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Un présentateur de «C dans l’air» travaille aussi pour Total
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Thierry Guerrier remplace Yves Calvi à C dans l’air, sur le service public, quelques semaines par an. Parallèlement, il vit de ses activités auprès de diverses entreprises et touche même un salaire mensuel en travaillant pour Total, ce qui ne fait pas sauter au plafond les médias pour qui il travaille.
Thierry Guerrier est le présentateur occasionnel de l’émission phare de France 5, C dans l’air. Il est aussi rémunéré tous les mois pour le travail qu’il effectue pour le groupe Total. Une double activité impensable ? Dans les faits, elle dure pourtant depuis environ trois ans. Le cas est emblématique de la stratégie offensive du groupe pétrolier, du peu de scrupules d’un grand nombre de journalistes qui contreviennent à la charte déontologique de la profession. Et du manque de vigilance des médias face à ce type de situations.
En 2010, une tumeur non cancéreuse au cerveau l’oblige à cesser ses activités : il est victime d’une paralysie faciale du côté gauche. Malgré des séquelles, son expérience lui permet de reprendre rapidement du service à Europe 1, où il est embauché comme rédacteur en chef et éditorialiste politique (2011-2012). Jusqu’à ce qu’un nouveau directeur de la rédaction le remercie en septembre 2012.
Il commence alors une première mission pour Total, où il est chargé par le directeur des ressources humaines de mener un audit sur la stratégie de communication du groupe. La mission durera près de neuf mois, à l’issue desquels le PDG de l’époque, Christophe de Margerie, lui propose de travailler pour un nouveau site mis en place par le groupe : politiques-energetiques.com. Thierry Guerrier fait des interviews pour le journal papier. Il anime des débats pour le site. Il dispose d’un bureau au 43e étage de la tour Total, d’une adresse mail et d’une ligne fixe téléphonique.
Le problème est qu'en juillet 2013, Thierry Guerrier reprend un rôle de joker pour C dans l’air, tout en continuant à travailler pour Total. Dans le jargon journalistique, c’est ce qu’on appelle des « ménages » : mettre sa notoriété au service d’une entreprise privée ou d'une institution.
C dans l'air est une émission de débats sur l’actualité avec plusieurs invités, qui se veut pédagogique et équilibrée. Elle réunit entre 10 et 17 % des téléspectateurs devant leur poste. Elle détient même le record d’audience de la chaîne, avec un pic à près de 2,5 millions de téléspectateurs en 2015. Produite par la société de Jérôme Bellay Maximal Productions (groupe Lagardère), elle constitue depuis le début des années 2000 la vitrine de la chaîne, en dépit de critiques récurrentes sur son orientation éditoriale conservatrice ou encore en raison du peu de femmes invitées.
Il n’est pas rare que l’émission aborde des thématiques touchant au climat, à l’énergie, à la géopolitique (comme cette émission présentée cet été par Thierry Guerrier et appelée « Obama, premier président vert ? »). Des thématiques qui ne peuvent laisser Total indifférent.
La charte de déontologie des journalistes prohibe ce genre d’activités. On peut notamment y lire : « Un journaliste, digne de ce nom, ne touche pas d'argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées. »
L’accord collectif d’entreprise de France Télévisions est encore plus précis : « Le journaliste doit s’assurer que la collaboration envisagée ou l’existence d’intérêts croisés ne mettent pas en cause son indépendance et sa crédibilité. En effet, la crédibilité et l’indépendance du journaliste peuvent être atteintes lorsqu’il met sa technique journalistique ou son image au service d’un intérêt particulier et porte atteinte à son honnêteté professionnelle, ou dans l’exercice même de son métier, lorsqu’un rapport financier est instauré avec un tiers, ce qui peut entraîner un risque de collusion. »
Dans le tableau ci-dessous, sont détaillées les activités que les journalistes salariés de France Télévisions sont en droit ou non d'effectuer.
Thierry Guerrier n’est officiellement pas soumis à ces obligations : il n’est pas salarié à temps plein de France Télévisions. C’est un prestataire extérieur. Il relativise aussi sa situation en expliquant qu’il ne travaille sur la télévision que quelques semaines par an, estime que nous menons une« chasse aux sorcières malvenue », que nous faisons preuve de « radicalisme ». Il développe : « Après mon accident, il a été difficile pour moi de revenir à l’antenne. J’ai accepté ce travail car je ne voulais surtout pas être au chômage. Je n’ai jamais touché un centime des Assedic et j’en suis fier. Je n’ai plus de carte de presse. Je ne la demande plus. Le journalisme n’est plus mon activité principale. Si j’avais un poste plus conséquent, je ne travaillerais pas pour Total. Mais il faut bien que je vive. J’assume. Je ne me sens vendu à personne. Ce qui compte, c’est la manière de faire mon métier. Ma crédibilité. »
En effet. Mais comment celle-ci ne saurait-elle être entamée ? Une immense majorité des téléspectateurs ne savent rien des activités annexes de Thierry Guerrier. S’ils en avaient connaissance, peut-on un instant penser qu’ils se diraient : « Oh, je regarde un journaliste qui est peut-être dans une situation de conflit d’intérêts, il y a peut-être certaines questions qu’il n’osera pas poser, certains personnes qu’il ne voudra pas inviter, certains messages qu’il essaiera de faire passer, mais ce n’est pas grave, ce n’est que quelques semaines par an, et puis après tout, il n’est pas rémunéré par la chaîne, seulement par une boîte de productions, cela change tout » ?
