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Intellectuels et critique politique

Lien publiée le 4 avril 2016

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Les intellectuels s'attribuent souvent un rôle politique de premier plan, surtout en France. Mais, à part pour alimenter les débats réactionnaires, les intellectuels ne servent à rien.

En France, la place des intellectuels dans le débat politique est souvent interrogée. Des néo-réacs colportent une idéologie d’extrême-droite. Alain Finkielkraut,Elizabeth Lévy, Natacha Polony ou Eric Zemmour se répandent sur tous les plateaux télés. Manuel Cervera-Marzal, jeune universitaire, propose une solution radicale dans son livre Pour un suicide des intellectuels.

                                        

Intellectuels professionnels

Le sociologue Pierre Bourdieu estime que les intellectuels sont habités par une fonction critique. Ils sont les dominés de la classe dominante et disposent de moins de ressources économiques. Cette position les conduit alors à critiquer la société et à se solidariser avec les classes populaires. Pour l'historien Gérard Noiriel, les intellectuels adoptent nécéssairement une posture critique à l’égard du pouvoir. Il nie la vieille tradition des intellectuels de droite. Ces penseurs sont rangés dans la catégorie des faussaires, des imposteurs, des chiens de garde. Mais ces intellectuels critiques comme Pascal Boniface ou Serge Halimi ne sont pas des ouvriers et restent attachés à la défense de leur statut d’intellectuel.

L’intellectuel est payé pour lire, écrire ou enseigner. Il est généralement artiste, psychologue ou enseignant. Il travaille dans le domaine des lettres, de l’éducation, des médias, de la santé ou de l’associatif. Les intellectuels sont payés pour produire des idées, mais ils ne sont pas les seuls à réfléchir. La vie des idées surgit davantage dans le quotidien. « Elle navigue au ras du sol, au comptoir de café, dans le salon de coiffure, le dîner de famille, la pause clope, l’engeulade fraternelle, les confidences de bureau », décrit Manuel Cervera-Marzal. Le travail manuel fait également appel à l’intelligence.

Les travailleurs manuels sont méprisés en raison de leur faible salaire et de leur rôle d’exécution. Pourtant, le rôle des éboueurs semble aussi important que celui des chirurgiens pour maintenir une population en bonne santé. Le médecin soigne les maladies mais l’éboueur permet de ne pas être malade.

Le suicide des intellectuels doit déboucher vers une intelligence collective et coopérative. « Ce suicide n’est surtout pas une liquidation physique des intellectuels en tant que personne mais la perspective d’une disparition des intellectuels en tant que catégorie sociale distincte du reste de la population », précise Manuel Cervera-Marzal.

La division sociale du travail entre manuels et intellectuels impose une séparation et une spécialisation. Les individus sont morcellés et deviennent incapables de relier activités manuelles et intellectuelles. Cette séparation impose également une hiérarchie entre dirigeants et dirigés. « En outre, en mettant les activités manuelles du côté de l’exécution et les activités intellectuelles du côté du commandement, la division entre travailleurs intellectuels et travailleurs manuels se superpose avec la division entre dirigeants et exécutants », analyse Manuel Cervera-Marzal. La disparition des intellectuels doit permettre aux individus de s’accomplir pleinement, de devenir un « homme complet », selon l’expression de Karl Marx.

Le philosophe Michel Onfray le 28 novembre 2011

Intellectuels engagés

Des intellectuels peuvent basculer dans la précarité. Les jeunes diplômés chômeurs se tournent vers la révolte comme en Tunisie ou encore en Espagne. « Les intellectuels les plus fragiles économiquement sont, souvent, les plus radicaux sur le plan théorique et les plus actif sur le plan politique. Ils n’ont ni poste à protéger ni honneur à conserver », observe Manuel Cervera-Marzal.

Il existe un lien entre précarité et radicalité. L’intellectuel qui gravit les échelons, qui bénéficie d’une reconnaissance institutionnelle, affadit sa critique de la société. Les jeunes diplômés connaissent les mécanismes des médias et des réseaux sociaux. Mais la précarité ne conduit pas nécéssairement à la révolte sociale. La frustration peut alimenter le ressentiment conservateur. L’extrême-droite prospère sur la rancœur d’une petite bourgeoisie déclinante. Le confusionnisme entre extrême-droite et extrême gauche est alimenté par des personnages comme Alain Soral.

L’intellectuel doit sortir de la « neutralité axiologique » et de la passivité politique pour s’engager. « La neutralité n’est pas souhaitable, car les intellectuels sont des êtres humains, qui, comme tous les congénères, se rendent complices des injustices face auxquelles ils restent passifs », affirme Manuel Cervera-Marzal. La neutralité s’apparente à de la lâcheté.

