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Entre libéralisme et politiques d’austérité: la crise des universités françaises
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Durant les quinze dernières années, les universités françaises ont été profondément remodelées par la mondialisation libérale. Alors que la guerre économique se déployait sur le terrain de l’enseignement supérieur et de la recherche, la France et les pays de l’UE ont cherché à se doter d’universités de taille suffisante pour concurrencer les grands établissements américains ou chinois. Le regard rivé sur « le classement de Shanghai », ils se sont engagés dans une politique de concentration et de marchandisation qui a entrainé le système d’enseignement supérieur et de recherche français dans une crise structurelle dont l’évolution pourrait constituer un facteur majeur d’instabilité sociale et politique.
C’est en 2000, lors du sommet de Lisbonne, que les Etats de l’Union européenne ont posé les principes d’une réorganisation européenne de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le but de se doter de « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». La première application concrète de cette politique fut l’adoption dans tous les pays de l’UE de la réforme « LMD » (licence, master, doctorat).
La déferlante libérale
Présentée comme un système d’équivalence entre les diplômes des pays de l’UE, cette réforme a en fait abouti à créer un « marché européen de l’enseignement supérieur et de la recherche », au sein duquel les universités ont vocation à promouvoir leurs « offres de formation » pour se disputer des étudiants, désormais pensés comme des clients à la recherche de la formation la plus compétitive possible.
Le deuxième volet de cette politique a été l’adoption en 2005 du « pacte de la recherche » qui a substitué aux vieux modèles publics de distribution des crédits de recherche, dans lequel le CNRS jouait un rôle central, de nouveaux modèles libéraux fondés sur la mise en concurrence des laboratoires. Les équipes et leurs chercheurs font désormais l’objet d’une batterie d’évaluations, dont les résultats conditionnent l’obtention de financements attribués par des procédures concurrentielles fondées sur des appels d’offre. La recherche française a dès lors dû entrer dans une course aux contrats, qui a considérablement renforcé le poids des intérêts économiques, puisque l’essentiel des appels d’offres a été concentré dans les secteurs susceptibles de développer un potentiel de valorisation immédiat.
Ces premières contre-réformes prirent une nouvelle ampleur en 2007, lorsque Sarkozy transforma par la loi LRU les universités en agents économiques autonomes, rivalisant les unes avec les autres dans une logique libérale de marché. Bien que le gouvernement ait dû reculer sur sa volonté première de changer radicalement les statuts des enseignants-chercheurs, qui ont pour l’essentiel conservé leurs statuts de fonctionnaires, la loi LRU a mis en place des outils de dérèglementation qui apparentent désormais davantage les universités à des entreprises publiques qu’à de véritables administrations.
Par ailleurs, en faisant bénéficier à hauteur de 22 milliards d’euros les universités de son « grand emprunt », Sarkozy a non seulement contribué à creuser la dette publique, mais aussi à imposer un nouveau modèle de distribution de l’argent public radicalement inégalitaire et élitiste. L’argent du « grand emprunt » a en effet été distribué à une petite minorité de laboratoires et universités, choisis parce qu’ils concentraient déjà les moyens les plus importants, ce qui a permis d’imposer une nouvelle logique de répartition des crédits au profit des plus riches, qui a considérablement accru les inégalités territoriales déjà importantes dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Alors qu’il avait promis durant sa campagne de remettre en cause cette politique, Hollande l’a largement poursuivie et amplifiée. En 2013, la loi Fioraso a accru l’influence dans l’enseignement supérieur du patronat, dont les représentants participent désormais à l’élection des présidents d’université. Afin de favoriser la concentration des universités, elle les a aussi contraintes à s’associer avec les établissements voisins, dans le cadre d’une fusion totale ou d’une « communauté universitaire d’établissements » (COMUE).
Les socialistes ont aussi rajouté au libéralisme les effets de leur politique d’austérité : loin de voir arriver les 5000 postes promis par le candidat Hollande, les universités ont fait l’objet de coupes d’autant plus efficaces qu’elles ont été largement maquillées. Si les budgets des gouvernements Ayrault et Valls affichaient en effet tous l’objectif d’un maintien des dotations de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Etat a en réalité diminué ses versements, puisque les dotations votées se sont trouvées systématiquement amputées par le biais de gels ou de reports de crédits ou encore par la levée de contributions ou de prélèvements sur les réserves des universités.
Des universités en crise structurelle
Si les ravages des politiques d’austérité ont été fortement médiatisés, la crise que traversent aujourd’hui les universités est d’abord et avant tout le fruit de quinze ans de déréglementation libérale. Sommées de développer des politiques managériales, les universités ont été amenées à créer de nouveaux services qui ont fait exploser leurs coûts. L’ouverture du marché de la formation les a ainsi contraintes à se doter de services de communication et à recourir parfois même à de véritables campagnes promotionnelles. De même, les politiques de « professionnalisation » des formations, largement promues par le patronat, ont engendré des coûts nouveaux au moment où la réforme de la taxe d’apprentissage limitait les ressources de l’enseignement technologique.
