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Longue scission au CCI/POI : et maintenant ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-presumey/050915/longue-scission-au-ccipoi-et-maintenant
Selon toute vraisemblance la crise du CCI/POI (le Courant Communiste Internationaliste, héritier de l’OCI, Organisation Communiste Internationaliste, des années 1960-1980, et principale composante du Parti Ouvrier Indépendant) arrive à son terme, une rupture qui était en fait avérée depuis des semaines, mais dont l’accouchement plein et entier aura revêtu quelques lenteurs qui ne sont pas sans intérêt. La crise s’est ouverte à la veille des mois estivaux, au moment du référendum grec, et semble devoir aboutir en cette rentrée scolaire et «sociale » à ce à quoi s’attendaient les uns et les autres : une scission, et pas à l’amiable.
(voir les épisodes précédents :
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-presumey/100715/crise-au-poi-parti-ouvrier-independant ;
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-presumey/310715/propos-de-la-scission-du-ccipoi )
La parution, en date du 18 juillet, du journal La Tribune des Travailleurs, sentait clairement la scission. Nous notions que l’orientation politique de ce journal était plus claire, plus affirmée, que celle d’Informations Ouvrières dont Daniel Gluckstein est toujours directeur de publication mais semble n’avoir plus aucune prise sur le contenu : plus affirmée dans le sens de la préparation d’un affrontement social, et donc politique, pensé comme imminent, en France, cela parce que prenant de moins en moins de gants envers les directions syndicales confédérales, attaquées entre autres sur la question de la CES (Confédération Européenne des Syndicats), une structure plus liée aux institutions « européennes » officielles qu’à la base des syndicats, qui tient justement son congrès à Paris, fin septembre début octobre, et dont sont membres la CGT, la CGT-FO, la CFDT, la CFTC et l’UNSA.
Soutenu par les secrétaires nationaux du POI, ce journal se réclamait, dans un article de ces derniers (Daniel Gluckstein, Gérard Schivardi et Jean Markun), des raisons pour lesquelles le POI avait été fondé, reprenait les sous-titre d’Informations Ouvrières : tribune libre de la lutte des classes, « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », mais sans se présenter comme l’organe du POI (ce qu’est en principeInformations Ouvrières) et avec ces autres formules : Pour le parti ouvrier indépendant et Pour l’Internationale ouvrière.
De telles formulations indiquent aux lecteurs attentifs que pour les concepteurs de ce journal, le parti ouvrier indépendant pourrait demeurer un objectif à atteindre plus qu’une réalité effective (comme chacun le sait bien en vérité ! ), et que l’internationale ouvrière itou (comme chacun sait aussi ! ), alors que leurs adversaires de la majorité de la direction du CCI/POI les accusent de verser dans l’« autoproclamation », et bien qu’une IV° Internationale ait été « reproclamée » par Pierre Lambert – et Daniel Gluckstein - en 1994.
Le plus surprenant à ce stade est que le lancement d’un nouveau journal n’ait pas produit immédiatement de rupture ouverte et officielle, d’autant que, comme l’a dénoncé la majorité de la direction, ceci supposait des préparatifs développés depuis un certain temps, peut-être pas « 35 ans » comme nous verrons qu’il se le dit, mais au moins quelques mois. Mais, pour ses auteurs, ce lancement sanctionnait l’impossibilité de s’exprimer de manière uniquement, ni même principalement désormais, interne. La majorité de la DN (Direction Nationale, anciennement Comité Central) du CCI ayant décidé de placer le congrès du CCI après celui du POI (à l’inverse du procédé suivi jusque là) et de proclamer qu’une rénovation en profondeur du POI allait s’y produire, sa minorité a voulu former officiellement une tendance, droit qui lui fut refusé au motif justement que le congrès avait été reporté et qu’hors des périodes de congrès les tendances, ça n’existe pas, ce qui provoqua la « suspension » des membres de la dite tendance, largement le tiers de l’organisation, le changement des clefs des locaux et autres mesures de ce type. C’est donc cette tendance qui est à l’origine du nouveau journal, même si ceci n’était pas affiché (à tort : la transparence est la règle de la démocratie, mais on était encore dans la phase où les deux fractions jouaient le jeu du « pas de fuites »). Elle considérait que l’interdiction de s’organiser en interne exigeait une telle mesure, mais ne le disait pas, sachant avoir encore des moyens de pression organisationnels (les parts de SCI dans des biens de l’organisation, la direction de publication d’Informations Ouvrières et le secrétariat national du POI).