Les intellectuels s’engagent surtout à travers les livres, qui sont leurs armes spécifiques. L’ouvrage de théorie critique ne se contente pas de décrire le monde, mais propose surtout de le changer. La compréhension globale de la société doit permettre de la transformer. « Il est évident que l’on peut agir sans théorie. Mais la théorie permet d’agir intelligemment, de répartir ses forces, de calculer ses coups, d’avancer dans la brume », estime Manuel Cervera-Marzal. Il n’existe aucune bonne théorie qui garantit le succès. Mais la réflexion s’apparente à une boussole pour s’orienter et avancer. La théorie doit également s’appuyer sur la pratique pour évoluer.

La théorie critique doit permettre une compréhension globale de la réalité. « La critique authentique ne porte pas sur des aspects secondaires ou techniques de l’ordre social mais sur cet ordre dans sa globalité », souligne Manuel Cervera-Marzal. Au contraire, l’institution universitaire favorise le morcellement et la spécialisation. La séparation entre les différentes disciplines des sciences humaines ne permet pas une compréhension globale. Manuel Cervera-Marzal propose de relier universitaires et militants autour d’un marxisme libertaire.

L’intellectuel doit participer à l’action militante, mais ne doit pas s’y substituer. Il n’est pas au-dessus des autres ou séparés des autres. La réflexivité et le retour critique sur les pratiques politiques permet de prendre conscience des dynamiques de lutte et des contraintes. Mais l’intellectuel doit agir et penser avec ceux qui luttent, et non imposer ses théories de manière surplombante.

Les intellectuels n’ont plus aucune audience. Personne ne s’intéresse à leurs recherches. Le mouvement de Mai 68 a attaqué l’autorité et la fonction des intellectuels. « La conception bourgeoise du savoir comme marchandise vendue comme petits paquets est ainsi abolie au bénéfice d’une créativité théorique démultipliée et démocratisée », observe Manuel Cervera-Marzal.

Intellectuels contre les luttes sociales

La critique des intellectuels comme catégorie sociale tranche avec le robinet d’eau tiède qui propose de renouveller la pensée critique. Manuel Cervera-Marzal attaque le rôle des intellectuels. Mais il cherche aussi à le redéfinir. Son texte n’est malheureusement pas aussi tranchant que son titre. Manuel Cervera-Marzal propose surtout une esquisse pour un modèle d’intellectuel plus modeste et moins surplombant. Mais il ne semble pas toujours remettre en cause la classe sociale des intellectuels.

Surtout, l’approche de Manuel Cervera-Marzal se révèle plus théorique que pratique. Ses conseils s’apparentent parfois à de la morale sur ce que doit être un bon intellectuel. Il ressort même une théorie des privilèges très à la mode chez les intellectuels de la gauche radicale chic.

Manuel Cervera-Marzal ne propose pas une véritable analyse de classe. Il semble important d’évoquer le rôle social et politique de la petite bourgeoisie intellectuelle. Cette catégorie ne cesse de prendre de l’importance avec l’élévation du niveau d’études et le développement du secteur tertiaire. Les travailleurs de l’éducation, du social, des médias, de la culture sont particulièrement influents dans les partis de gauche et les syndicats. Ils ont, de part leur profession, un rôle d’encadrement des classes populaires. Dans leur activité politique, ils ont tendance à reproduire cette posture de cadres.

Cette position sociale de la petite bourgeoisie intellectuelle débouche vers une conception avant-gardiste de la politique. Les classes populaires ne soutiennent pas la gauche car elles n’auraient pas bien compris son argumentation. La pédagogie et l’influence idéologique sont alors considérées comme déterminantes dans l’action politique. Désormais, toutes les organisations de gauche et même anarchistes ne jurent que par la pédagogie, l’éducation populaire, les campagnes de propagande.

En raison de l’importance et de l’influence de la petite bourgeoisie intellectuelle, la politique évolue. Il n’est plus question de construire des rapports de force contre le patronnat et les institutions. Désormais, la politique s’apparente à un salon bourgeois, selon l’expression d’Habermas, dans lequel il faut convaincre ses adversaires et gagner l’opinion. En Espagne, Podemos incarne cette démarche qui vise à conquérir l’hégémonie culturelle, selon l’expression de Gramsci, plutôt que de soutenir les luttes concrètes des exploités. En France, le syndicalisme se réduit à des négociations de salons et à des manifestations qui visent à gagner l’opinion et le débat d’idées.

Le mouvement de 2010, comme celui de mars 2016, est particulièrement révélateur de cette approche. Les syndicats cherchent à gagner la bataille des idées comme préalable à la lutte. Ils l’ont gagné depuis longtemps. La réforme des retraites comme celle de la Loi Travail sont largement devenues impopulaires. Les propositions de contre-réformes ne cessent de se multiplier. Les clubs intellectuels bouillonnent et Bernard Friot multiplit les conférences. Mais la réforme des retraites est passée. Les propositions de contre-réforme ont été oubliées. La petite bourgeoisie intellectuelle encadre le mouvement social et le mène dans le mur. C’est le véritable enjeu du débat, plutôt que de savoir quel est le degrè de modestie à avoir pour les intellectuels.

