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Essai : La Fin de l’homme rouge

Lien publiée le 4 novembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

De Svetlana Alexievitch, Actes Sud, 2013, 24 euros. Acheter sur le site de La Brèche.

Svetlana Alexievitch, écrivain et journaliste biélorusse née en 1948, vient d’avoir le Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre...

Parmi les plus connues en France, un brûlot contre la guerre d’Afghanistan1, un autre sur la tragédie de Tchernobyl2, puis cette stupéfiante somme de témoignages sur l’URSS stalinienne et ce qu’il en est advenu après son effondrement, parue en 2013 sous le titre La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement.

Ce dernier ouvrage est un trésor. 500 pages de souvenirs, nostalgies et rancœurs, que la plume de Svetlana Alexievitch fait remonter à la surface, avec leurs mots et images qui viennent du cœur et des tripes. Elle a d’autant plus admirablement recueilli ces pépites de franc parler populaire qu’elle s’en dit « complice », utilise en préface le « nous » : « C’était le socialisme, et c’était notre vie, tout simplement. » Elle précise sa démarche : « J’écris, je ramasse brin par brin, miette par miette, l’histoire du socialisme “domestique”... “intérieur”. La façon dont il vivait dans l’âme des gens. » Des miettes de vie, oui, à l’état brut, mais néanmoins contradictoires !

La préface de l’auteure a comme un goût d’anticommunisme primaire : Lénine, Staline et leur marxisme-léninisme auraient forgé un « Homo sovieticus », tragique et ringard, pour n’avoir connu que les mensonges et les dénonciations, les arrestations et les camps, les tortures et les fusillades, les déportations de peuples, dans ce vaste pays qui a vécu une Seconde Guerre mondiale terrible... Exit l’« Homo sovieticus », si l’on comprend bien Svetlana Alexievitch... bien que nombre de ceux qu’elle interroge disent regretter une époque où l’on se passionnait pour des livres maudits et lus en cachette, pour des chanteurs hors la loi mais adorés, et surtout pour des idées et des idéaux...

Alors que depuis 1991 et la chute de l’URSS, on n’aspirerait plus qu’à faire du fric, bouffer au Mac Do ou s’acheter des petites culottes roses. Symboles du come-back capitaliste ! L’ouvrage donne la parole à des êtres qui semblent tous déçus ou brisés, par le communisme ou prétendu tel, comme ensuite par Gorbatchev, ­Eltsine, voire Poutine...

Une histoire reste à faire

Force est de reconnaître que l’ouvrage donne à réfléchir à cette bouleversante histoire, aux ramifications mondiales, car illusions et désillusions suscitées par le stalinisme ont passé les frontières.

Mais une histoire reste à faire, qui ne peut se limiter à amasser les miettes, qui a besoin de réflexion et de perspectives. L’époque de l’URSS n’a pas connu que des humiliés et des offensés, mais des individualités et courants qui ont choisi de combattre le système et la dégénérescence de la révolution, au premier rang desquels les bolcheviks qui l’avaient faite, même s’ils ont finalement été vaincus et liquidés par Staline. Puis des dissidents... des hommes et des femmes qui n’ont pas renié leurs idées et combats.

Et on a envie de terminer par un témoignage de l’ouvrage, amusant et rassurant :

« Moi j’ai grandi dans une famille de dissidents... Mes parents connaissaient Sakharov, ils diffusaient du samizdat. J’ai lu avec eux Vassili Grossman, Evguénia Guinzbourg, Sergueï Dovlatov... (...) J’écoutais Radio Liberté. Et en 1991, bien entendu, j’étais avec eux dans la chaîne qui s’était formée autour de la Maison-Blanche, prêt à sacrifier ma vie pour que le communisme ne revienne pas. (...) Pour nous, le communisme était lié à la terreur, au Goulag. À une cage. Nous pensions qu’il était mort. Mort pour toujours. Vingt ans ont passé... J’entre dans la chambre de mon fils, et qu’est-ce que je vois sur son bureau ? Le Capital de Marx, et sur une étagère, Ma vie de Trotski... Je n’en croyais pas mes yeux ! Marx est de retour ? »

Est-ce donc vraiment la fin de « l’homme rouge » ?

Michelle Verdier

Et une pièce à voir actuellement à Paris...

Une lecture d’extraits de l’œuvre de Svetlana Alexievitch adaptée et mise en scène par Stéphanie Loïk au théâtre de l’Atalante à Paris (10, place Charles-Dullin, 18e arrondissement, 01 46 06 11 90), du 4 novembre au 7 décembre. Un spectacle de qualité.

  • 1.Les Cercueils de zinc, ouvrage paru en 1989, traduction en français en 1991, Bourgois, 8 euros.
  • 2.La Supplication. Tchernobyl. Chronique du monde après l’apocalypse, paru en 1997, traduction en français en 1998 chez Lattès, en 2004 chez J’ai lu, 5 euros