Le 24 juillet, les trois secrétaires nationaux publiaient une « lettre ouverte » aux membres du bureau national du POI pour justifier la création d’un nouveau journal : notamment parce qu’Informations Ouvrières serait devenu « un organe d’une partie du bureau national entrée en guerre contre une autre partie du bureau national », l’accusant de ne rien dire sur les positions communes de la CES et des « directions des confédérations syndicales nationales » pour le maintien de la Grèce dans l’eurozone et l’UE, et de mal relayer un appel d’élus locaux pour l’abrogation de la loi « NoTRE » (réforme territoriale). Allusion y était faite en outre à la « campagne de calomnies » menée contre l’un d’eux.
Ce point mérite une petite parenthèse : il s’agit de Daniel Gluckstein et cette campagne a eu pour signal une lettre du 3 juillet d’un militant du Cantal, Philippe Besson, publiée au bulletin intérieur du CCI, l’accusant d’avoir « attendu son heure depuis 35 ans », remontant à l’époque où Langlade (son pseudo), qui n’était pas encore un cantalou retiré, animait avec Seldjouk-Gluckstein et quelques autres la minorité de la LCR qui, en 1980, rejoignit l’OCI : déjà il n’était pas des nôtres, explique Langlade-Besson, voulant dire par là que Seldjouk n’était pas devenu un « sous-marin » de la direction de l’OCI dans la LCR, puis lui attribuant « 25 années de situation - réelle ou supposée - de « dauphiné », traduction : d’avoir été le « dauphin » de Lambert. Et certes Gluckstein-Seldjouk après l’exclusion, sur la gauche, de Stéphane Just en 1984, et le départ, sur la droite, de Jean-Christophe Cambadélis en 1986, devint de fait le « dauphin » de Lambert durant les trois purges ultérieures après lesquelles la vie de ce parti sembla fossilisée jusqu’à aujourd’hui : celle de Pierre Broué (1989), celle d’André Lacire-Langevin et Michel Panthou (1991), et celle de Pedro Carrasquedo, Antonio Guzman et Alexis Corbière en 1992. Le choix de publier, de diffuser et même de laisser fuiter sans le dire cette lettre à tonalité si personnelle était bien une décision politique. Mais ce cri de dépit d’un vicaire retiré dans son presbytère est un document intéressant au plan psychologique car il éclaire un aspect important de toute cette affaire : lancer des « appels à la Constituante », vouloir toujours une « campagne contre l’union européenne », oser dire, comme l’aurait dit un partisan de Seldjouk, qu’il faut « chasser le pouvoir », tout cela, écrit en substance notre apôtre du révolutionnarisme calme et posé, c’est de la folie et du délire hors du temps, qui évoque le précédent de Gerry Healy – un révolutionnaire britannique devenu un gourou dangereux. Cri du cœur contre la perception d’une exigence activiste susceptible de perturber le confort d’un rythme « lutte de classe » marqué avant tout par quelques défilés syndicaux et un gueuleton anticlérical de temps en temps, avec, pour les dimanches et jours de fêtes, une IV° Internationale décorative, monument à la mémoire de Pierre Lambert …
Fermons la parenthèse. Dans leur lettre du 24 juillet, les trois secrétaires nationaux du POI se réclament du « POI des origines », invoquent le soutien de la moitié du bureau national (qui compte 46 membres), et disent vouloir la réussite du « V° congrès ouvert du POI » prévu les 21-22 novembre, dont « l’ouverture » semble justement conçue par ses promoteurs comme un moyen d’écarter ce secrétariat.
