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Burkina Faso : « La partie est loin d’être terminée »

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Lien publiée le 13 novembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://anticapitalisme-et-revolution.blogspot.fr/2015/11/burkina-faso-la-partie-est-loin-detre.html

André Tibiri est membre fondateur de l’Organisation démocratique de la jeunesse (ODJ) créée en 2000. Il en est toujours l’un des principaux animateurs, entouré par une nouvelle génération militante qui a joué un rôle très important lors de l’insurrection d’octobre 2014, puis face à la tentative de putsch militaire en septembre 2015. A deux semaines des élections générales qui doivent avoir lieu au Burkina Faso fin novembre (législatives et présidentielles), il répond ici à nos questions.

Anticapitalisme & Révolution – Après l’insurrection du peuple burkinabé en octobre 2014, le RSP (l’ancienne garde présidentielle de Compaoré dirigée par le général Diendéré) est souvent intervenu pour tenter d’imposer son point de vue au gouvernement de transition. Que cherchait-il cette fois à obtenir en faisant ce coup d’État ? Et quel a été le rôle de la population dans cet échec ? Celui de la jeunesse, des syndicats, mais aussi de l’armée ou des puissances étrangères comme la France ?

André Tibiri – En effet, le RSP est intervenu à plusieurs reprises dans l’arène politique, perturbant le fonctionnement de l’appareil d’État. Il est bon de signaler l’irruption répétée de cette fraction de l’armée dans la vie politique. Elle témoigne du fait qu’elle était, en dernier ressort, le vrai détenteur du pouvoir. Après l’insurrection et le départ forcé de Blaise Compaoré en octobre 2014, elle avait opéré un coup d’État, damant le pion au Chef d’Etat-major général des armées qui s’était, lui aussi, autoproclamé chef de l’État. Le RSP lui avait alors retiré le pouvoir, qu’il a confié à son numéro 2, le Lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida. C’était le 1er novembre 2014. Le lendemain, le peuple avait vivement protesté par une grande mobilisation, contraignant alors le RSP à revoir sa copie initiale de confiscation du pouvoir : c’est ainsi qu’on a abouti à la notion de « transition inclusive », une formule qui avait permis de donner un habillage civil au processus de transition. Mais dans le fond, l’armée, le RSP, gardaient l’essentiel du pouvoir. Dans ces conditions, la transition était un processus bien précaire qui pouvait difficilement respecter les échéances électorales fixées.

Lorsque le RSP intervint donc pour la quatrième fois dans le processus, il monta d’un cran, décidant de retirer purement et simplement tout le pouvoir à travers un coup d’État contre-révolutionnaire et fascisant : en moins d’une semaine, il a semé la terreur dans la ville de Ouagadougou, tirant à balles réelles sans sommation et sans hésitation sur les résistants, faisant plus de dix morts. Ce faisant, il visait entre autres objectifs à briser les acquis et l’esprit de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, rétablir au pouvoir le parti de Blaise Compaoré notamment dans sa fraction la plus réactionnaire, enfin et non des moindres, à se couvrir d’impunité. Le RSP est en effet cette unité militaire qui a semé pendant les 27 ans de règne la terreur politique avec de nombreux assassinats, à l’image de ceux de l’étudiant Boukari Dabo ou du journaliste Norbert Zongo.

La réaction du peuple a été tout simplement exemplaire. A travers le pays, il s’est dressé comme un seul homme dans toutes ses composantes, travailleurs, jeunesse, syndicats, organisations de la société civile, partis politiques, etc., pour faire échec à ce coup d’Etat dans un formidable élan de solidarité nationale. Les syndicats par exemple, dès le 16 septembre (jour de la prise en otage du Président et des membres du gouvernement), ont lancé une grève générale qui a été largement suivie à travers tout le pays, paralysant l’économie et le fonctionnement des services. Partout dans le pays, il s’est mis en place des structures de résistance au coup d’État, prenant appui sur les comités provinciaux de la Coalition contre la vie chère (CCVC) à travers le pays. L’ODJ (qui a lancé un appel à la résistance le 17 septembre) a grandement participé au succès de ces structures par la mobilisation de la jeunesse, l’animation et l’encadrement des manifestations, la tenue des barricades, etc.

