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Plongée swag chez les nouveaux antiracistes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://contre-attaques.org/magazine/article/plongee-swag
Politisés et impertinents, actifs sur les réseaux sociaux et remontés contre la gauche des droits de l’homme (mais pas qu’elle)... la génération post-Touche pas à mon pote, née de l’immigration, clive et suscite l’inquiétude des antiracistes universalistes & du pouvoir blanc. Libération, qui lui consacrait undossier spécial ce lundi 4 avril 2016, s’étant royalement planté, nous corrigeons ici ses erreurs. Sans rancune Libé mais la prochaine fois qu’on doit faire le taf, payez-nous au moins :)
Des propos de Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, sur le voile à ceux de la philosophe Élisabeth Badinter, une nouvelle semaine de violentes polémiques sur le front du racisme vient de s’écouler. En jeu, des militants d’un nouvel antiracisme, suractifs sur les réseaux sociaux et le terrain et bêtes noires notamment de Manuel Valls et d’une partie du Parti socialiste attaché à une laïcité dogmatique : réactifs, politisés, déterminés et décoloniaux.
Petit retour en arrière : le 30 mars dernier, Laurence Rossignol est invitée par Jean-Jacques Bourdin sur RMC contre la « mode islamique », ces marques de vêtements qui ont lancé des lignes d’habits recouvrant le corps. Sa démonstration ? Le voile « enferme le corps de la femme ». Et lutter contre ces marques « irresponsables » est nécessaire pour faire reculer le « salafisme ». Selon elle, si des femmes portent le voile librement, elles sont comparables aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ». Au passage, la ministre lance le terme de « franco-musulmans ».
Samedi, dans une interview au quotidien Le Monde, Élisabeth Badinter remet une pièce dans la machine en appelant au « boycott » des marques se lançant dans la « mode islamique ». Tout est réuni pour une nouvelle polémique ancrée dans des débats récurrents sur l’antiracisme en France, et autour desquels se structurent deux camps, devenus irréconciliables.
Le premier, c’est donc celui d’un antiracisme politique qui veut s’attaquer aux racismes d’État et aux systèmes de domination. Encore minoritaire, il est incarné médiatiquement par des personnalités plutôt jeunes, elles-mêmes impactées. Aussitôt après le passage télévisé de la ministre Laurence Rossignol, la réaction ne se fait pas attendre : ensemble, conscients d’être collectivement touchés par ces attaques, ces militants dénoncent des propos islamophobes, misogynes, négrophobes et révisionnistes.
Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à lancer le hashtag #RossignolDémission et relayer une pétition en ligne appelant à des « sanctions » contre la ministre, ancienne de SOS Racisme et élue socialiste, deux circonstances aggravantes à leurs yeux. Le texte comptait plus de 33 000 signatures mardi.
Passe d’arme sans demande de permission
Le camp d’en face, incarné par des associations soutenues par l’État, comme SOS Racisme, la Licra ou le Mrap, estime qu’en République, la lutte contre les discriminations doit être universelle (aka on ne voit pas les couleurs), dépolitisée (aka le racisme c’est que dans la rue que ça se passe) et moraliste (aka le racisme c’est mal, vais le dire à maman). Au sommet de la pyramide, il est notamment incarné par Gilles Clavreul, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra). Ce proche de Manuel Valls passe le plus clair de son temps à violemment porter le fer contre ce militantisme revitalisé. Face aux « Tartuffe aux petits pieds », il a été un des premiers à soutenir Laurence Rossignol, tant pour son emploi du mot « nègres » (« un mot prétexte, [que la ministre] avait utilisé en le retournant ») que sur le fond du propos (« défendre la liberté et la dignité des femmes contre les noces barbares du cynisme marchand et de la bigoterie »). Étonnant pour le monsieur antiracisme du gouvernement ? Non, justement parce que c’est le monsieur antiracisme du gouvernement.
Et si Gilles Clavreul (lire l’enquête réalisée à son sujet par Quartiers XXI) a été si prompt à réagir, c’est qu’il retrouvait là des adversaires de longue date. En décembre, il s’en était ainsi violemment pris à un meeting contre l’islamophobie et l’état d’urgence organisé à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), y voyant une « offensive antirépublicaine ». Cette diatribe avait occasionné une passe d’armes avec la Ligue des droits de l’homme, qui participait au meeting, et qui ne voyait pas de quel droit le délégué interministériel se permettait « de dicter une doxa antiraciste ». Gilles Clavreul n’en démord pas. Pour lui, ses adversaires risquent, au mieux, d’encourager les replis communautaires, au pire de favoriser le fondamentalisme religieux avec un agenda caché. Selon lui, le principal danger réside dans la « prise en tenaille » de la République entre deux forces : les identitaires islamistes et ceux d’extrême droite. Une obsession basée sur des approximations qui occulte volontairement le danger représenté par les identitaires républicains. Dont il fait partie.
