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L'agonie de la Grèce

Lien publiée le 14 mars 2012

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Dans son roman 1984, George Orwell avait forgé le terme de « novlangue » (« Newspeak ») pour une langue imprégnée d'idéologie et qui met les choses à l'envers. Le mot « décote » (« haircut »), tel qu'il est appliqué à la restructuration de la dette souveraine grecque, devrait être intégré au vocabulaire de novlangue.

Ce qui est publiquement présenté comme le « sacrifice » des marchés financiers, une « renonciation » des créanciers privés cédant la moitié de la valeur de leurs obligations grecques, est en fait un cadeau financier fait aux banques.

La décote qui a été acceptée jeudi soir par près de 86 pour cent des créanciers n'empêchera pas la faillite de l'Etat grec. Elle ne fait que la reporter en transférant les coûts d'une banqueroute du secteur privé vers le secteur public à qui incombera environ trois-quarts de la dette grecque.

En effet, l'ISDA (International Swaps & Derivatives Association) a décrété vendredi que, parce que certains détenteurs privés d'obligations ont été obligés d'activer les CDS (Credit Default Swap), la restructuration constituait un « événement de crédit » en induisant le paiement de 3 milliards de dollars de CDS sur les obligations grecques. Ceci souligne le fait que l'accord n'a pas résolu la crise financière européenne et mondiale mais a créé les conditions pour son intensification, à commencer par une nouvelle attaque spéculative sur les dettes du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie et même de la France.

La décote a réduit la dette du gouvernement grec vis-à-vis des créanciers privés d'un maximum de 107 milliards d'euros. Parallèlement, pour les créanciers publics, la dette de la Grèce a augmenté de 130 milliards. C'est le montant qui correspond au montant du second plan de financement de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Bien qu'il soit souvent désigné comme un « plan d'aide», il ne s'agit pas d'un don en espèces mais de nouveaux prêts que la Grèce devra rembourser avec des intérêts. Ce paquet de 130 milliards d'euros ne profitera pas au budget grec et encore moins à la population grecque. Il ira tout droit dans les coffres des institutions financières privées. Trente-cinq milliards d'euros serviront « à faire passer la pilule » pour inciter les créanciers internationaux à accepter la décote, 23 milliards d'euros iront au sauvetage des banques privées et 35 milliards ont été alloués pour fournir des garanties à la Banque centrale européenne (BCE) pour qu'elle continue d'injecter des liquidités. Le reste de l'argent servira à rembourser les crédits et les intérêts arrivant à échéance

La décote ne réduit pas la dette de la Grèce, elle l'augmente. La réduction visée de la dette totale à 120 pour cent du produit intérieur brut (PIB) de la Grèce d'ici 2020 se fera uniquement sur la base de mesures d'austérité, ce qui ramènera le niveau de vie de vastes sections de la population des dizaines d'années en arrière.

Pour les investisseurs privés, par contre, la décote est une bonne affaire. En échange de leurs obligations grecques qui ne se négociaient plus qu'à des prix se situant entre 30 et 40 pour cent de leur valeur nominale, ils recevront de nouvelles obligations valant près de 50 pour cent, avec en plus des garanties internationales d'amortissement et de remboursement final.

Dans les milieux d'experts, la véritable signification de la décote n'est pas un secret. Dans le Financial Times de jeudi, l'économiste américain Nouriel Roubini a remarqué que c'était un « mythe » que de dire que « les créanciers privés avaient accepté des pertes considérables lors de la restructuration de la dette grecque alors que le secteur public s'en tirait à bon compte. »

Roubini a conclu en disant, « La réalité est que durant les périodes favorables la plus grande partie des bénéfices a été privatisée alors que la plupart des pertes ont été socialisées. »

L'article paru vendredi dans le Financial Times Deutschland arrive à une conclusion identique. Il dit : « Quiconque croit qu'en raison de la participation de créanciers privés les charges du sauvetage grec ont été réparties quelque peu plus équitablement, se trompe. Ce ne sont pas les investisseurs privés qui vont payer la plus grande part du plan de sauvetage grec, c'est le secteur public, les contribuables en Europe. Les investisseurs privés sont - par rapport à une faillite de la Grèce - encore parfaitement bien servis par cet accord. »

De nombreux économistes considèrent à présent la faillite éventuelle de la Grèce comme n'étant qu'une question de temps. Mais, d'ici là, les principaux investisseurs financiers internationaux, y compris les millionnaires grecs, auront tranquillement mis de côté leur argent ailleurs.

Les Grecs, qui souffrent déjà le plus des coupes sociales, seront les premiers à subir les conséquences de la faillite. Ensuite, les pertes financières retomberont sur le budget des Etats qui garantissent les prêts de l'UE à la Grèce. Ces gouvernements profiteront de la situation pour réduire encore davantage les dépenses en multipliant les mesures d'austérité de façon à répondre aux exigences du Pacte fiscal adopté la semaine passée lors du sommet de l'UE à Bruxelles.

La « décote » de la dette grecque fait partie d'une offensive internationale menée contre la classe ouvrière dont le but est une énorme redistribution du revenu et de la richesse du bas vers le haut.

Depuis le moment où en 2008 les fonds spéculatifs et les banques ont amené l'économie mondiale au bord de l'effondrement du fait de leurs spéculations irresponsables, ils utilisent la crise pour détruire les acquis sociaux obtenus par la classe ouvrière au cours du siècle précédent. Ils se sont d'abord refinancés eux-mêmes à renfort de centaines de milliards d'euros grâce aux deniers publics, puis ils ont contraint les pays fortement endettés à récupérer cet argent sur la population par le biais de mesures d'austérité.

La Grèce est censée servir d'exemple. L'Union européenne et les gouvernements qui donnent le ton à Bruxelles préconisent davantage de mesures de réduction des coûts bien que ceci pousse les gens à la ruine et dans une pauvreté abjecte. Le même schéma est suivi au Portugal, en Espagne, en Italie, en Irlande et dans d'autres pays qui ont des problèmes fiscaux. Même en Allemagne, le pays économiquement le plus fort de l'UE, un immense secteur à bas salaire a été créé et les licenciements de masse s'accumulent.

Alors que le niveau de vie de la population en général baisse, le prix des actions a une fois de plus atteint des niveaux record. Les gestionnaires financiers empochent des sommes considérables. Les gestionnaires les mieux payés des quarante fonds spéculatifs américains ont engrangé l'année dernière plus de 13 milliards de dollars.

La classe ouvrière d'Europe doit faire face à cette offensive en tant que force unifiée pour défendre tous ses droits et ses acquis passés. Les travailleurs ne doivent pas se laisser monter les uns contre les autres - les Allemands contre les Grecs, les Français contre les Espagnols. Ils doivent rompre avec les partis de l'establishment et les syndicats qui tous défendent l'Union européenne et les gouvernements nationaux et soutiennent leurs plans d'austérité.

Même les droits sociaux et démocratiques les plus basiques ne peuvent être défendus que sur la base d'un programme socialiste qui combat les dictats du capital financier. Les gouvernements bourgeois doivent être remplacés par des gouvernements ouvriers afin de drastiquement réorganiser la vie économique dans le but de satisfaire les besoins de la société au lieu des intérêts de profit de l'aristocratie financière. Il faut remplacer l'Union européenne par les Etats socialistes unis d'Europe.