Plus généralement, la libéralisation s’est accompagnée d’une nouvelle bureaucratisation, en raison de la multiplication des procédures d’évaluation, de la complexification des procédures d’appels d’offres, mais aussi de la logique même de la loi LRU qui a amené les universités à devoir gérer leurs masses salariales et leurs bâtiments, avec tous les coûts qui en découlent.
L’inefficacité des réformes libérales a toutefois trouvé son comble dans la politique de concentration des universités qui s’est soldée par la création de monstres ingérables, à l’exemple de « Aix-Marseille-Université » qui rassemble aujourd’hui sur 19 sites pas moins de 72 000 étudiants et 4200 enseignants. Loin de permettre des économies d’échelle, ce type de structure a entraîné de nouveaux besoins et une complexification considérable des fonctionnements. De même, en regroupant les établissements d’enseignement supérieurs d’une même académie dans une structure aussi parasitaire que lourde, les COMUE sont en train de donner naissance à une nouvelle bureaucratie autant coûteuse qu’inefficace.
Si les dépenses des universités ont explosé, leurs recettes n’ont pas subi la hausse escomptée. Alors que les libéraux avaient pensé que les universités françaises pourraient, comme les grandes universités américaines, attirer des capitaux privés, la réalité fut toute autre. Bien que l’Etat ait incité les entreprises à investir dans la recherche par le biais des « clusters » régionaux, du « crédit impôt recherche » ou encore des « fondations universitaires », ces dispositifs n’ont été utilisés par le patronat que comme de simples niches fiscales.
Particulièrement emblématique est le « crédit impôt recherche », dont l’élargissement a permis au patronat de bénéficier d’une niche fiscale de un milliard en 2006, de six milliards aujourd’hui et sans doute de neuf milliards demain, alors même que l’investissement en recherche des entreprises n’a cessé dans la même période de reculer ! Il en va de même pour les fondations, qui participent pour moins de 1 % au financement des universités et dont les fonds sont en réalité constitués à plus de 80 % par de l’argent public.
Au-delà des effets des politiques d’austérité, ces réformes libérales ont amené toutes les universités dans des situations financières désastreuses, la situation étant particulièrement intenable dans les établissements les plus petits qui sont les grands perdants de la course aux contrats. Une université sur quatre est en déficit et se trouve de fait placée sous la tutelle de l’Etat, ce qui en dit long sur la réalité de « l’autonomie » des universités tant vantée par les gouvernements. La crise est d’autant plus profonde que les difficultés sont structurelles, puisque la loi LRU a placé les universités devant des défis financiers qu’elles ne peuvent relever. Les universités ont ainsi reçu avec la loi LRU la dévolution de leur patrimoine et se trouvent d’autant plus incapables d’assurer l’entretien de bâtiments souvent en état de délabrement avancé.
Ces difficultés se traduisent par une dégradation bien réelle des conditions de travail des personnels, avec en particulier un développement important de la précarisation des jeunes chercheurs, mais aussi par une dégradation de l’accueil des étudiants. Les effectifs des TD se sont partout accrus, des filières entières ont été fermées et de plus en plus d’universités, qui constatent qu’elles n’ont pas les moyens d’accueillir tous les néo-bacheliers, mettent en place des numerus clausus pour brider la croissance de leurs premières années. Les universités françaises n’ont en fait pas les moyens de faire face aux 50 000 étudiants supplémentaires qui accèdent chaque année en France à l’enseignement supérieur, ce qui se traduit par le développement de l’enseignement supérieur privé dont les effectifs ont augmenté de 31 % entre 2005 et 2013.
Vers la hausse des frais d’inscription ?
La crise du système est aujourd’hui telle que la majorité issue des élections de 2017 sera très certainement amenée à remettre en chantier une nouvelle réforme. Bien que les difficultés actuelles des universités soient le fruit des réformes libérales, la bourgeoisie n’a d’autre solution à proposer que d’aller encore un peu plus loin sur ce chemin, en augmentant sans doute cette fois-ci les droits d’inscription. Le gouvernement a en tout cas commencé à préparer le terrain en publiant en juin dernier un rapport de l’inspection des finances qui recommande de fixer le montant des droits d’inscription à 1000 euros par an, contre 184 euros aujourd’hui pour une inscription en licence.