Depuis les années 2000, l’opposition entre ces deux conceptions de l’antiracisme se fait plus vivace. Les activistes de l’antiracisme politique gagnent en visibilité, tandis qu’en face l’antiracisme « universaliste » perd du terrain, ne représentant plus rien si ce n’est les projets de carrière de ses supporters. Les premiers combattent le « racisme d’État », qu’ils voient comme un système d’organisation traversant l’ensemble de la société et veillent à ce que les premiers concernés mènent la lutte. Il n’est pas rare de les entendre et les lire sur des sujets qui suscitent des réactions épidermiques dans l’autre camp : néo-colonialisme, privilège blanc, non-mixité, blanchité, féminisme blanc…Le qualificatif “communautaire” les fait sourire. Ils lolent fort et préfèrent qu’on pose les questions autrement. Pourquoi n’avoir jamais pointé du doigt le communautarisme blanc des principales organisations antiracistes universalistes ? Il y a quelques semaines, par exemple, la DILCRA postait la photo d’une réunion de travail dans laquelle apparaissaient très majoritairement des hommes blancs. Ils posent également la question de la responsabilité. Pourquoi les concernés en sont-ils venus à monter leurs propres organisations ? Pourquoi ne pointe-t-on jamais les échecs retentissants de l’antiracisme universaliste qui n’a quasiment rien apporté si ce n’est la dépolitisation de la lutte ? Enfin, qui de plus légitime que les « racisés » (c’est-à-dire les personnes victimes de la racialisation négative opérée par le racisme d’État) pour incarner cette lutte antiraciste ? Hein, qui ? “Il y a une cristallisation autour de cette question car ça vient remettre les non-concernés à leur place...et ça, ça leur fait mal. Il ne s’agit pas du tout d’exclure les blancs de la lutte comme on a tendance à le caricaturer mais à les faire jouer leurs rôles d’alliés. Le racisme pose la question du pouvoir. Lutter contre le racisme c’est donc aussi reprendre le pouvoir sur son existence et ça, ça passe par une autonomie intransigeante.”
Autre point de clivage, le “saucissonage” des racismes. Contrairement à leurs détracteurs, les antiracistes politiques luttent collectivement contre le racisme d’État tout en reconnaissant la spécificité de chaque racisme. Lancé en 2005, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) lutte, notamment, contre les contrôles au faciès ou pour obtenir des réparations de la traite trans-atlantique, rappelant souvent que les propriétaires d’esclaves français ont été indemnisés à l’abolition de l’esclavage. Fondée en 2010, la Brigade Anti-Négrophobie a notamment contribué à porter, en novembre 2014, la dénonciation d’« Exhibit B », une installation de l’artiste blanc sud-africain Brett Bailey censée dénoncer l’oppression des Noir.e.s, mettant en scène des noir.e.s mais sans les protagonistes blancs responsables de ces oppressions (l’exposition a été défendue par Audrey Pulvar qui a notamment apporté son soutien à Laurence Rossignol). Créé en 2003 pour défendre les musulmans victimes de l’islamophobie, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) est, parmi ces acteurs, l’un des plus attaqués...la querelle sémantique qui agite l’antiracisme sur le terme islamophobie semble un des points de controverses majeurs. Le schisme n’est pas qu’idéologique. Il repose aussi sur une façon différente d’envisager le militantisme. Modes d’organisation, financements, mobilisations : en réalité, tout les oppose. Le camp traditionnel revendique sa proximité avec le pouvoir, allant jusqu’à travailler pour alors que le second fait de l’autonomie un principe majeur. Notons que la question de l’autonomie a été au cœur de l’appel des Indigènes de la République à qui l’on doit d’avoir posé et produit de nombreuses réflexions sur ces questions.
Issus de milieux sociaux différents, inquiets - disent-ils - de finir par devenir des « professionnels » de la contestation, les nouveaux antiracistes s’activent aussi bien dans la rue que sur Internet, un terrain souvent délaissé par d’autres. « C’est dommage d’opérer une dichotomie entre activisme de terrain et activisme sur les réseaux sociaux. Les deux sont complémentaires et souvent liés. La réalité c’est que nous traversons une telle crise que toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre, d’où qu’elles soient émises...de la rue ou de Snapchat », résume une militante. En compagnie d’autres utilisateurs compulsifs de Twitter (le blogueur Al Kanz, le directeur exécutif du CCIF Marwan Muhammad), elle est passée maître dans l’art de lancer des campagnes sur les réseaux sociaux : #JusticePourAmine (en référence à Amine Bentounsi qui a été tué d’une balle dans le dos par un policier jugé en janvier 2016) et #FreeMoussa (le jeune humanitaire de l’ONG islamique Baraka City emprisonné au Bangladesh pendant soixante-dix jours et toujours retenu sur place) font partie de ses plus récentes mobilisations.
