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Catalogne : les indépendantistes finalement en ordre de bataille
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'élection d'un nouveau président catalan après trois mois de discussions permet de relancer le processus de sécession. Cette issue inattendue est le fruit d'un choix qui fait de l'indépendance une priorité absolue pour la majorité issue du 27 septembre.
La politique catalane est une des rares en Europe à pouvoir produire de tels coups de théâtre. Voici une semaine, ceux qui croyaient que les deux partis de la majorité indépendantiste catalane - composée de la liste d'union Junts Pel Sí et du parti de la gauche radicale CUP - finiraient par trouver un accord étaient très minoritaires. La CUP venait de refuser d'investir Artur Mas comme président de la Generalitat - le gouvernement autonome catalan - et ce dernier annonçait fièrement qu'il tenait prêt le décret de convocation de nouvelles élections. Et pourtant, ce lundi 11 janvier, un accord a bel et bien été trouvé et, dimanche, un nouveau président de la Generalitat - Carles Puigdemont, maire de Girone - a été élu avec 70 voix sur 135, dont huit de la CUP.
L'attachement au « processus »
Comment un tel retournement de situation a-t-elle été possible ? Par deux voies, fortement complémentaires. La première, qui est saluée ce matin par la presse indépendantiste catalane, c'est la force du processus de sécession avec l'Espagne. Les partis ont refusé de laisser passer une chance historique pour l'indépendance. Le 9 novembre dernier, les deux groupes avaient voté ensemble une déclaration qui ouvrait ce processus en plaçant la décision du parlement catalan au-dessus de celui des institutions espagnoles. Cette déclaration a été « annulée » par le tribunal constitutionnel espagnol. Le dépassement de cette annulation constituera le premier acte « souverain » de la Catalogne. Mais pour cela, il fallait un gouvernement investi. Et ceci valait bien sans doute quelques sacrifices, tant du côté d'Artur Mas que de la CUP.
De nouvelles élections à haut risque
D'autant - et c'est la deuxième raison de cet accord - que la perspective de nouvelles élections avaient toutes les raisons d'inquiéter les deux groupes indépendantistes. Au regard de trois mois de querelles internes portant non sur le fond, mais sur le nom du président catalan, le camp de la sécession avait évidemment perdu en crédibilité. Il donnait l'impression d'un désintérêt pour la cause de l'indépendance et de son sacrifice à des querelles personnelles. Il risquait de sortir d'un nouveau scrutin un parlement ingouvernable qui aurait repoussé sine die le processus. Artur Mas pouvait jouer les fiers-à-bras, son parti vient de subir un désastre électoral inédit lors des élections générales espagnoles du 20 décembre et la gauche républicaine d'ERC ne semblait guère prête à renouveler l'expérience de Junts Pel Sí dans ces conditions. Bref, un nouveau scrutin ne garantissait pas son retour à la tête de la Catalogne. Quant à la CUP, elle sortait de ces trois mois divisée et certains évoquaient même sa fusion avec la liste de Podemos. Bref, les élections étaient à éviter tant pour des raisons idéologiques que pour des raisons politiques pour les deux groupes.
La CUP matée
L'accord trouvé (dont on trouvera ici une traduction) laissera cependant des traces. Artur Mas a fait payer cher son retrait à la CUP qui a accepté des conditions humiliantes, à plus d'un titre. D'abord, le parti « anticapitaliste » devra « donner » deux députés à Junts Pel Sí. Deux députés qui participeront aux réunions des 62 élus du groupe, mais qui devront accepter la discipline parlementaire dudit groupe. Un « transfert » étonnant et franchement humiliant pour un parti qui a toujours défendu sa responsabilité devant les militants et les électeurs. C'est d'ailleurs parce que la CUP a demandé maintes fois l'avis de ses sympathisants au cours du mois de décembre que la situation s'est retrouvée bloquée. Et c'est pour cela que Junts Pel Sí a cherché à « neutraliser » la CUP en l'engageant, par ailleurs, à ne pas mêler ses voix aux partis hostiles au processus. Bref, la CUP est désormais placée sous une certaine forme de tutelle. Et Junts Pel Sí dispose désormais avec ce phénomène de 64 sièges, soit la majorité relative puisque l'ensemble des partis non-indépendantistes ne disposent que de 63 sièges.
Maigre consolation pour la CUP
Artur Mas n'est donc pas parti sans offrir à son camp une victoire qu'il n'avait pu obtenir dans les urnes. C'est un coup politique remarquable. La CUP, de son côté, a peu de lots de consolation. Certes, elle a prouvé, comme l'a souligné sa députée Anna Gabriel, que « le processus peut vivre sans Artur Mas. » Certes, le nouveau président a insisté sur la formation d'un « pays plus juste », mais tout ceci est une maigre consolation car la CUP a perdu l'essentiel de son influence sur le futur gouvernement catalan. Et elle n'a pas réglé ses problèmes internes pour autant. Nul ne sait comment les électeurs et militants réagiront à cette décision, mais deux députés de la CUP se sont déjà abstenus lors du vote d'investiture de Carles Puigdemont, preuve qu'une partie de la gauche radicale est peu à l'aise avec cette décision.