Dans cette entreprise de résistance héroïque, le peuple a bénéficié du soutien de l’armée. Dans plusieurs localités en effet, les populations en lutte ont campé devant les casernes militaires pour appeler l’armée à se ranger du côté du peuple et à prendre ses responsabilités face au RSP. L’armée loyaliste dans son ensemble a ainsi fini par prendre ouvertement fait et cause pour la résistance. C’est ainsi que toutes les unités militaires du pays ont convergé sur la capitale, Ouagadougou, où également la population, notamment la jeunesse, était sur les barricades dans les différents quartiers. La suite on la connaît : le chef putschiste, le célébrissime Gilbert Diendéré, figure emblématique du RSP, a fini par avouer l’échec du coup d’État.

Dans cette résistance, le peuple a dû faire preuve de vigilance et de maturité politique. Très tôt en effet, la CEDEAO, cette organisation sous-régionale tenue en laisse par l’impérialisme français, a accouru à la rescousse des putschistes dans une entreprise de légalisation du coup de force. Les propositions de sortie de crise (qui garantissaient entre autre l’impunité aux putschistes) ont été rejetées catégoriquement par le peuple et la jeunesse. Au début de cette crise, la France a brillé par l’absence de condamnation du coup d’Etat, se contentant de demander la libération des otages (le coup de force a commencé par une séquestration des membres du gouvernement et du chef de l’Etat). Puis, face à la détermination des manifestants, elle a adopté un langage adapté à la situation. On apprendra finalement qu’elle est une fois de plus intervenue militairement dans ce conflit politique national en exfiltrant (comme elle l’avait fait avec Blaise Compaoré) le président Kafando.

A&R – On a parfois l’impression, depuis, que la vie a repris son cours normalement. Mais est-ce si vrai ? Ou est-ce que la population continue à se mobiliser et à s’organiser, et de quelle manière ?

AT – En effet, après l’échec du coup d’État, la tension s’est estompée et le climat politique s’est quelque peu détendu. Cela a permis de revenir, j’allais dire, à la situation d’avant : la transition finissante et la campagne électorale pour des élections couplées présidentielles/législatives. Cependant tout le monde est conscient que la lutte doit se poursuivre. La transition n’a malheureusement pas étanché la soif de vérité et de justice qui mobilise les Burkinabés depuis plus de 15 ans. Par ailleurs, les Burkinabés dans leur ensemble ne se font pas d’illusions sur ces élections présidentielles. Les principaux candidats sont pour la plupart des anciens piliers du régime déchu et pour certains, des anciens collaborateurs. En ce moment donc, les organisations démocratiques qui ont mené la lutte contre l’impunité et pour les libertés démocratiques toutes ces années durant, continuent la mobilisation, y compris dans le contexte électoral. La Coalition de lutte contre la vie chère, l’impunité, la fraude et pour les libertés (CCVC) a lancé une campagne nationale d’interpellation de la transition et des autorités à venir sur ces préoccupations légitimes des populations. L’ODJ est membre de cette coalition et dans ce cadre, elle mobilise la jeunesse pour faire de cette campagne un succès.

Par ailleurs, un fait important est à signaler : la mise en place de comités de défense des acquis de l’insurrection, structures populaires de lutte dont l’apport a grandement contribué au succès de la résistance contre le coup d’Etat.

A&R – Le discours officiel depuis un an est celui de la « transition démocratique ». Mais qu’est-ce qui a changé ou non depuis octobre 2014 ? Et que peut-on vraiment attendre des prochaines élections ?

