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L’antiterrorisme français en état de mort clinique

attentats

Lien publiée le 29 novembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/28/l-antiterrorisme-francais-en-etat-de-mort-clinique_4819683_4809495.html

Le système antiterroriste français, longtemps considéré comme excellent, est en état de mort clinique. Mais personne, ni au gouvernement ni dans l’opposition, n’a envie d’en signer l’acte de décès, faute de savoir par quoi le remplacer.

Au fur et à mesure que l’enquête sur les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis avance, les défauts de surveillance des auteurs, les mauvais choix opérationnels et la lourdeur du dispositif antiterroriste sont, une nouvelle fois, mis en exergue. Un enquêteur, encore hanté par les images des massacres du Bataclan et des terrasses parisiennes, s’indigne : « Donc, on ne fait rien ? On attend que ça recommence ? »

Ce qui le scandalise, c’est avant tout l’absence totale de remise en question affichée au sein du ministère de l’intérieur et du gouvernement. « Je veux saluer encore une fois le travail exceptionnel de nos services de renseignement », a répété Manuel Valls, devant les députés, le 19 novembre, après la mort à Saint-Denis du coordonnateur probable des attentats, Abdelhamid Abaaoud – que lesdits services de renseignement croyaient pourtant en Syrie.

Sentiment d’impuissance

Le système actuel est né d’une période où les attentats étaient autrement plus nombreux, les années 1980. L’année 2015 marque néanmoins un cap d’autant plus brutal que la France – hors Corse – avait été épargnée par le terrorisme pendant une longue période, de 1996 à 2012. Cent trente morts en plein Paris, trois commandos coordonnés, des attaques kamikazes, et un sentiment d’impuissance devant l’inéluctable progression d’une violence connue, documentée, médiatisée.

De 2012 à 2015, il y a l’affaire Merah – sept morts, dont trois enfants assassinés de sang-froid parce que juifs, à Toulouse et Montauban –, il y a les leçons tirées des failles du renseignement que le tueur a révélées, et notamment la création de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le renforcement du renseignement territorial, il y a deux lois antiterroristes, en 2012 et 2014. Et puis il y a le massacre de Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper Cacher, les 7 et 9  janvier, et la loi sur le renseignement, adoptée par le Parlement en juin.

Au fond, aucune de ces réformes de structure ou modifications législatives – dont certaines se sont révélées inutiles, comme la création d’une infraction d’« entreprise individuelle terroriste » – n’a changé les deux piliers de la lutte anti­terroriste : l’infraction d’«  association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste  »et le cumul judiciaire-renseignement au sein d’un même service. A l’origine, ce dernier devait permettre à la direction de la surveillance du territoire (DST), devenue direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en  2008 puis direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2014, de maintenir une bonne circulation de l’information en son sein.

« Ces gens ont une stratégie de harcèlement »

Dans le cas des attentats de Paris, la DGSI suivait ainsi un certain nombre des auteurs en judiciaire comme en renseignement. A commencer par Abdelhamid Abaaoud. Ce Belge, qui apparaissait dans cinq dossiers de projets d’attentats en France, était également impliqué, en Belgique, dans l’animation de la cellule terroriste de Verviers, démantelée en janvier. La DGSI avait déclenché dans la foulée ce que l’on appelle une «  enquête miroir  » en France. Une équipe commune franco-belge travaillait même main dans la main. En vain.

Samy Amimour, l’un des kamikazes du Bataclan, était lui mis en examen depuis 2012 dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour un projet de djihad au Yémen. L’enquête était confiée à la DGSI. Placé sous contrôle judiciaire, il disparaît sans que personne ne s’émeuve, jusqu’à ce que les Turcs signalent son passage sur leur territoire. Le travail judiciaire a été effectué, notamment des perquisitions chez ses parents. Un mandat d’arrêt international a été émis. Jusqu’au massacre du 13.

Dans le cadre de son rôle judiciaire, la DGSI a également été alertée sur les menaces qui visaient la France. Ainsi, Reda Hame, interpellé début août de retour de Syrie, qui assure que l’Etat islamique va viser des « cibles faciles », comme par exemple, « des concerts »« La DGSI a bien sûr ces éléments dans le viseur, mais comme tout le reste. Ces gens ont une stratégie de harcèlement, y compris via les menaces qu’ils laissent fuiter. Si l’on se met à raisonner en termes de cibles potentielles d’attentat et pas en termes de réseaux, on va s’épuiser », se défend une source proche des services de renseignement.

