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Siné ne voulait pas mourir, pour continuer à faire chier les cons
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
LE PLUS. Le dessinateur Maurice Sinet est mort jeudi 5 mai à Paris. Il avait été le seul à défendre le journaliste d'investigation Denis Robert dans l'affaire qui l'a opposée à Charlie Hebdo, jusqu'à perdre sa place au sein de la rédaction, après 27 années de bons et loyaux services. Aujourd'hui,le révélateur de l'affaire Clearstream se souvient de "Bob". Un dur à cuire, pourfendeur des cons, mais surtout, un increvable.
Bob aimait la vie, le jazz, sa femme, Catherine, et Stéphane, sa fille, ses amis, le pinard – le bon –, les chats, sa maison chaleureuse, dans la banlieue de Paris, avec son jardin, son bar, et plein de bouteilles derrière le bar.
J'ai infiniment de reconnaissance pour lui. Je crois qu’il m’aimait bien. Moi, pareil même si on se voyait peu. J’aimais ses dessins, son courage, sa férocité. Sa voix. Sa liberté. Et je n’oublie pas que c’est celui qui m’a défendu le premier quand toute l’équipe de Charlie Hebdo ou presque me dézinguait.
Une orchestration totale et dégueulasse
Quand j’ai été attaqué par Philippe Val dans ses éditos truffés d’erreurs et de bile, il a été le seul à prendre ma défense et à expliquer pourquoi Val et Richard Malka, l’avocat du journal, étaient "deux beaux enfoirés". Cet épisode a été le début de sa mise au ban et de son combat contre Charlie. De la naissance de Siné hebdo.
Bob ne comprenait rien à Clearstream, à la finance, mais il savait que j’avais raison. Il avait compris que l’avocat de Clearstream était aussi l’avocat de Charlie Hebdo, et que c’était la principale raison des articles contre moi. Il y a eu un montage visant à me calomnier. Il y a eu aussi un montage contre lui pour le calomnier. C’est le seul à s’être élevé pour dire que ce n’était pas possible que ce journal continue à me salir.
Il l’a écrit dans sa chronique. Il m’a défendu avec courage face à cette assemblée de pleutres, qu’étaient les journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo. Et il a été renvoyé de ce journal pour cette raison. Ensuite, ils ont prétexté des déclarations à caractère antisémite concernant le fils de Nicolas Sarkozy. Mais ce n’était pas la raison première. Tout ça, on le sait aujourd’hui, c’était bidon. C’était une orchestration totale et dégueulasse montée par Val et ses amis.
Au moment des attentats, il a baissé les armes
Siné était un dur à cuire mais l’accusation d’antisémitisme était insupportable pour lui. Être traîné d’antisémite équivaut à être traité de "sale juif". Il s’est battu avec énergie contre ses accusations. Il a gagné devant les tribunaux. ça n’a pas empêché ses détracteurs de persévérer. Le dernier en date était BHL, contre qui Bob a porté plainte pour diffamation.
Il était effectivement fâché avec l’équipe de Charlie. Il avait été surtout affecté par la trahison de Charb, qu’il considérait comme une sorte de fils spirituel. Les attentats de janvier ont radouci sa colère. Il avait perdu des amis. Il était triste pour Charb. Il en parle avec émotion dans notre film. Il aimait beaucoup Tignous aussi. Cet événement tragique a été le moment de baisser les armes.
Cela me navre aujourd’hui que l’on parle d’antisémitisme au moment de sa mort dans les flashs infos. Cette polémique l’a suivie, lui a collé à la peau comme une sale rumeur. Il en était affecté. Bob était un athée pur souche. Il a passé sa vie à cracher sur toutes les religions.
Faire chier les cons, ad vitam aeternam
Aujourd'hui, je ressens beaucoup de tristesse et un peu de rage. Je l’avais imaginé increvable. Ce qui le maintenait en vie, c’était la connerie, l’injustice. Ça le foutait en rogne. Il était courageux. Il ouvrait des brèches.
Son refus des convenances et de l’ordre établi remontait à son enfance, à son père qui était anarchiste et antimilitariste. Puis à la guerre d’Algérie où il avait soutenu le FLN contre De Gaulle et l’OAS. Il a toujours été du côté des opprimés, à contre-courant, il a toujours été là. Avec force, il a toujours tenu des propos virulents contre les curés, l’armée, les policiers...
Je me souviens, à l’enterrement de Cavanna, il a eu cette phrase :
"Il parait que dans Paris, un bruit court selon lequel il existerait un pari entre Cavanna et moi, pour savoir qui de nous deux allait crever le premier. Si ça avait été moi, il serait triste aujourd’hui comme je le suis. Notre rêve eut été qu’on soit éternel tous les deux, pour continuer à faire chier ad vitam aeternam tous ceux qu’on détestait en commun."
Et ils sont nombreux. A nous, ses amis, de reprendre le flambeau. On a du travail.
La fin des haricots
Bob a affronté la mort crânement, avec courage. Il s’en est moqué. Il y a deux jours, il nous a écrit dans un mot nous annonçant sa prochaine opération, qu’il serrait les fesses : l’intervention qu’il allait subir, pour lui enlever de l’eau des poumons, était plus compliquée que d’habitude. Son ton était plus grave. Comme s’il voulait nous prévenir.
On avait l’habitude de ses foucades, on pensait qu’il était increvable. Qu’une fois de plus, il allait gagner la partie. Il avait fait de son combat contre les cancers une sorte de feuilleton. Et il gagnait tout le temps. Chaque fois, il avait cette énergie indomptable. Aujourd’hui, sa mort laisse pantois. On se sent un peu plus seul. À 87 ans, il avait la niaque d’un type de 20 ballais.
Il sentait sans doute que c’était la fin des haricots. Dans son dernier message, il était un peu vacillant, pour la première fois.
Bob était un "va-t-en-guerre" surtout face à la mort. Il arrive un moment où, quand on est tout près d’y passer, on prend peur. Pas lui. En tout cas, il ne le montrait pas. Il y avait sans doute de la douleur, de l’inquiétude, mais aussi, je pense, de la curiosité. Et de la lassitude.
Par la manière dont il écrivait et dessinait autour de la mort et la maladie, il nous donnait des leçons de courage. Je garde ça de lui, dans les derniers moments : ce courage avec lequel il affrontait les ténèbres et la connerie. Toujours. Jusqu’au bout.
Propos recueillis par Julia Mourri