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Brésil. «Le PT ne représente que la ’gauche’ de l’ordre"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretien avec Plínio de Arruda Sampaio Jr conduit par Alexandre Haubrich
Cet entretien a été réalisé, le 8 décembre 2015, quelques jours avant le remplacement de Joaquim Levy, ministre des Finances, sélectionné en novembre 2014 par Dilma Rousseff, fraîchement réélue en octobre 2014. Joaquim Levy venait (et y retourne) du milieu de la finance. Il était chéri par la banque et les fonds d’investissement pour son attachement à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer le paiement de la dette interne et externe brésilienne qui profite au mieux à ses propriétaires nationaux et autres créanciers internationaux. La carrière de Joaquim Levy a été balisée par son poste de président de Bradesco Asset Management, une filiale de Bradesco, la deuxième banque privée du Brésil.
Face à la déroute accomplie du PT et de Dilma Rousseff, une réflexion sérieuse sur la rapidité de l’avilissement protéiforme du Parti des travailleurs (PT) serait utile. En particulier de la part de ceux qui, se qualifiant militants de la «gauche radicale», manifestaient leur appui, en 2002, à la nomination – par le néoprésident Lula – de Miguel Rossetto comme ministre de la «réforme agraire». Il a exercé son mandat de 2003 à 2006. Ce ministre d’une supposée réforme agraire – dont les plans remarquables élaborés par Plinio de Arruda Sampaio, disparu en 2014, ont de suite été trahis – était placé de facto sous les ordres d’un autre ministre. Celui de l’agro-business, un des grands propriétaires terriens du Brésil: Roberto Rodrigues, leader de l’agronégoce et président de la «prestigieuse» Sociedad Rural de Brasil y de la Asociación Brasileña de Agronegocio. En poste de 2003 à 2006! L’histoire peut être, parfois, source de méditation, si ce n’est d’intelligence des processus socio-politiques.
Miguel Rossetto, avant d’animer la deuxième campagne électorale de Dilma Rousseff, pour sa réélection d’octobre 2014, avait reçu, à nouveau. le Ministère du développement agraire, en mars 2014. Il devait présenter, à la manière d’un illusionniste, les résultats plus que maigres en ce domaine du premier mandat de Dilma
Par contre, Miguel Rossetto, lui, a poursuivi une carrière réfléchie. Après un intermède à Petrobras, il a été à nouveau ministre du «développement agraire», en 2014 et a, dans la foulée, piloté médiatiquement la seconde candidature présidentielle de Dilma Rousseff en septembre-octobre 2014. Il s’est donc vu récompensé par Dilma. Le 6 mai 2015, il est nommé président de Petrobras Biocombustivel. Comme spécialiste des «questions agraires» – et ayant fait ses classes chez Petroflex SA dans les années 1990, avant d’avoir été vice-gouverneur de l’Etat de Rio Grande do Sul – Rossetto avait, lors de son mandat initial, moins développé la réforme agraire que le Programme national de production et d’utilisation du biodiesel et du Label social du combustible (sic). Mais aujourd’hui, se trouver dans la périphérie de Petrobras et de Dilma Rousseff doit relever d’un autre label, du moins pour les juges d’instruction.
Revenons à la voie triomphale de la gestion économique de Dilma Rousseff. Après la démission de Joaquim Levy – qui voulait supprimer la réforme emblématique de Lula: la «bourse familiale» au nom de la réduction du budget afin d’obtenir un excédent primaire suffisant (donc avant le paiement de la dette et ainsi de pouvoir faire face aux échéances exigées par les créanciers) –, Nelson Barbosa est choisi au poste de ministre des Finances. Il fut déjà secrétaire de ce ministère entre 2011 et 2014. Il occupa un poste au Conseil de la Banque du Brésil de 2009 à 2013. Après un bref passage au ministère de la Planification, du Budget et de la Gestion, car nommé le 27 novembre 2014 par D. Rousseff, il a exercé cette fonction jusqu’au 18 décembre 2015. Depuis lors, Nelson Barbosa occupe le fauteuil tout chaud laissé par Joaquim Levy. Le débat entre eux (et d’autres) portait sur l’ampleur des coupes budgétaires afin de déterminer l’objectif de l’excédent primaire. Il faut apprécier ce débat sous l’éclairage de la récession que l’économie brésilienne connaît déjà et va connaître en 2016: elle est estimée à une chute de 4%. Ce qui réduit mécaniquement les recettes. Levy proposait, pour 2016, un excédent primaire de 0,7%. Barbosa a affirmé qu’il serait de 0,5%. Parions que N. Barbosa sera sensible aux pressions, déjà manifestes, des milieux financiers. L’avenir ne promet pas d’excédents de réussite sociale et politique pour le PT. Par contre, pour ses «serviteurs» intégrés dans les sommets de l’appareil d’Etat, les voies de sortie (autre que la prison, pour certains) sont assurées. Ils ont démontré leurs compétences.
