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Patrick Marcolini, L’assassinat des livres: les bibliothèques, 2015
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://sniadecki.wordpress.com/2016/03/02/marcolini-assassinat-livres/
L’émission est une interview avec Patrick Marcolini, bibliothécaire à Paris, qui a participé à l’ouvrage L’assassinat des livres par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde paru aux éditions L’Echappée, 2015.
Quatrième de couverture du livre:
« Cerné de toutes parts, le livre est sommé de rentrer dans l’ordre numérique. Laboratoires du futur plus innovants que jamais, multinationales du Web, géants de l’électronique, pouvoirs publics et techno-enthousiastes œuvrent de concert pour faire disparaître ce petit « cube de papier » qui fait figure de fossile à l’heure où la culture numérique s’impose partout. Bien que sa liquidation ne se fasse pas aussi vite que prévu – le marché de l’e-book peinant à s’imposer en France –, les acteurs de la chaîne du livre sont de plus en plus fragilisés, même si certains croient pouvoir transférer leur métier dans un monde qui n’a pourtant pas besoin d’eux. »
Patrick raconte comment les bibliothèques ses sont transformées en médiathèques sous les effets de la rationalisation de leur gestion, de la numérisation des livres eux-mêmes et enfin de la promotion des nouvelles technologies par les pouvoirs publics.
L’assassinat des livres
Ce qu’il faut comprendre pour bien voir la situation actuelle des bibliothèques, c’est qu’elles ont été sommées à partir de la fin des années 1980 de s’adapter au monde numérique, aux nouvelles technologies. On a dit aux bibliothécaires: « Regardez, ces nouvelles technologies arrivent, et ce que vous fournissez au public, elles le fournissent en dix fois mieux. Elles donnent plus d’informations, plus de divertissement, de manière beaucoup plus rapide, sans sortir de chez soi. Donc, concrètement, les bibliothèques vont mourir si vous ne faites rien. »
Et face à cela, les bibliothécaires ont essayé d’inventer une alternative, qui consistait à dire: « Pour attirer le public à nous, ce public qui va rester chez lui avec ses ordinateurs et ses écrans, on va lui fournir autre chose. Et c’est de l’animation. » C’est-à-dire que l’on va essayer de ramener le public au livre en construisant autour du livre tout un ensemble d’animations, d’activités festives, de divertissement, de culture aussi, que les bibliothécaires vont avoir pour tâche de mettre en place à l’intérieur des bibliothèques.
Le nom qui a été donné à cette doctrine qui est apparue dans les années 1980-90, d’abord aux États-Unis puis en France, c’est la bibliothèque comme « troisième lieu ». Cela fait référence à la théorie d’un sociologue de l’époque, qui s’appelle Ray Holdenbourg, qui expliquait que la vie quotidienne de la plupart des gens se déroule entre deux lieux qui sont le lieu de travail et le lieu de loisir, en fait la sphère familiale. Et dans la vie sociale, il existe un troisième lieu où les gens se rendent fréquemment, mais qui jusqu’ici n’a pas été très analysé, qui est, au choix, la place du village, le marché, le café, etc., c’est-à-dire un endroit où les gens se retrouvent pour discuter, pour échanger, pour les loisirs. C’est une sphère qui n’est pas réductible à celle de la famille, puisqu’on n’est pas sous le regard du conjoint, des enfants, et qui n’est évidemment pas le lieu de travail. Les bibliothécaires de cette époque se sont emparés de cette théorie pour faire des bibliothèques des troisièmes lieux: « C’est cela notre vocation, créer des lieux où les gens puissent se rencontrer, discuter, se cultiver par les échanges entre les générations, entre les métiers… »
Dans ce cadre-là, les bibliothécaires deviennent des animateurs culturels qui ont pour mission de créer une ambiance, une atmosphère qui donne envie aux gens de venir, et qui va essayer de les ramener au livre parce qu’ils s’en sont éloignés ou risquent de le faire.
Cette transformation des bibliothèques en médiathèques s’est fait en plusieurs temps. Au départ, il s’agissait de faire un lieu de divertissement et de lien social, avec des projections de films, des débats autour de livres, des cercles de lecteurs. Il s’agissait d’innover dans tous les sens pour faire en sorte que la culture du livre ne soit plus perçue comme quelque chose de savant et d’élitiste, mais comme quelque chose de directement accessible, voire de divertissant. Le contenu des bibliothèques a aussi été modifié, on n’en a pas seulement fait des espaces de rencontre, mais on a fait entrer dans les collections des choses qui n’y étaient pas jusqu’a présent: la musique, la vidéo, les jeux vidéo. Et ce qui est en cours actuellement, c’est de faire entrer des choses comme des imprimantes 3D, transformer les bibliothèques en FabLabs, en des endroits où les gens peuvent fabriquer des objets. Il y a cette idée qu’il ne s’agit plus seulement d’un échange de savoirs, mais des savoirs qui vont vers une fabrication.
Avec tout ça, on voit bien que de plus en plus on s’éloigne du livre. Avec le paradoxe que cette bibliothèque comme troisième lieu avait été conçue comme une réponse aux nouvelles technologies, mais du coup elle en vient à les intégrer complètement: avec les jeux vidéo, les salles informatique, l’installation de la Wifi. Et comme la bibliothèque s’est éloignée de sa fonction qui est d’être le réceptacle du livre et l’accueil du lecteur autour du livre, ce qui s’est passé, c’est que les gens viennent en bibliothèque de moins en moins pour les livres.
C’est ça le vrai paradoxe. En fait, les gens viennent de plus en plus pour avoir un espace de travail, aussi beaucoup pour des raisons socio-économiques: les étudiants ou les lycéens n’ont pas envie de travailler chez leurs parents, ils veulent travailler dans un lieu extérieur où ils peuvent être avec leurs amis, dans les cafés ça coûte cher, dans les bibliothèques c’est gratuit. Certains adultes y vont pour disposer d’une connexion Wifi et travailler sur place. Chaque catégorie de la population a ses motivations pour aller en bibliothèque, mais dans toutes ces motivations, paradoxalement, c’est jamais le livre qui les y amène.
A suivre…
Téléchargez et écoutez sur le site de Radio Zinzine l’émission :
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Racine de moins un, une émission de critique des sciences, des technologies et de la société industrielle sur Radio Zinzine.
Merci à Radio Libertaire d’avoir mis en ligne l’émission Offensive sonore sur le site de laBibliothèque associative de Malakoff.