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Le mouvement Nuit debout peine à s’étendre en banlieue
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Ils sont quelque trois cents à se masser devant les barnums prêtés par la mairie sur la place de la Basilique. Mercredi 13 avril, Saint-Denis organise sa première Nuit debout. Et tout ce que cette ville de Seine-Saint-Denis compte de collectifs militants, de partis et d’associations sont venus pour cette première : syndicalistes de SUD, Coordination des sans-papiers, parents d’élèves des Bonnets d’âne, Mouvement de la jeunesse communiste, écologistes, etc. Le rassemblement compte beaucoup de professeurs, mais aussi des étudiants de l’université Paris-VIII et des organisations qui profitent de la Nuit debout pour faire entendre leur voix. Ceux qui souhaitent s’exprimer sont invités à s’inscrire au niveau de la tribune improvisée, selon le même fonctionnement que sur la place de République à Paris, où le mouvement est né.
Emmanuelle et Adrien, respectivement chercheur en histoire et en physique, s’y sont rendus à plusieurs reprises dans le cadre de l’initiative #ScienceDebout, qui invite les passants à les questionner sur leur discipline. Ce soir, ils ont tenu à franchir le périphérique parce qu’ils estiment « nécessaire de créer un lien entre les rassemblements ». S’ils sont nombreux à vouloir prendre la parole, les futurs orateurs ont tous le même profil, regrette Mathieu, 49 ans. « Malgré un métissage social et culturel, la majorité des personnes qui sont mobilisées aujourd’hui sont des militants », constate ce parent d’élève engagé. « On n’arrive pas à faire émerger le mouvement vraiment par le bas », déplore-t-il.
« Conscientiser les banlieusards »
Les troupes sont bien plus maigres sur l’esplanade à la sortie du RER Noisy-Champs. Ils sont une trentaine à tester, pour la première fois là aussi, un « Banlieues debout ». Les rangs sont constitués d’étudiants de l’université de Marne-la-Vallée, de militants associatifs et politiques qui ont tenté par un événement Facebook de rassembler les habitants de cette banlieue à cheval entre Noisy-le-Grand et Champs-sur-Marne.
« Notre idée était de casser la centralité du mouvement en allant en banlieue », explique David Cousy, responsable de l’association Créteil 3.0. Il était revenu de la place de la République assez agacé quand il avait entendu parler de la création d’une commission banlieues qui projetait d’envoyer une délégation, par-delà le périphérique, expliquer ce qu’était le mouvement de protestation.
Autour de l’AG constituée en cercle, des jeunes restent à distance. Samir, 19 ans, s’interroge : « Je sais même pas c’est quoi. J’habite juste là », dit-il au milieu d’une grappe de jeunes. Sophie, jeune diplômée en congé parental, tente de faire participer le groupe : « On veut lancer le mouvement et conscientiser les banlieusards mais ça va être difficile,reconnaît-elle. Pour eux, ceux de la République sont des bobos parisiens. »
L’assemblée démarre doucement son tour de parole. La sono a fini de jouer Bella ciao. On n’entend plus que des discours très militants sur la « mutualisation des luttes ». Autour, les habitants, curieux, regardent le rassemblement mais ne se mêlent pas. Un grand Noir, la quarantaine, qu’on essaie d’attirer, s’énerve : « Mais vous représentez quoi là ? Ouvrez les yeux : y’a pas un Arabe, pas un Asiatique, pas un Antillais ! »
La veille, ils étaient une petite cinquantaine à Saint-Ouen pour une tentative similaire. Là aussi des étudiants, des militants aguerris mais peu de novices. Comme à Montreuil ou à Ivry. Les habitants des quartiers ne se sont pas fait voir. C’est effectivement une gageure pour ces nouveaux « indignés » qui veulent décentraliser la lutte. Ils ont tous entendu François Ruffin, l’un des initiateurs de cette révolte citoyenne, les inviter à « sortir de l’entre-soi ». Tout comme ils ont vibré quand, le 7 avril, sur une place noire de monde, Almamy Kanouté, responsable du Mouvement Emergence, leur a lancé : « Si on réussit à faire la fusion entre les Parisiens et les banlieusards, là les cols blancs auront peur. »
« Un délire de jeunes à la Che Guevara »
Une semaine plus tard, ce militant des quartiers à Fresnes (Val-de-Marne) reconnaît que les banlieusards ont mis du temps à identifier ce qu’étaient ces Nuits debout. « Pour beaucoup, ce ne sont que des images télévisées qui montrent une ambiance de fête de L’Huma. Quand ils entendront des discours qui parlent de leur réalité, peut-être viendront-ils ? »
« On a le sentiment que ce mouvement est à des kilomètres, que c’est un délire de jeunes à la Che Guevara. Mais nous, cela fait des années qu’on vit l’état d’urgence qu’ils dénoncent », remarque Mohamed Mechmache, fondateur du collectif ACLeFeu. C’est aussi l’avis de Rachid Taxi, militant à Blanc-Mesnil : « C’est trop flou, on ne voit pas quelles sont les revendications. » Il ira quand même au rassemblement prévu dans sa ville vendredi, « pour voir ».
Dans ces quartiers où la crise se fait sentir plus fortement qu’ailleurs, la désillusion a gagné aussi plus vite. Manifester paraît bien loin des urgences. Les Nuits debout pâtissent encore d’une image sympathique mais déconnectée des réalités quotidiennes.« Les habitants des quartiers sont peut-être plus résignés. Ils ne croient pas qu’ils peuvent influer sur le cours des événements. Il n’y a qu’à voir les taux d’abstention de 60 %, 75 % lors des derniers scrutins », insiste Nabil Koskossi, responsable de l’association Made in Sarcelles. A ses yeux, pour que la dynamique prenne, il faut que les têtes de réseaux présents dans les banlieues se coordonnent et s’emparent du mouvement. Ou peut-être que s’organise, comme le veut Almamy Kanouté, une occupation mobile qui se déplace chaque jour dans un quartier différent. Alors peut-être, espère-t-il, que « la Nuit debout cessera de tourner sur elle-même ».