L’entretien avec Plínio de Arruda Sampaio Jr permet de replacer les enjeux à venir, pour la large majorité populaire, dans son contexte effectif, structurel et conjoncturel, hors des palais de Brasilia. L’entretien a été fait, comme indiqué précédemment, avant le remplacement de Joaquim Levy par Neslon Barbosa au ministère des Finances. Plínio de Arruda Sampaio en avait saisi, déjà, l’aspect superficiel et illusoire. (Rédaction A l’Encontre)
*****
Selon vous, quelles sont les différences les plus importantes entre le premier et le second gouvernement de Dilma Rousseff d’une part et les trois premiers gouvernements du PT d’autre part?
Le second gouvernement de Dilma subit les conséquences des graves contradictions accumulées au cours des trois gouvernements antérieurs. Les problèmes se sont aggravés sous l’effet des métastases de la crise économique et l’absolu manque de leadership et de créativité de la présidente. L’épuisement du cycle de croissance impulsé par la Bourse spéculative internationale a détruit les bases du dit néo-développementisme, en nous léguant une crise économique de grande envergure et très difficile à résoudre.
La fin de la «paix sociale», qui correspond grosso modo à l’explosion des révoltes urbaines qui ont paralysé le pays en 2013, a sapé l’appui au dit «lulisme» [référence à Lula da Silva, comme figure du PT au pouvoir depuis 2003], en provoquant une crise politico-institutionnelle monumentale dont l’essence trouve sa racine dans la chute spectaculaire du système de représentation qui soutenait la Nouvelle République [allusion aux droits sociaux établis en 1934, sous le régime de la Nouvelle République].
Les fausses solutions de la façon «pétiste» [PT] de gouverner ont explosé dans les mains de Dilma, prouvant ainsi qu’il était impossible de résoudre les problèmes fondamentaux de la société sans affronter les causes structurelles de ces problèmes, à savoir la ségrégation sociale et la dépendance externe. La marionnette construite par Lula s’est évanouie dans les mains de Dilma.
Le second gouvernement de Dilma vous surprend-il?
Pour qui observe la réalité dans une perspective critique, il était prévisible que, pour les travailleurs, le second gouvernement Dilma serait plus désastreux que le premier. La campagne électorale de l’automne 2014 a constitué en une dispute fermée entre des candidats s’engageant en faveur du statu quo ante, où chacun cherche à se qualifier face à la bourgeoisie nationale et internationale comme étant le plus apte à procéder à l’«ajustement» structurel de l’économie et de la société, selon les exigences du Capital en temps de crise économique mondiale.
Quand la candidate Dilma disait qu’elle ne ferait pas d’«ajustement» contre les travailleurs et les travailleuses, elle camouflait les compromis passés avec les seigneurs du pouvoir. Son programme électoral cadrait intégralement avec l’agenda libéral. Les grandes entreprises de construction, les entreprises minières, celles de l’agro-négoce et les institutions financières savaient cela et n’ont pas épargné leurs ressources afin de financer son élection. L’appui de la communauté internationale (un euphémisme pour désigner l’impérialisme) ne lui a pas manqué non plus. Ainsi, le fait que Dilma était compromise jusqu’au cou dans l’«ajustement libéral» était prévisible. Je reconnais cependant que je ne m’attendais pas à une reddition aussi rapide à la ligne réactionnaire, à une lâcheté aussi patente et à un total manque de sensibilité à l’égard de la souffrance des travailleurs.
Quel est le moment d’inflexion qui a conduit à l’offensive conservatrice à laquelle nous avons assisté dans la société brésilienne?