Cette lettre suscita, dés le lendemain, la diffusion de la réponse d’un membre du bureau national reprochant leur indiscipline et leur comportement individuel aux membres du secrétariat, ne respectant pas le mandat du bureau national, tout en se demandant bien où pouvaient se trouver les divergences au vu de la lecture des deux journaux.
Dans Informations Ouvrières du 20 août se produisait un évènement important, mais sans lendemain : l’apparition d’une page « Tribunes libres » avec deux articles de membres notoires de la tendance oppositionnelle, et contributeurs de la Tribune des Travailleurs, Pierre Cize et Jean-Jacques Marie, ce dernier connu par ailleurs comme historien du mouvement ouvrier et de l’URSS.
L’article de Pierre Cize ne contient pas une virgule susceptible d’être directement interprétée comme une polémique ou une critique, et développe une critique de la notion de « partage des richesses », qualifiée de corporatiste, c’est-à-dire se situant dans la perspective de l’association capital-travail. On remarquera que la CGT, la FSU et Solidaires appellent à une journée d’action le 8 octobre prochain sur ce thème, « exiger une meilleure répartition des richesses », et que l’on ne retrouve justement pas dans cet appel les revendications formulées par les mêmes centrales plus FO le 9 avril dernier : retrait du pacte de responsabilité, de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 sur « l’emploi », opposition à la réforme territoriale. Manière donc de souligner que les vastes perspectives que le 9 avril étaient censées avoir ouvertes se sont refermées, et que la majorité de la direction du CCI/POI se trouve, de ce côté-là, dans l’impasse si l’« appareil politique de la lutte » qu’elle préconise autour de son journal pour élargir le POI, ne critique pas les directions syndicales. Discussion feutrée, pour initiés.
C’est l’article de Jean-Jacques Marie qui, pour la première et, semble-t-il, la dernière fois, aura réellement mis les pieds dans le plat dans les colonnes d’Informations Ouvrières – et c’est tout à son honneur. Son sujet est la CES, sa matière est fournie par la critique d’une phrase très obscure de Marc Gauquelin dans un n° précédent à propos des pressions des institutions européennes sur la « gauche radicale ». Le véritable obstacle ou l’obstacle principal est constitué par les directions des organisations syndicales liées à la CES, explique J.J. Marie, directions dont le rôle politique est plus important selon lui que la « gauche radicale » bien qu’elle ait aussi ses responsabilités. Pour la première fois depuis … 1969 ? – un article de discussion dansInformations Ouvrières mettait le doigt sur la question des liens entre ses principaux rédacteurs et la direction confédérale de FO, qui conclut (avec certes un petit point d’interrogation) en accusant Marc Gauquelin de « détourner l’attention des véritables obstacles à surmonter pour se préparer au choc qui vient ».
Une autre parenthèse s’impose ici. Une donnée sous-jacente à cette crise politique date des années 2006-2008, quand Alexandre Hébert, figure de Force Ouvrière, allié historique de Pierre Lambert, votant avec lui les rapports moraux de la confédération depuis 1969 (après l’avoir fait une première fois en 1958), prit ses distances, d’une part d’avec l’évolution de FO, d’autre part d’avec le POI. De sorte que, le fait est peu connu, A. Hébert s’est éloigné de Pierre Lambert, qu’il avait « tiré à droite » durant sa vie, « sur la gauche ». L’histoire est très souvent ironique … Donc, envers FO, A. Hébert n’était pas d’accord avec la participation à la CES, à la formation de la CSI au niveau mondial, et les militants qu’il influençait directement développèrent ensuite ces critiques en refusant la disparition de la revendication, historique pourtant et identitaire depuis 1995, du retour aux 37,5 annuités de retraite pour tous dans les textes confédéraux, puis la signature avec la CFDT de l’accord sur le « dialogue social » dans le secteur privé en janvier 2008. Une opposition s’est formée sur ces bases, ancrée dans une tradition, et les cadres dirigeants du CCI/POI jouant un rôle dans FO n’en font assurément pas partie. Leur « ligne » à eux est celle de Patrick Hébert, fils d’Alexandre, lui ayant succédé à la tête de l’UD de Loire-Atlantique jusqu’en mai 2015, membre du POI, et ferme soutien, avec des phrases combatives, de l’orientation intégrale de J.C. Mailly. Ces dernières années cette opposition, latente, a tendu à se réduire à la Bretagne et notamment à l’UD du Finistère. D’autre part, envers le POI, A. Hébert a déclaré ne pas être d’accord avec un parti disant vouloir le pouvoir, ce que n’était pas, selon lui, son prédécesseur le PT (Parti des Travailleurs). La transsubstantiation du PT en POI raviva donc son « anarchisme individualiste ». Les deux conflits – celui, idéologique, avec le POI, et celui, portant sur les principes syndicalistes, avec la direction de FO, se sont combinés. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, la cassure du CCI/POI peut rapprocher de ce courant de FO l’opposition apparue dans ce parti, alors qu’initialement son enracinement dans la proclamation du POI (opérée par Pierre Lambert, dans sa dernière année de vie, avec Daniel Gluckstein à partir de la candidature de Gérard Schivardi aux présidentielles de 2007) les oppose. Les oppose aussi, de plus, la participation motrice et active de l’UD FO du Finistère au mouvement de grève de fin 2013 qui fut ensuite engagé dans le mouvement dit des « Bonnets rouges », se rendant à la grande manifestation du 3 novembre 2013 à Quimper, où des incidents l’opposèrent d’ailleurs à la FNSEA : les militants locaux du POI, attaqués pour cela dans la lettre de Besson-Langlade comme illustrant les dérives de Seldjouk, se sont alliés au PG aux élections cantonales. Néanmoins, la reprise appuyée du langage syndicaliste historique contre le « corporatisme », la CES, l’association capital-travail, le « dialogue social » institutionnalisé, le « partage des richesses », par le courant Gluckstein, atteste sans doute d’une volonté de nouer et renouer les liens avec les syndicalistes qui s’opposent aux appareils syndicaux.
Cette pages de « tribunes libres » fut sans lendemain. Point de réponse de Marc Gauquelin à J.J. Marie, mais, dans Informations Ouvrières du 3 septembre, un article de Daniel Schapira, ancien président de l’UNEF-Unité syndicale, sur la CES, qui, sous couvert de critiquer les positions du Front syndical de classe, un courant de la CGT nostalgique de l’époque de Benoît Frachon et adversaire acharné de la CES, répond en réalité à l’autre fraction : la CES « n’est pas une organisation syndicale », alors que les confédérations syndicales nationales, si elles peuvent subir des pressions, « restent des confédérations syndicales indépendantes » car elles relèvent de la lutte des classes, cela, en quelque sorte, quelle que soient la politique de leurs dirigeants, en tout cas dans des limites très large.
C’est effectivement là, sous une forme rigidifiée, fossilisée, un vieux discours de Pierre Lambert aboutissant à un magnifique sophisme : « un syndicat est un syndicat » et comme la CES n’en est pas un elle ne peut pas altérer la « nature » de syndicat des syndicats qui en font partie !
Cette juxtaposition de tautologies mériterait d’être confrontée à la rudesse de Trotsky (Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste) tout autant qu’à sa souplesse intellectuelle (« A n’est pas égal à A » ! ). Dans un parti démocratique et révolutionnaire, révolutionnaire parce que démocratique, démocratique parce que révolutionnaire, formé nécessairement de tendances contradictoires, un tel débat ne manquerait pas d’intérêt et ne se ferait pas entre les lignes. Mais en vérité, la proclamation du caractère inaltérable et inoxydable des appareils syndicaux confédéraux signe la limite ultime de la « discussion ».