L’affaire est toutefois délicate, car nul n’a oublié la gifle que la jeunesse française avait infligée en 1986 au gouvernement Chirac lorsqu’il avait voulu déplafonner les droits d’inscription par la loi Devaquet. Pour autant, le contexte a changé et les défaites répétées de ces dernières années ne peuvent qu’encourager les libéraux à aller plus loin. L’échec du mouvement contre les décrets de la loi LRU en 2009 a profondément démoralisé les personnels et la situation du mouvement étudiant s’est aussi fortement dégradée. En s’employant à éviter toute confrontation avec le gouvernement, la direction de l’UNEF a non seulement contribué à enliser le mouvement étudiant dans une spirale d’affaiblissement, mais a aussi sapé ses propres bases comme en témoigne son affaiblissement électoral. Dans ce contexte de recul, le déclin de l’UNEF ne profite évidemment pas aux syndicats de lutte, mais à la corporatiste FAGE qui devrait sans doute bientôt devenir la première organisation syndicale étudiante.
Si les difficultés sont bien réelles, la jeunesse n’en reste pas moins sur la victoire du CPE en 2006 et l’issue d’une attaque libérale sur les droits d’inscription est des plus incertaines. Les militants anticapitalistes ont tout intérêt à se préparer dès aujourd’hui à un affrontement à moyen terme sur la question1.
Il y a en particulier beaucoup à apprendre des mouvements étudiants qui, du Canada au Chili en passant par l’Angleterre et l’Australie, ont vu récemment la jeunesse se mobiliser contre l’augmentation des droits d’inscription qui constitue partout la réponse de la bourgeoisie à la crise des universités. Du point de vue de la lutte des classes, la question des droits d’inscription est en effet centrale, non seulement parce qu’elle conditionne l’accès des classes populaires à l’enseignement supérieur, mais aussi en raison de son importance symbolique dans l’histoire du mouvement étudiant. Tout recul sur ce terrain constituerait pour la jeunesse une défaite majeure, qui permettrait à la bourgeoisie de s’autoriser de nouvelles et rapides avancées.
Pour un projet d’émancipation universitaire
L’état de crise des universités impose aux militants anticapitalistes de prioriser les luttes antilibérales pour la défense du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. La question centrale est bien évidemment de sortir le patronat des universités, ce qui passe par la mise en place d’un financement 100 % public pour la recherche et l’enseignement supérieur, avec la suppression des niches fiscales constituées autour de la recherche pour en affecter le produit au budget de l’enseignement supérieur. Il s’agit aussi d’enlever au patronat son pouvoir sur la formation, ce qui implique la disparition des stages, puisqu’il n’y a aucune raison que l’entrée d’un jeune travailleur dans l’entreprise se fasse en dehors du cadre d’un véritable contrat de travail.
Pour autant, la nécessaire lutte contre les politiques libérales ne saurait être suffisante, dans la mesure où l’Université est trop largement imprégnée par le corporatisme et le conservatisme, mais aussi par sa fonction de reproduction et de légitimation des inégalités, pour être réellement réformable. Il ne saurait y avoir de transformation révolutionnaire de la société sans repenser entièrement le système de recherche et de transmission des connaissances, ce qui pose évidement la question de la sélection et invite à remettre radicalement en cause la pyramide de diplômes et de concours qui constitue l’un des principaux fondements actuels de la distinction sociale.
Dans l’Université comme ailleurs, la question démocratique est évidemment centrale. Héritières du corporatisme féodal, les universités fonctionnent selon un modèle mandarinal, où le pouvoir est accaparé par une poignée de vieux hommes blancs. Au-delà de mesures basiques de démocratisation, qui poseraient la question d’un pouvoir étudiant mais aussi de l’abolition du mandarinat par la création d’un corps unique d’enseignants et le principe du « une personne, un vote », l’enjeu est surtout d’ouvrir l’Université et de la mettre au service de la société. Parce que l’enseignement supérieur et la recherche jouent un rôle essentiel dans l’économie, ils ne peuvent s’organiser dans une société socialiste comme un corps autonome, mais doivent trouver leur place dans le cadre global d’une planification démocratique.
Enfin, la question de l’Université pose celle du statut de la jeunesse qui mérite une attention particulière puisque les conditions objectives d’existence des jeunes se sont considérablement dégradées. La réponse traditionnelle du mouvement étudiant est la création d’une allocation d’autonomie. Plus riche peut-être d’un point de vue transitoire serait la création d’un véritable salaire étudiant qui prendrait sa place dans un projet de « salaire à vie pour tous » comme le proposent les adeptes des théories de Bernard Friot. Dans une perspective émancipatrice, l’essentiel est sans doute en effet de ne plus séparer travail et formation pour les considérer comme différentes facettes d’un emploi au service de la société, mais aussi de son propre épanouissement personnel.
Laurent Ripart
- 1.Voir le précieux petit ouvrage du Collectif ACIDES, « Arrêtons les frais ! Pour un enseignement supérieur gratuit et émancipateur », Paris, Editions Raisons d’Agir, 2015, 8 euros.