L’«embardée» conservatrice a été doublement conditionnée. D’un côté, la société brésilienne a subi les effets du «régime d’austérité» qui a été imposé au monde capitaliste à partir de 2010. La « solution nord-américaine » à la crise économique suppose une offensive brutale contre le travail avec tout ce que cela comporte de reculs démocratiques. La détérioration du niveau traditionnel de vie des travailleurs requiert un modèle de domination plus dur et plus autoritaire. Ce n’est pas par hasard que les agences internationales de notation du risque incluent dans leur analyse la présence ou non de lois antiterroristes qui criminalisent la lutte sociale. C’est bien à la nécessité de contenir les vents de changements provoqués par les révoltes urbaines de 2013 que répond le tournant conservateur.
La polarisation de la lutte des classes, provoquée par l’épuisement du cycle de croissance et par l’échec du lulisme, reste patente quand on observe le contenu de la lutte des classes. Pour ceux d’en bas, les «améliorations» apportées par les années Lula sont peu nombreuses. La jeunesse est descendue dans les rues pour exiger des politiques sociales et des réformes démocratiques. Pour ceux d’en haut en revanche, les améliorations ont été nombreuses. Sentant que ses privilèges séculaires peuvent être menacés, la ploutocratie brésilienne montre les dents et sort les griffes.
La classe dominante sait que l’ajustement orthodoxe implique de grands sacrifices pour la population et voit avec crainte l’émergence du peuple dans l’histoire, comme la jeunesse qui lutte pour la mobilité urbaine, des étudiants qui occupent des auditoires pour exiger un enseignement public, des travailleurs qui font grève pour leurs salaires et leurs droits, des Indiens qui luttent pour leur terre et leurs fleuves, des sans-toit qui occupent des terrains, des manifestations contre le manque d’eau, etc. Tout cela est hautement subversif et terrorise les classes dominantes.
Quelles sont les racines des crises économique et politique? L’une est-elle antérieure à l’autre?
Les crises économique et politique se conditionnent réciproquement, mais elles possèdent des dynamiques propres qui ne peuvent pas être réduites l’une à l’autre. La crise économique est déterminée en dernière instance par la nécessité d’«ajuster» l’économie brésilienne vers une position encore plus subalterne dans la division internationale du travail. La crise politique met en évidence la faillite du système de représentation et elle est déterminée par la fin de la «paix sociale».
La crise économique est patente avec le fiasco du dit « néo-développementisme» qui a suscité un nouvel effort de modernisation des modes de consommation (à crédit) et a approfondi le caractère sous-développé et dépendant de l’économie brésilienne. Quant à la crise politique, elle est caractérisée par l’épuisement du «meilleurisme » de Lula [du néologisme melhorismo, terme aussi utilisé en Italie, pour qualifier des dites petites améliorations; dans le passé français, cela aurait été qualifié de possibilisme à la Paul Brousse, soit entre 1880-1890]. L’essence dumelhorismo consistait à profiter du petit air frais généré par la croissance économique pour renforcer les politiques assistencialistes et ainsi «adoucir» (et non pas renverser) le processus de concentration de revenu caractéristique du modèle économique brésilien.
La crise politique exacerbe le problème de la crise insoluble du gouvernement Dilma. C’est le régime instauré sous la Nouvelle République qui aujourd’hui ne satisfait pas ceux d’en bas, eux qui exigent que les promesses faites par la Constitution citoyenne soient tenues. Ce régime ne convient pas non plus à ceux d’en haut qui, eux, ont besoin d’éradiquer ce qui reste du contenu démocratique de la Constitution de 1988 pour avoir les conditions permettant d’approfondir le retour en arrière néocolonial exigé par l’ajustement libéral.
Quelle est la meilleure manière pour les travailleurs et la gauche de s’organiser afin d’affronter tant l’avancée conservatrice que l’ajustement fiscal en général?
La lutte des classes se polarise entre deux partis: le parti de l’«ajustement» et le parti «contre l’ajustement», le pôle conservateur et le pôle de la transformation démocratique. Les manières les plus efficaces de freiner l’offensive du capital seront définies concrètement dans le processus de la lutte elle-même. Cependant, certaines lignes directrices générales peuvent aider à la tâche de la réorganisation de la classe ouvrière et de ses alliés.