Il est clair en effet que, à un moment donné de la deuxième quinzaine d’août, la « discussion » amorcée à rencontré sa « limite », comme disait Staline (Pravda, 2 décembre 1923). Plus de discussion ouverte, à peine celle-ci amorcée, dansInformations Ouvrières (c’est l’organe du POI, alors les affaires internes du CCI ne doivent pas le polluer ! ). Il est probable que le moyen de pression qu’avait dans une certaine mesure été la sortie d’un nouveau journal cesse alors d’opérer : un second numéro paraît. Et il est annoncé qu’il devient hebdomadaire …
Ce n°2 de la Tribune des Travailleurs est significatif à deux égards. D’une part il annonce la vente de 2454 exemplaires et 1042 abonnements (Informations Ouvrières en a prés de 8000 pour la période estivale). D’autre part, sous le titre « La rupture avec l’Union européenne, c’est la question centrale pour le mouvement ouvrier », il fait une large place à une interview du militant grec Stathis Kouvélakis. Auteur de travaux sur Marx, et membre de la direction de Syriza et maintenant d’Unité populaire, le parti qui groupe les principales forces militantes de ce qui a été Syriza, S. Kouvélakis est un membre notoire d’une autre IV° Internationale, celle dont la section française, ancêtre de l’OCI puis du CCI/POI, avait été exclue (de manière anti-démocratique ! ) en 1952, l’officielle en somme, qui a connu des groupements et regroupements divers et dont les correspondants français sont au NPA ou à Ensemble. C’est une première, ce que d’aucuns appelleront un signe d’ouverture, d’autres un signe de décomposition ou une « preuve », mais cohérente avec l’orientation affirmée à ce jour par ce journal.
Le samedi 29 août le CCI tenait un rassemblement traditionnel, identitaire, devant la tombe du fils de Léon Trotsky, Léon Sédov. Cette année il a pris un relief particulier, car c’est là que la guerre a, enfin pourrait-on dire, été déclarée publiquement. Selon la direction du CCI il y avait « prés de 500 participants ». Les deux discours prononcés, de Marc Gauquelin et Lucien Gauthier, sont tous deux entièrement orientés vers une scission définitive, non pas avec un courant ayant des divergences mais avec des ennemis avérés, et vers une affirmation identitaire qui, par un remarquable paradoxe dialectique, une fois de plus, pourrait bien sceller l’apparition, en France, d’un courant « lambertiste ».
Le terme de « lambertisme » est ancien, mythique, et souvent utilisé d’une façon malsaine. Il amalgame ce qui fut la force militante, ouvrière, intellectuelle d’un courant au rôle extrêmement important dans la lutte sociale en France, mais aussi dans d’autres pays, directement issu de l’ancienne section française de la IV° Internationale (celle qui fut effectivement accouchée par la volonté de Léon Trotsky de forger l’instrument pour que la seconde guerre mondiale conduise à la révolution …), avec des pratiques bureaucratiques dont la plus célèbre et la plus fantasmée est appelée « entrisme » alors qu’il ne s’agit pas de cela, mais de « sous-marinage » : il faudra refaire la clarté sur ces termes un de ces jours. Bref, on a tout dit et son contraire, et surtout pis que pendre, du « lambertisme », sorte de bête noire mystérieuse pour certains militants, surtout ceux de culture, pour le dire vite, « gaucho-chrétienne », qui ont eux aussi leur histoire, leur force, mais qui voient l’incarnation de ce que le syndicaliste français est censé pouvoir avoir de pire, « laïcard » et « droitier », incarnation d’autant plus mythique qu’ils ont peu d’occasions de la rencontrer, dans ce concept curieux de « lambertisme » avec son côté vaguement super-Dupont. Mais le « lambertisme » n’est pas une essence éternelle, il est une histoire, avec des moments différents, des phases spécifiques, une réalité vivante même quand elle a les traits de ce qui meurt, car c’est aussi cela la vie. Le « lambertisme » a déjà engendré de grands et petits « lambertologues ». Quand l’écho de la cassure du CCI/POI s’est fait entendre, la lambertologie a résonnée : voici venu le temps de la fin, l’heure du châtiment, il va mourir le lambertisme …