AT – Sans être exhaustif, il faut dire que s’il y a une question sur laquelle les Burkinabés attendaient la transition, c’est bien la question de l’impunité. A sa prise de fonction, le président Kafando avait en effet indiqué ouvertement que « plus rien ne serait comme avant » et qu’il avait saisi le sens de l’insurrection : plus jamais d’injustice, plus jamais de corruption, plus jamais de gabegie. Sur la base de ces déclarations, les populations s’attendaient à ce qu’un vaste chantier soit engagé contre les délinquants à col blanc, les pilleurs de la République et tous ces criminels. Mais sur cette question, le gouvernement de transition a tergiversé, oscillant entre hésitations et reculades pour finalement ne pas faire grand-chose, pour ne pas dire rien de vraiment substantiel. Pire, la « transition démocratique » avait fini par désigner le mouvement social comme son ennemi, montrant ainsi des velléités répressives. C’est dans ce cadre qu’on a pu entendre des discours du genre « il faut restaurer l’autorité de l’État » ou encore « il faut mettre fin à la “ruecratie’’ ». Le processus de transition est en train de s’achever alors qu’aucun des dossiers de crimes de sang et de crimes économiques portés par le mouvement revendicatif depuis plus de 15 ans n’a connu de traitement sérieux. Y compris le dossier des martyrs de l’insurrection. Cet échec de la transition entache gravement les prochaines élections : les candidats à la présidence, pour les plus en vue, sont tous du sérail du régime déchu. Roch Marc Christian Kaboré, candidat du MPP et pronostiqué comme futur président, est partie prenante du pouvoir de Blaise Compaoré depuis le coup d’État du 15 octobre 1987 qui l’a porté au pouvoir. Il a notamment été Premier ministre, puis président de l’Assemblée nationale et président du CDP (le parti de Blaise Compaoré). Il a rejoint l’opposition en janvier 2014 alors qu’il venait d’être déchargé de ses fonctions de président du parti un an plus tôt. C’est pour toutes ces raisons que malgré la campagne orchestrée pour créditer ces élections comme étant les plus libres, les plus transparentes et les plus équitables, les populations ne sont pas dupes et sont convaincues que la partie est loin d’être terminée.

A&R – Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton organisation ? Comment est-ce que vous militez au sein de la jeunesse, quels sont vos objectifs, vos succès, les liens que vous entretenez avec le syndicalisme étudiant, ou avec d’autres organisations comme le Balai citoyen ?

AT – L’Organisation démocratique de la jeunesse du Burkina Faso (ODJ) est l’organisation de combat de la jeunesse patriotique et révolutionnaire du Burkina Faso. Elle a été créée en décembre 2000 avec comme ambition de fédérer, à l’échelle du Burkina, les luttes de la jeunesse pour la défense de ses droits démocratiques et sociaux, pour la promotion et la défense des libertés démocratiques et pour la lutte aux côtés du peuple burkinabé dans la conquête de la démocratie, la justice sociale et l’émancipation nationale. L’ODJ dispose de sections dans une trentaine de provinces du Burkina (sur un total de 45) à travers lesquelles elle mobilise la jeunesse toutes tendances confondues : jeunes paysans, jeunes du secteur informel, jeunes travailleurs, jeunes orpailleurs et ouvriers, artistes, etc. Ainsi, l’ODJ réussit de plus en plus à organiser de grandes mobilisations autour des préoccupations propres à la jeunesse, mais aussi sur des questions transversales qui mobilisent le peuple burkinabé. C’est notamment la question de l’impunité avec la lutte dans l’affaire Norbert Zongo, les mobilisations contre la vie chère, l’insurrection populaire de 2014 et la résistance contre le coup d’État de septembre 2015.

Dans le cadre de ces luttes, l’ODJ s’intègre dans le réseau d’autres organisations démocratiques, comme la CCVC (l’ODJ en est membre fondateur), le REN-LAC (contre la corruption), le Collectif de lutte contre l’impunité dans l’affaire Norbert Zongo, etc. Elle entretient des relations d’amitié et de lutte avec des syndicats et d’autres organisations de la société civile, en particulier avec les organisations de la jeunesse dont l’Union générale des étudiants burkinabés (UGEB, le plus représentatif des syndicats d’étudiants), avec laquelle elle entretient des liens de solidarité et de lutte.

Propos recueillis par Jean-François Cabral