Pour vaincre le parti de l’«ajustement», il faut, tout d’abord, sortir du piège qui réduit la politique aux options binaires, laissant à la société brésilienne le choix entre un ajustement dur et franc et un ajustement un peu moins dur et dissimulé. Dans la mesure où l’horizon politique continue à être monopolisé par les propositions de l’ordre libéral, la marge de manœuvre des travailleurs est minime. Pour sortir de ce boui-boui étroit, il est nécessaire de laisser de côté toute illusion quant à la possibilité d’une vie meilleure sans rupture avec les paramètres de l’ordre global.
Cela pose la nécessité de radicaliser la critique et de créer les instruments politiques nécessaires au changement. C’est le processus de lutte et l’apprentissage qui font avancer la constitution d’un sujet historique capable d’ouvrir de nouveaux horizons pour la société. En termes pratiques, les travailleurs doivent comprendre que pour mettre en échec l’ajustement, ils doivent mettre en échec la politique économique, qu’ils doivent mettre en échec le modèle économique, qu’ils doivent changer les bases de l’Etat brésilien et créer des alternatives économiques concrètes. Ce n’est pas une tâche facile, mais c’est la tâche historique qui se trouve devant nous .
Comment voyez-vous la formation de fronts comme Pueblo Sin Miedo [Peuple sans Peur] ouBrasil Popular dans la conjoncture actuelle ?
L’initiative prise par Pueblo Sin Miedo de chercher à organiser la population pour affronter l’ajustement néolibéral est positive mais insuffisante. L’ajustement n’est pas une politique du ministre Levy qui peut éventuellement être mise en échec par le remplacement de celui-ci par un nom plus potable. C’est une tromperie que d’imaginer qu’il y a désaccord au sein du gouvernement Dilma. Dilma est totalement soumise au grand capital et elle agit en accord avec les diktats de l’ajustement néolibéral.
Il est ainsi impossible d’être contre l’ajustement tout en appuyant secrètement le gouvernement. Le fait que Dilma soit un « moindre mal » par rapport à Aécio (Neves) ou Temer ne change en rien la situation. Si ceux qui combattent l’ajustement restent prisonniers du dilemme du « moindre mal », alors le parti « contre l’ajustement » – le parti des victimes du capitalisme – n’est pas en mesure de constituer une référence capable d’ouvrir de nouveaux horizons pour la société brésilienne. Ceux qui luttent contre l’ajustement ne peuvent pas rester otages de l’Etat.
Quant au Front Brasil Popular, c’est une initiative désespérée lancée par des pétistes voulant tenter de sauver Dilma. Composé de mouvements sociaux et de syndicats « vissés » à l’Etat, le Front n’a donné aucun signal de vigueur pour prendre la tête des grandes mobilisations de masse. L’aggravation de la crise économique et du chômage devrait diminuer encore plus sa capacité de rassembler. Je ne crois pas qu’ils parviennent à aller plus loin qu’un amague [figure du tango argentin : frapper le sol pour simplement marquer le temps].
Quelle alternative existe-t-il aujourd’hui aux partis de gauche et aux mouvements sociaux ? Ceux-ci sont-ils prêts à organiser cette confrontation?
La gauche doit impérativement organiser les travailleurs pour résister à la nouvelle offensive du capital et créer une alternative au capitalisme. Sans lutte, le coût de la crise sera entièrement porté par les épaules des travailleurs. Sans grandes transformations sociales, il n’est pas possible d’éviter l’avancée de la barbarie. Ce qui est fondamental, c’est de créer une force politique permettant que l’économie et la société soit organisées en fonction des véritables besoins de l’ensemble de la population.
Le point de départ, c’est de dépasser toute illusion selon laquelle les graves problèmes de la population brésilienne peuvent être résolus par la croissance et le «meilleurisme». La croissance et le «meilleurisme » édulcorent les problèmes du peuple, mais font partie intégrante de la reproduction du sous-développement et de la dépendance. Ce sur quoi la gauche doit s’engager, c’est la « révolution brésilienne ».
La social-démocratie a-t-elle atteint ses limites au Brésil?
La social-démocratie n’est par parvenue à sa limite parce qu’en réalité elle n’a jamais existé au Brésil. Il n’existe pas de bases objectives et subjectives pour une politique effectivement réformiste [au sens européen des années de la fin du XIXe siècle ou de certaines périodes et dans certains pays au XXe siècle: soit les «trente glorieuses»] au Brésil.