Qui est Carles Puigdemont ?
La question est désormais de savoir ce que Carles Puigdemont, devenu 130ème président de la Generalitat, fera de cette nouvelle majorité renforcée. L'homme n'a pas été mis en avant par Artur Mas par hasard. Ancien journaliste, il est membre du parti de centre-droit CDC, celui de son prédécesseur, ce qui tend à confirmer la suprématie de ce parti sur le mouvement indépendantiste. Mais il semble épargné par les affaires de corruption qui touchent ce parti et Artur Mas. Sa caractéristique première est un indépendantisme jugé radical par beaucoup. A la différence d'Artur Mas, converti au sécessionnisme au début des années 2010, Carles Puigdemont est un indépendantiste de toujours. Il est clairement homme à pousser l'agenda voté par le parlement catalan le 9 novembre.
Choix de paradigmes
Sa nomination traduit un choix fait par les élus du parlement catalan : les divergences sur l'axe gauche-droite doivent se taire au profit du paradigme indépendantisme-unionisme. La soumission de la CUP permet de mettre à jour que cette ligne de fracture est celle qui organise aujourd'hui la vie politique catalane. Il aura fallu trois mois de palabres et d'hésitation pour y parvenir. Logiquement, le nouveau parlement catalan va donc devoir tirer la leçon de cette situation dont il est issu en refusant la décision du tribunal constitutionnel espagnol du 2 décembre qui annulait la motion du 9 novembre. Ceci devrait engager concrètement ce qui, faute de gouvernement à Barcelone, n'était qu'une bataille larvée et théorique avec Madrid. L'alternative de Carles Puigdemont, comme le souligne un chroniqueur du journal catalan en ligne El Mon, sera d'être le dernier président de la Generalitat ou... d'échouer. La clarification des priorités vers l'indépendance conduit le nouveau gouvernement à créer une république catalane ou à déclarer l'échec des partis indépendantistes. Il n'y aura donc pas de "voie moyenne."
La question du gouvernement espagnol
Carles Puigdemont bénéficie, de plus, d'une situation favorable : à Madrid siège un gouvernement intérimaire. La situation politique issue du 20 décembre a débouché sur un blocage qui pourrait conduire à de nouvelles élections. Avec la formation de ce gouvernement, l'option d'une alliance à gauche, qui a besoin du soutien des indépendantistes catalans, semble impossible désormais : une grande partie du PSOE socialiste s'y opposerait. Pour autant, tout acte du gouvernement catalan pour briser avec la légalité espagnole, comme la formation de « structures d'Etat » ou la mise en place d'une commission officielle pour rédiger la constitution d'une « république catalane » pourrait avoir des conséquences en Espagne. Notamment, la formation d'un gouvernement espagnol centré sur la « défense de l'unité de l'Espagne »,comme le souhaite la présidente andalouse socialiste Susana Díaz, et qui regrouperait le Parti populaire de Mariano Rajoy et le parti centriste mais très unioniste Ciudadanos, avec l'appui plus ou moins direct du PSOE. Le roi Philippe VI, qui a refusé de recevoir la présidente du parlement catalan ce lundi, semble traduire l'état d'esprit "d'urgence" à Madrid.
Utiliser le choc entre les gouvernements catalan et espagnol
Les indépendantistes catalans ont, en réalité, stratégiquement, tout à gagner à ce face-à-face avec les unionistes espagnols afin de convaincre les indécis à rejoindre leur camp en Catalogne. Car un des principaux problèmes de Carles Puigdemont reste que, lors des élections catalanes du 27 septembre, les partis sécessionnistes ont obtenu 47,8 % des suffrages seulement. Et si cela est certes plus que les 39,5 % des trois partis unionistes, c'est insuffisant pour gagner un référendum sur l'indépendance. Il faut donc convaincre les 11 % qui ont voté pour Podemos et l'union chrétienne démocrate que la coexistence avec l'Espagne est impossible. Or, un gouvernement unioniste à Madrid ayant pour ambition de « mater » les indépendantistes pourrait provoquer cet effet. Ce serait la certitude de l'utilisation de l'article 155 de la Constitution qui permet la suspension de l'autonomie catalane.
Convaincre la gauche
Le gouvernement de Carles Puigdemont va donc sans doute avancer vite dans son agenda sécessionniste en l'agrémentant de mesures sociales. Car, en Catalogne, l'indépendance se joue à gauche. La liste En Comú Podem, portée par Podemos avec l'appui de la gauche unie et de la maire de Barcelone Ada Colau, a obtenu 24,74 % des voix aux élections du 20 décembre. C'est au sein de leurs électeurs que se trouveront ceux qui, en cas de référendum, feront pencher la balance vers le oui ou le non. Le nouveau gouvernement devrait donc chercher à prouver qu'une république catalane est plus juste socialement, moins corrompue et moins austéritaire que le Royaume d'Espagne. Carles Puigdemont ne devra donc pas oublier la logique droite-gauche dans sa course à l'indépendance, malgré l'abaissement de la CUP. Une chose est, en tout cas, certaine : le vrai bras de fer entre Madrid et Barcelone a vraiment commencé ce dimanche 10 janvier.