Au quotidien, certains estiment que ce volet judiciaire a participé à déborder la DGSI. Dans les services territoriaux, les agents sont polyvalents et se retrouvent happés par la judiciarisation du tout-venant syrien. Le nombre de dossiers judiciaires antiterroristes a été multiplié par cinq entre 2013 et 2015, de 34 à 188, et le nombre de mis en examen par dix, pour atteindre plus de 230 personnes. Cela signifie des dizaines d’auditions, de gardes à vue, d’actes de procédures…

Le fantasme d’un suivi exhaustif

Tout faire, tout le temps… Depuis 2012, à chaque attentat, le même constat – Mohamed Merah était connu mais sa dangerosité mal évaluée, la surveillance des frères Kouachi avait été interrompue parce qu’ils ne paraissaient plus dignes d’intérêt – déclenche la même réaction politique à contretemps. Plutôt que d’encourager les services à cibler davantage, les ministres successifs poursuivent le fantasme d’un suivi exhaustif – tout en rappelant qu’il est impossible lorsque le pire se produit.

Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, c’est la création de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme, qui centralise sous l’autorité du ministre les informations des services, et la création du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, qui rassemble plus de 11 000 noms. Trop pour être utile. «  Les agents passent des heures à remplir des kilomètres de fiches  », dénonce un policier.

Pourtant, dans la discrétion, la DGSI s’est donné les moyens d’un meilleur ciblage. Depuis quelques mois, la cellule « Allat », du nom d’une déesse syrienne préislamique, traite des objectifs de la zone irako-syrienne. Les huit principaux services français sont réunis dans une même pièce. «  Chacun amène ces objectifs, chacun apporte ses billes et peut se connecter à ses bases de données. Le travail est extrêmement opérationnel  », explique une source.

Même la DGSE, la sœur jumelle de la DGSI à l’international, met donc la main à la pâte. Elle s’était tirée à bon compte de l’affaire Merah, alors qu’elle avait raté le périple afghano-pakistanais du tueur de Toulouse. Dans le cas des attentats de Paris, la DGSE a au moins fourni un renseignement, mais trop tard pour qu’il puisse être exploitable. Lors de la surveillance d’une cible en Syrie, le service a découvert des conversations avec une femme en France. Elle est inconnue, jusqu’à début novembre, lorsque les agents se rendent compte qu’il s’agit d’une cousine d’Abdelhamid Abaaoud, Hasna Aït Boulahcen.

La DGSI est alertée et découvre ainsi, bien tardivement, l’existence de la famille française de l’une de ses cibles numéro un. Nous sommes le 12 novembre, veille des attentats. Et c’est finalement un témoin, après les attentats, qui mettra la police judiciaire sur la piste d’Hasna Aït Boulahcen et d’Abdelhamid Abaaoud – tous deux morts le 18 novembre lors de l’assaut du RAID sur un appartement de Saint-Denis.

« 3 000 agents pour 4 000 objectifs »

C’est que ce travail de coordination, qui suit des années de dialogue heurté entre la myriade de services français, ne peut suffire quand la menace devient transnationale. «  Ils s’organisent de Syrie, finalisent le projet en Belgique, arrivent presque la veille à Paris. La DGSI reste un service intérieur, elle ne peut pas faire grand-chose seule… », explique une source au ministère de l’intérieur.

La coordination européenne fonctionne, mais là aussi, elle n’a pas suffi car elle se concentre sur le haut du panier. Or, les auteurs des attentats de Paris étaient connus des services belges ou français, mais pas comme des hommes de premier plan. Les frères Abdeslam – Brahim s’est fait sauter boulevard Voltaire et Salah est en fuite – étaient identifiés en Belgique mais pas comme prioritaires, Samy Amimour était considéré comme l’un des moins dangereux de sa cellule yémenite. Ismaël Omar Mostefaï, également kamikaze au Bataclan, était très secondaire pour la DGSI.

«  La difficulté, résume une source proche du renseignement, c’est qu’il faut à la fois être sur Yassine Salhi, qui du jour au lendemain décide de décapiter son patron, et sur Abaaoud. On a 3 000 agents pour 4 000 objectifs. Et encore, à Paris et Saint-Denis, il y a parmi les auteurs des Belges et des hommes que nous n’avons même pas encore identifiés. Nous n’avons pas des structures qui ont été pensées pour un tel phénomène de masse.  »

«  Si l’enquête permet de pointer des failles ou des manques, on s’adaptera  », explique-t-on au ministère de l’intérieur. La place Beauvau défend également les mesures poussées par la France au niveau européen. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen d’abord, puisqu’un certain nombre de terroristes ont pu passer par la route des migrants sous de fausses identités. Et puis la mise en place d’un fichier des passagers aériens (PNR) européen, vieux serpent de mer dont on voit moins le lien direct avec les attentats, puisque, précisément, il semble que les auteurs des attaques aient suivi une voie terrestre.

Mais, à ce jour, à droite comme à gauche, personne ne souhaite poser la seule question qui vaille, dans un espace de libre circulation des personnes  : faut-il européaniser la lutte antiterroriste ? Hors de question de toucher à ce point de souveraineté nationale.