Hé bien non, il risque de naître, mais il est vrai que cette naissance a quelque chose de morbide. En effet, Marc Gauquelin a entrepris, ce 29 août, d’assumer l’étiquette de lambertiste, désormais sans guillemets. Le culte du père est en pleine ascension devant l’adversité et la perversité des contradicteurs : Marx-Engels-Lénine-Trotsky-Lambert, c’est bien parti. Car Lambert a trouvé le BA-ba de la politique révolutionnaire, résumé dans cette phrase épatante que cite Lucien Gauthier : «Qui veut me lire paie » ! Hé oui, mécréants, découvrez-vous : le bolchevisme-lambertisme, c’est ça ! On apprend des choses inédites sur l’histoire du bolchevisme dans ces deux discours. On a déjà appris précédemment que le bolchevisme ne tolère les tendances que quand la direction déclare ouverte une discussion de congrès, ce qui contredit grossièrement les faits historiques puisqu’il y a eu des tendances sans arrêt dans la social-démocratie russe de 1899 à 1921 et que le bolchevisme fut d’abord l’une d’elles avant d’en être à son tour, très vite, rempli. On apprend cette fois-ci que la scission entre bolcheviks et mencheviks a notamment porté sur le paiement des cotisations, alors qu’aussi bien la version Lénine que la version Martov de l’article des statuts du parti social-démocrate définissant ses membres, objet initial du litige entre eux, précise que le membre« soutient le parti par des moyens matériels ». On apprend ensuite que les mencheviks ont immédiatement (car, naturellement, ils préparaient leur coup dans l’ombre : depuis 35 ans ?) lancé une « Nouvelle Iskra contre le journal du parti » (Lucien Gauthier) : en fait, ils ont pris grâce à Plekhanov qui a lâché Lénine, le contrôle de l’Iskra. Ces jongleries avec l’histoire, donc avec la vérité, visent à justifier un parallélisme entre 3 évènements cosmiques : la scission entre bolcheviks et mencheviks, la scission de 1952 du trotskysme, la scission actuelle du CCI/POI. A chaque fois, le bon camp était « majoritaire » (en russe : bolchevik ! ). Et déjà en 1903 les mencheviks ne voulaient pas payer leurs cotisations ! Or, en lançant un journal concurrent, les mencheviks d’aujourd’hui bafouent la « loi de la majorité » et le « centralisme démocratique » et font diminuer les abonnements à Informations Ouvrières, ce qui équivaut à ne pas payer ses cotisations !
On ne caricaturera qu’à peine en résumant ainsi cette profonde pensée : le marxisme-léninisme-trotskysme-lambertisme, c’est vendre le journal et payer ses cotisations ; mencheviks, pablistes et seldjoukides ne veulent pas payer leurs cotisations, c’est la contre-révolution !
Si, selon Marc Gauquelin, les forces hostiles tapies dans l’ombre depuis des années ont choisi d’attaquer maintenant « la IV° Internationale », c’est d’abord parce que celle-ci, dans une résolution du 14 janvier dernier (peu après les attentats de Paris), considérant que le temps est compté avant l’arrivée des cataclysmes guerriers et révolutionnaires, a appelé « toutes les sections » à se débarrasser sine die de « l’esprit de routine et du conservatisme » et à se mettre au turbin, bon sang. Aussitôt dit, aussitôt fait : la section française (la plus importante de très loin), a boosté et dépassé le POI en réunissant 900 syndicalistes le 6 juin, obligeant les ennemis à se démasquer en passant à l’attaque, exécutant alors les plans prévus de longue date (depuis 35 ans … ?).