Nous avons cherché à joindre Michel Field, aujourd’hui directeur de France Télévisions et ancien patron de France 5, pour connaître son avis sur le sujet. Il ne nous a pas rappelés. Serait-ce parce que lui-même n’a pas hésité par le passé à vendre ses services, comme ci-dessous en 2004 pour Casino (vidéo exhumée par le Plan B il y a quelques années) ou quelques années plus tard pour Leclerc ?
À son arrivée à la tête de France Télévisions en 2015, questionné sur le sujet, il disait ne pas avoir réalisé ce type de prestations depuis sept ans. Mais les ménages laissent des traces. Nous avons retrouvé par exemple des tables rondes qu’il avait animées pour Sanofi ou Generation entreprises en 2012.
Serge Cimino, délégué central syndical du SNJ France Télévisions, regrette que les journalistes se livrent à de telles pratiques : « Travailler pour des entreprises privées, c’est grave. Les règles doivent être les mêmes pour les salariés de France Télévisions et pour les émissions produites dans le privé que nous diffusons. Ces situations participent de la crise de confiance envers les journalistes. Quand on dit ça en interne, on nous dit qu’on est des chevaliers blancs. Mais rendez-vous compte : des présentateurs nous ont dit qu’ils voulaient rester à l’antenne pour pouvoir continuer à être sollicités pour animer des conférences. Ils nous ont reproché de les priver d’un 13e mois ! C’est le Moyen Âge intellectuel. »
À France 5, on se montre gêné par la situation de Thierry Guerrier. La chaîne nous dit découvrir cette situation via notre appel. « Les activités annexes, on ne les connaît pas. » Et si elles avaient été connues ? « Il y aurait eu une explication. On est vigilants sur le lien de confiance avec le téléspectateur. Mais on manque d’informations pour commenter la situation. »
« Sur Twitter, je n’appartiens à personne, je donne plus à voir qui je suis »
Activités inconnues ? Vraiment ? S’il y a quelque chose que l’on ne peut pas reprocher à Thierry Guerrier, c’est de se cacher. Sur son compte Twitter, il publie régulièrement des liens vers les émissions qu’il anime sur politiques-energetiques.com. Sur ce compte, suivi par plus de 40 000 abonnés, il n’hésite d’ailleurs pas à défendre, entre autres, des positions proches de celles de Total, comme ici sur le gaz de schiste. « À l’antenne, je n’ai pas le droit. Sur Twitter, je n’appartiens à personne, je donne plus à voir qui je suis. Cela n’engage que moi. »
Jérôme Bellay, qui dirige Maximal Productions, n’a de son côté pas daigné nous rappeler en dépit de nombreuses relances téléphoniques et écrites.
Thierry Guerrier a également travaillé en 2015 pour le compte de LCP (La chaîne parlementaire), elle aussi financée par des fonds publics. Il animait « Causes communes », un module dans lequel il interviewait des hommes politiques sur des questions locales. C’est Gérard Leclerc qui avait accepté le projet, et qui, lui aussi, prétend ne rien avoir su des activités de Thierry Guerrier. Et qui explique, également, qu’il s’agissait d’une collaboration extérieure : « Je ne sais pas comment on aurait réagi. Cela peut poser un souci. Il faudrait voir dans le détail. Je n’ai pas à juger des confrères. » Gérard Leclerc explique avoir fait lui-même des ménages par le passé. (On trouve d’ailleurs toujours son profil sur les sites qui proposent des journalistes aux entreprises.) Il assure qu’il a arrêté quand France Télévisions a durci les règles. Il ne sait plus quand.
Pour le journal de Total, Thierry Guerrier interviewe régulièrement les dirigeants du groupe. Mais ces échanges peuvent se retrouver ailleurs, comme cet hiver dans la revue Politique internationale (voir un article de Rue89 sur les coulisses de cette revue). On y trouve une interview de Patrick Pouyanné, PDG de Total, par celui qu’il paie indirectement tous les mois, Thierry Guerrier, présenté dans la revue comme « journaliste ».