Caractère atypique
Ces web-street-activistes, qui se coordonnent par des groupes de discussion sur l’application Whatsapp, n’hésitent pas à pointer du doigt leurs adversaires. Ces derniers mois, ils ont ainsi imposé les hashtags #Libéracisme (après une chronique raciste, islamophobe et sexiste d’un journaliste de Libération ; hashtag qui a visiblement laissé des séquelles) ou #Dilcragate (après l’attaque de Gilles Clavreul contre le meeting de Saint-Denis) en tête des sujets les plus discutés sur Twitter en France. Cette veille militante, quasi quotidienne, s’appuie sur un réseau bien constitué.
Leur principal succès remonte au 31 octobre 2015, lorsque plusieurs milliers de personnes (10 000 selon les organisateurs, 3 500 selon la police) ont marché à Paris lors de la Marche de la Dignité et « contre l’impunité policière ». Organisée à l’initiative d’Amal Bentounsi, la sœur du jeune Amine tué par la police, la marche s’est inscrite dans le prolongement du mouvement « Black Lives Matter » (« les vies noires comptent ») lancé aux Etats-Unis. Signe de son caractère atypique, elle n’a pas été épargnée par Gilles Clavreul, qui y a vu une « mobilisation identitaire et antirépublicaine dont la dénonciation de la "violence d’État", de la "laïcité agressive" et du "lobby sioniste" sont les mantras ». Ces activistes participent régulièrement à des rassemblements (contre l’état d’urgence ou les violences policières, pour la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions visant Israël) et s’illustrent aussi par des campagnes de mailing à l’adresse des députés, comme récemment en faveur de Moussa. Leur action peut aussi porter ses fruits devant la justice. Soulignons, entre autres, les victoires du CCIF qui a remporté de nombreuses batailles juridiques et celle du Collectif Stop le contrôle au faciès qui a permis de faire condamner l’État pour faute lourde” suite à des contrôles de police jugés discriminatoires. Lequel État… s’est pourvu en cassation.
Solidaires dans la lutte
Toute la difficulté (et donc toute la beauté finalement), pour appréhender ces nouveaux cercles militants, réside dans leur hétérogénéité. Tout y passe : afro-féministes et/ou féministes musulmanes engagées sur une voie décoloniale, jeunes militant-e-s des quartiers populaires, anciens fers de lance des luttes de l’immigration, militant-e-s contre la négrophobie, l’islamophobie ou la rromophobie, anti-capitalistes, anti-impérialistes, anticolonialistes...ses caractéristiques n’étant pas exclusives et pouvant cohabiter chez une seule et même personne. L’enjeu, pour l’heure, est de dénoncer un repoussoir commun, bien souvent incarné par un État défaillant. L’enjeu, surtout, est de se réapproprier la narrative, l’agenda et les enjeux de l’antiracisme. Des lois sur le voile, jugées stigmatisantes et soutenues par une partie de la gauche, aux errements de la présidence Sarkozy sur l’« identité nationale » puis la laïcité, tout a concouru à ce que la rupture entre antiracistes repose, aujourd’hui plus que jamais, sur la question du racisme antimusulmans.
Islamophobie : un des principaux combats des antiracistes « systémiques » est de dépasser les clivages sémantiques autour de ce terme pour déraciner cette nouvelle version d’un racisme anti-Arabes. Un racisme new look, plus « politiquement correct », plus respectable même puisqu’il s’appuie sur la prétendue défense de l’égalité hommes/femmes et la préservation de la modernité/identité (tout dépend l’émetteur) française. Bien que ses origines soient claires, l’islamophobie ne s’arrête pas aux portes des Arabes musulmans. Tout-e-s celles et ceux qui portent un marqueur (prénom, apparence, signes distinctifs…) de la religion musulmane sont visées. Pour ces militants donc, tous les citoyens, et notamment les musulmans, ne sont pas traités avec la même attention. Il persisterait un « racisme d’État » découlant de l’époque coloniale et visant donc les descendants de l’immigration post-coloniale là où ils se trouvent majoritairement : les quartiers populaires. Un autre argument (la liste pourrait être dressée sur plusieurs pages) : la répétition des acquittements de policiers impliqués directement ou non dans la mort de Français issus de l’immigration. « On nous demande de nous intégrer dans notre propre pays » : c’est le sentiment, résumé par le sociologue Saïd Bouamama, de nombreux jeunes concernés. Dix ans plus tard, c’était d’ailleurs un des slogans du fameux meeting de Saint-Denis : « Pas de justice, pas de voix. » Un mot d’ordre qui pourrait toujours être d’actualité en 2017, lors de la prochaine campagne présidentielle. Ou alors...qui sait :)