jacent dans cette affaire, c’est l’érosion du pouvoir judiciaire, au profit de l’administratif, du policier… et donc du politique. Il y a dans les services de renseignement une logique essentialiste qui consiste à en vouloir toujours plus. La loi Valls sur le renseignement traduit encore une fois la complaisance du politique face à la tentation des services d’absorber un maximum de pouvoir. La tyrannie de l’émotion fait perdre la boussole aux démocraties.
Le parquet a pourtant décidé, hier soir, de faire appel de cette décision. Julien Coupat, sa compagne et deux autres personnes restent poursuivis pour «associations de malfaiteurs». Vous restez convaincu que la qualification de «terroriste» ne tient pas la route ?
Quand on lit l’ordonnance de la juge d’instruction, c’est très clair : deux éléments essentiels font défaut, comme nous l’avons toujours dit. D’abord, le livre (L’Insurrection qui vient, pamphlet publié par le Comité invisible en 2007, attribué à Julien Coupat et sur lequel se repose le parquet pour démontrer les motivations terroristes du groupe de Tarnac ndlr), n’a, très paradoxalement, jamais été poursuivi, ce qui affaiblit donc la position du parquet, qui à tort voit dans ce livre la signature de la volonté d’intimidation de la population.
Deuxièmement, la tentative de sabotage en elle-même. L’expertise a démontré que la pose d’un crochet sur une caténaire était insusceptible de provoquer des dommages à l’intégrité physique des personnes. Or, c’est cette volonté de porter atteinte à la vie qui est au cœur de l’infraction terroriste. Le ministère public s’est appuyé sur l’article 421-1 du code pénal, qui dit que les « atteintes aux biens » peuvent être considérées comme terroristes si elles ont « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Mais l’atteinte aux biens s’agissant de la définition du terrorisme est toujours secondaire et jamais principale. La jurisprudence permettrait à n’importe quelle dégradation spectaculaire sur des biens publics d’être qualifiée d’entreprise terroriste, dès lors qu’elle est revendiquée par exemple par un appel à la révolte.
Retour sur les couacs de Tarnac
Les failles sont nombreuses dans l’enquête sur le sabotage des lignes SNCF par Julien Coupat, Yildune Levy et les autres « jeunes de Tarnac ». Avant que les faits n'aient eu lieu (en octobre et novembre 2008), la Sous direction antiterroriste (SDAT) avait demandé au parquet de Paris d’ouvrir une enquête sur le groupe « anarcho-autonome de Tarnac » et son leader Julien Coupat. Leur mise en examen repose sur la pose d’un crochet sur une caténaire et le procès verbal de la filature menée par la SDAT et la Direction centrale du renseignement (DCRI) avant les faits. Une filature aux méthodes louches : la défense accuse la DCRI d’avoir posé une balise illégale sur la voiture de Julien Coupat et Yildune Levy, ainsi qu’un système d’écoute artisanale dans une superette de Tarnac. Mais les multiples plaintes de la défense se heurtent au secret défense. Il faut dire qu’au moment de l’affaire, la DCRI vient d’être créée par Sarkozy (en juillet 2008), et que sa ministre de l’intérieur Michelle Alliot-Marie met du cœur à faire gonfler l’affaire dans les médias. A l’époque, François Hollande alors conseiller général de Corrèze avait évoqué (le 30 mai 2009) un « ratage policier » et déclaré « Le couac de Tarnac est devenu une affaire politique ».