La lutte des classes n’affronte pas des essences éternelles et le « lambertisme », disions-nous, n’est pas une essence éternelle, mais il y a beaucoup d’essences éternelles dans ces deux discours. Arrivons-en au saint du saint : si nous sommes attaqués, nous les lambertistes, et de la pire des manière, celle qui vient de l’intérieur, c’est parce que nous sommes une force dans la classe ouvrière. Et là, l’auteur de l’article tient à faire remarquer qu’il n’y a plus lieu de se tenir les côtes, comme il espère que les connaisseurs ont pu le faire en lisant les paragraphes ci-dessus. Il n’y a plus lieu parce que c’est vrai, sur un plan historique et dans une certaine mesure aujourd’hui encore. Mais cette force, nos deux orateurs du cimetière en ont fait à son tour une essence métaphysique éternelle ! certes, elle est là pour « assurer la victoire de la révolution prolétarienne » (conclusion du discours de M. Gauquelin), mais elle est d’abord là parce qu’elle est dans les syndicats, et là, revoici ce singulier phénomène de l’essence éternelle du syndicat, mystiquement postulée par le prédicateur Lucien Gauthier :
« Un syndicat ouvrier indépendant est contradictoire avec le système capitaliste. Le syndicat, quelle que soit la politique de sa direction, est la matérialisation de la division de la société en classes, parce que le syndicat organise les travailleurs, et seulement eux. »
Entre comprendre que l’existence même de syndiqués, de sections syndicales, de luttes syndicales, aussi limitées soit-elle, est fondamentale en effet, et s’imaginer ou plutôt faire croire que le syndicat existe forcément comme syndicat indépendant puisqu’il matérialise la division de la société en classe, et donc qu’il est contradictoire avec le système capitaliste – on ne fait là que synthétiser les affirmations de l’orateur du cimetière – et donc que ceci fonctionne, oh miracle de la transsubstantiation,« quelle que soit la politique de sa direction », merveille des merveilles, il y a plus qu’une paille, il y a une poutre …
Ainsi donc, tout ce déballage sur le menchevisme, le pablisme et les cotisations, avec y compris le rappel de la révolution prolétarienne qui dépend des porteurs du message (je rappelle le message, il en vaut la peine : « Qui veut me lire paie ! »), ainsi donc, tout ça, tout ça, a pour clef de voûte cette vérité éternelle : le syndicat, mon fils, de bas en haut tu défendras, « quelle que soit la politique de sa direction ». O tempora, o mores …
Donc, puisqu’il s’agit, on l’aura compris, de défendre non l’héritage dans les rapports sociaux, dans les positions des syndicats, de décennies de luttes passées de militant trotskystes et syndicalistes, mais de défendre « une direction » qui, « quelle que soit sa politique », est à la tête d’un syndicat obligatoirement « contradictoire avec le système capitaliste », puisque donc c’est du sérieux, attention, ça va chauffer. Lucien Gauthier conclut ainsi son discours :
« … le temps maintenant est venu, le temps nous est compté (…)Quand il y a un obstacle, il faut le franchir. Nous allons le franchir. Nous allons trancher. (…) Nous allons agir, plus que discuter. Nous allons décider, nous allons trancher. »
On va voir ce qu’on va voir : on va les virer !
Je n’ai pas à ce jour connaissance de la teneur du rassemblement tenu au même endroit le lendemain, par ce qui n’est déjà plus une tendance interdite du CCI/POI mais bien un nouveau courant public en formation, lequel a sagement décidé de ne pas venir le même jour – la tonalité des discours décrits ci-dessus indique qu’il y aurait eu coups et bagarre, c’est hélas évident. Ceux qui en l’occurrence peuvent paraître les victimes ne sont d’ailleurs pas forcément des « gentils » ! Et eux aussi se veulent « lambertistes » et peuvent être tentés de renchérir à leur tour dans ce registre, alors que c’est l’examen objectif de l’histoire, qui n’est pas unilatérale, qui devrait s’imposer à tous. Mais, soyons clair, les conceptions, l’expérience et la connaissance de ce courant chez l’auteur de ces lignes, lui interdisent de renvoyer dos-à-dos les protagonistes. Les uns fondent une identité lambertiste revendiquée post mortem qui recouvre un dogme sur l’essence infaillible des syndicats « quelle que soit la politique de leur direction ». Tout en sachant qu’il y a là des militants parfaitement sincères et des syndicalistes « biens », c’est là un cadre dont la fonction sociale est de les stériliser. Les autres sont par leurs choix et par les faits conduits à se poser des questions et à essayer d’agir en révolutionnaires dont les mains ne soient pas liées par des appareils. Cela leur rend possible la rupture avec une partie de leur héritage, pour mieux faire vivre l’autre partie. Pas inéluctable, possible.
VP, le 4 septembre 2015.