D’un côté, le capitalisme brésilien dépend d’un modèle d’accumulation qui se nourrit de la surexploitation du travail et de la présence dominante du capital international. Dans ces conditions, il n’y a pas d’espace pour des politiques qui prétendent s’attaquer à la ségrégation sociale et à la dépendance externe, les deux causes fondamentales des maux du peuple. D’un autre côté, la survie du capitalisme dépendant requiert un modèle d’accumulation qui fonctionne comme une démocratie restreinte, fermée hermétiquement aux revendications des classes populaires.
Dans de telles circonstances, il n’y a pas d’espace réel pour que la lutte politique institutionnelle avance au point de mettre en péril les structures du capitalisme dépendant, à savoir la ségrégation sociale et la domination impérialiste. L’intolérance à la mobilisation et au conflit social en tant que mode de conquête des droits collectifs – qui représenterait l’essence même d’un régime politique effectivement démocratique – ferme les porte à tout type d’expérience réformiste.
Au Brésil, l’engagement de la bourgeoisie pour la démocratie s’arrête au moment où celle-ci met en danger ses privilèges. Le «meilleurisme» de Lula est passé très loin de toute proposition social-démocrate. Lula n’a rien réformé. Son gouvernement a approfondi le sous-développement. Le PT ne représente que la «gauche» de l’ordre, de l’ordre compromis avec la reproduction du capitalisme dépendant.
Quels sont les éléments que nous avons pour faire démarrer la Révolution brésilienne et quels sont ceux qui nous manquent encore?
La révolution brésilienne est en cours. Son impulsion est donnée par les luttes réelles de tous ceux qui se battent avec intransigeance contre l’intolérance des riches face à tout changement qui menace leurs privilèges. Dans une perspective historique, elle doit être comprise comme le dénouement d’un long processus historique induit par la nécessité de mener à bien la transition allant du Brésil-colonie d’hier au Brésil-nation de demain. Son point culminant est le dépassement définitif des structures économiques, sociales, politiques et culturelles qui sont responsables des douleurs du peuple.
Les conditions objectives qui déterminent la révolution brésilienne sont déjà mûres depuis un certain temps et restent patentes dans la relation perverse qu’il existe entre développement capitaliste et retour en arrière colonial. En d’autres mots, c’est l’absolue incapacité de la bourgeoisie brésilienne de défendre les intérêts nationaux et de résoudre les problèmes fondamentaux de la population qui met la révolution brésilienne à l’ordre du jour. La révolution sociale est l’unique moyen d’éviter la barbarie.
Les conditions subjectives de la révolution brésilienne ne parviennent pas encore à se construire. Le sujet de la révolution est socialemengt présent pour qui veut bien le voir. Ce sont les travailleurs sans-terre qui luttent pour se faire une place au soleil, ce sont les sans-toit qui se battent pour un logement, ce sont les étudiants et les professeurs qui défendent l’école publique, ce sont les jeunes qui exigent la mobilité urbaine, ce sont les Indiens qui luttent pour leur survie, ce sont les femmes qui se battent contre leur double exploitation, ce sont les travailleurs et travailleuses qui n’acceptent pas qu’on leur retire des droits sociaux. Enfin, c’est le peuple brésilien qui lutte pour une vie digne.
Les formes de la révolution ont été ébauchées lors des Jornadas de juin 2013. La force propulsive de la transformation sociale est la révolte du peuple asservi contre ses oppresseurs. Cela existe déjà de manière diffuse et fragmentée. Il manque encore d’unifier les sujets dispersés autour d’un programme révolutionnaire. Il manque encore de créer des instruments politiques permettant de transformer l’énergie diffuse des masses « informes » en force politique condensée. Il manque encore d’organiser le parti des luttes réelles. Cela est en train d’être construit lentement par tous ceux qui luttent avec intransigeance en défense des intérêts stratégiques des travailleurs. Il est impossible de prévoir quand une telle construction fera un saut qualitatif. Mais si l’on tarde trop, le Brésil s’enfoncera alors dans une mer de boue dantesque. (Entretien publié sur le site du Correio da Cidadania en date du 23 décembre 2015; traduction A l’Encontre)
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Plínio de Arruda Sampaio Júnior, est économiste et professeur à l’Unicamp (Université de Campinas, Etat de SP). Alexandre Haubrich est journaliste pour les sites Jornalismo B et Jornal del Sintrajufe. Correio da Cidadania.