« Il est chez Total ? Cela m’avait échappé, plaide à son tour Patrick Wajsman, fondateur et directeur de la revue. Mais je ne vois pas le problème. L’idée n’est pas d’attaquer le président de Total. C’est un bon expert, tant mieux. Pour interviewer votre patron, j’aurais pu vous demander de poser les questions. Et alors ? Où est le problème ? En 38 ans, Politique internationale a interviewé Castro, Kadhafi, le pape… Nous avons largement fait preuve de notre indépendance. Je ne vois pas où est le problème. Si j’avais demandé une tribune au dirigeant de Total, il n’aurait pas non plus eu d’objection face à lui. Et alors ? Dans un dossier complet, cela ne me paraît vraiment pas très grave. »
Pour Total, la problématique est bien évidemment différente. Le groupe pétrolier se paie des compétences, mais aussi, une possible influence, même s’il la minimise. Il y a quelques semaines, on apprenait, par Libération, que Michel Aubier, chef du service de pneumologie-allergologie de l'hôpital Bichat, s’exprimant régulièrement sur les risques liés au diesel, était également médecin-conseil auprès du groupe pétrolier.
La problématique est assez proche. Un médecin payé par un groupe pharmaceutique peut-il se montrer indépendant et complètement libre quand il siège dans une commission ou donne un avis d’expert ? La question se pose-t-elle différemment pour un journaliste ?
Bien évidemment, Total ne s’arrête pas là dans sa politique de communication, et imagine des solutions alternatives à la publicité bête et méchante. Le groupe pétrolier a financé des forums de Libération, du Nouvel Observateur ou encore de Challenge, à hauteur de 20 000 à 30 000 euros. En échange, des dirigeants du groupe participent aux débats organisés et peuvent faire valoir leurs opinions.
Nous avons par ailleurs découvert que Total se payait la page Énergie et Climat du groupe BFM.
Quand c’est en Russie qu’un journaliste animateur de télévision arrondit ses fins de mois en s’occupant des relations publiques d’un grand groupe pétrolier, cela choque. Mais en France… Sans surprise, Total relativise : « Tous les journalistes font des ménages ! » Tous ? « Enfin la moitié des journalistes ! » Il ne manquerait plus qu'ils soient tous rémunérés mensuellement par un groupe du CAC40…
Total exagère sûrement, mais a en partie raison : beaucoup de journalistes de l’audiovisuel font des ménages à droite à gauche, ce qui est interdit par les chartes de journalistes. Thierry Guerrier lui-même n’a pas attendu l’offre de Total pour arrondir ses fins de mois auprès d’entreprises privées. Voici son CV tel qu’il a été présenté à des entreprises via le site Plateforme, qui est chargé de mettre en relation des entreprises et des conférenciers, journalistes, experts, etc. « Cela fait 10 ou 15 ans que je suis inscrit sur Plateforme, mais cela fait un bon moment que je n’ai pas trouvé de travail par eux. Aujourd’hui, ça marche plus par le bouche à oreille », explique le journaliste.
Parmi les nombreux employeurs mentionnés sur le CV, on trouve, outre Total, HSBC, Suez, le Medef, Pernod Ricard ou encore le LEEM (le syndicat des laboratoires pharmaceutiques). Parmi tant d’autres. Ces dernières années, on retrace en quelques clics sur Internet des dizaines d’interventions qui vont du Syndicat national des résidences de tourisme aux métiers de la boulangerie en passant par le lobby des dentistes, pour lequel il a participé à un module « C’est ma santé » lors d’une convention : un titre trop proche de ceux utilisés par France 5 pour ne pas accroître la confusion des genres. En dépit de sa proximité avec Total, Thierry Guerrier a été choisi pour animer un débat sur le changement climatique préalable à la COP21, au ministère des affaires étrangères, sous le haut patronage de l’Élysée.
Ces « ménages » sont bien antérieurs au grave accident de santé dont a été victime Thierry Guerrier. « Ils étaient bien moins nombreux », plaide Thierry Guerrier. Sûrement. Mais comment ne pas être troublé par ces interventions tous azimuts, qui ne touchent pas qu’au domaine de l’entreprise ? Prenons un autre registre, la politique.
En 2009 et 2010, Thierry Guerrier anime les « Rendez-vous de l’éthique », à Évry, dont Manuel Valls est le député-maire. Manuel Valls ouvre ainsi la manifestation : « Cette année j’ai voulu donner à nos “Rendez-vous” un rayonnement encore plus grand. C’est pourquoi, Thierry Guerrier, journaliste rompu à ce type d’exercice, puisqu’il présente “C dans l’air” et “C à dire ?!” sur France 5, est venu nous rejoindre pour cette nouvelle édition. Je sais qu’il apportera aux cinq soirées son style direct, sans concession et, en même temps, très pédagogique. »
François Lenglet, chroniqueur phare de France 2, avait déjà été épinglé pour une conférence payée 8 500 euros. Avant lui, Christine Ockrent, Nelson Monfort et des journalistes santé proches des laboratoires pharmaceutiques avaient été épinglés pour leurs prestations récurrentes. Aucun n’avait cependant, à notre connaissance, un lien aussi régulier et durable avec une grande entreprise.