Mais il existe une autre perspective, celle d’une société sans classe sociale ni Etat. La destruction de toutes les hiérarchies et rapport de pouvoir semble la seule possibilité désirable. Dans ce cadre, les intellectuels ne doivent avoir aucun rôle particulier. Dans les luttes sociales doit s’expérimenter cette société sans classe, sans théoricien, sans bureaucrate ou petit chef quelconque. Les formes d’auto-organisation comme les conseils ouvriers, les comités de grève, les assemblées de lutte doivent se débarraser de toute forme d’encadrement intellectuel et politique.

C’est dans ces mouvements de lutte que peut véritablement surgir une réflexion collective. L’enjeu ne doit plus être de convoquer des experts pour évaluer le montant du SMIC ou des cotisations retraites. L’enjeu doit devenir le renversement de l’ordre existant. Les utopies qui proviennent de Manifestes ou de clubs de pensée n’ont aucune prise sur le réel et sont condamnées à être rangées dans le rangs des élucubrations intellectuelles inoffensives. Ce sont les mouvements de lutte qui doivent inventer et mettre en œuvre les utopies en rupture avec la gestion de la société marchande pour inventer de nouvelles possibilités d’existence.

Source : Manuel Cervera-Marzal, Pour un suicide des intellectuels, Textuel, 2015

Extrait publié sur le site Atlantico

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Pour aller plus loin :

Vidéos : Être révolutionnaire au XXIème siècle ?, enregistré 27 mai 2015 et publié sur le site Penser l'émancipation

Vidéo : Manuel Cervera-Marzal - Pour un suicide des intellectuels

Vidéo : Aux Sources avec Manuel Cervera-Marzal et Maja Neskovic, publié sur le site Hors-Série le 6 février 2016

Vidéo : Le philosophe qui voulait "suicider" les intellectuels

Radio : émissions avec Manuel Cervera-Marzal diffusées sur France Culture

Radio : M.Cervera Marzal - Le Suicide des intellectuels

Manuel Cervera-Marzal : « Travail manuel et réflexion vont de pair », entretien publié sur la revue en ligne Ballast le 18 mars 2016

Jean-Marie Durand, Pourquoi les intellectuels devraient œuvrer à leur suicide collectif, publié dans le magazine Les Inrockuptibles le 7 février 2016

Arthur Guichoux, Les intellectuels sont-ils anti-démocratiques ?, publié sur le site Nonfiction le 31 mars 2016

Note de lecture publiée sur le site Pigiconi le 12 février 2016

Revue Agone 41 et 42, « Les intellectuels, la critique & le pouvoir », publié le 13 octobre 2009

Fabien Escalona, Et si la gauche radicale représentait la revanche des intellectuels ?, publié sur le site Slate le 19 février 2015

Anne Lorriaux, Le débat sur l'intellectuel engagé fait son retour, publié sur le site Slate le 1er octobre 2015

Nelly Kaprièlian, Jusqu’où les intellectuels doivent-ils s’engager ?, publié dans le magazine Les Inrockuptibles le 21 novembre 2011

Manuel Cervera-Marzal, A la crise politique, une seule solution : la révolution, publié sur le site Rue 89 le 26 août 2014

Manuel Cervera-Marzal, L'heure est à l'utopie, pas à la révolution, publié dans le journal Le Monde le 27 novembre 2013

Articles de Manuel Cervera-Marzal publiés dans le journal Libération

Articles de Manuel Cervera-Marzal publiés sur le site Grand Angle libertaire

Articles de Manuel Cervera-Marzal publiés sur le portail Cairn

Manuel Cervera-Marzal, Penser le conflit avec, ou sans, Karl Marx ? Une querelle de famille entre Mouffe, Lefort, Castoriadis et Abensour, publié sur le site Journal du MAUSS

Manuel Cervera-Marzal, « Le pluralisme libéral et ses critiques », colloque organisée par le CEVIPOF, Sciences Po Paris le 20 septembre 2012

Manuel Cervera-Marzal, Ni paix ni guerre Philosophie de la désobéissance civile et politique de la non-violence, thèse pour le doctorat de science politique, Université Libre de Bruxelles et Université Paris-Diderot, 2014

Manuel Cervera-Marzal, De la question salariale à la question territoriale et de la contestation légale à l’action extralégale. Assistons-nous à un déplacement de la conflictualité sociale ?, publié sur le site d'Attac le 4 août 2015

Manuel Cervera-Marzal, Domination masculine dans le militantisme. Analyse des rapports de genre au sein d’un collectif altermondialiste, mis en ligne sur le site de la revue SociologieS le 02 novembre 2015