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Ruffin: "La “macronite”? C’est “le socialisme” dans sa phase terminale"

Macron Ruffin

Lien publiée le 4 juin 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/06/04/la-macronite-c-est-le-socialisme-dans-sa-phase-terminale_4935088_3232.html

Par François Ruffin, journaliste et cinéaste

« Ca va ? T’es partie en vacances ? » J’avais croisé Laurelyne un week-end, à la sortie de Mametz (dans le Pas-de-Calais). Une jeune fille marchait sur le bord de la route. Je m’étais arrêté pour qu’elle monte. Elle avait hésité à s’asseoir, mes deux enfants à l’arrière l’avaient rassurée.

« On m’a proposé un CDI, à Metz, dans un hôtel, elle me racontait. J’étais prête à partir là-bas, mais j’avais pas d’argent pour déménager. Pour emporter mes affaires en Lorraine, il fallait que je loue une camionnette, 250 euros, et que quelqu’un me conduise. J’ai pas le permis. »

« Pôle emploi, ils ont pas une “aide à la mobilité”, un truc comme ça ? » « Je suis allée voir. Ils ont supprimé cette aide. La dame m’a expliqué qu’avec tous les chômeurs, ils faisaient des économies et donc que ça n’existait plus. Je me suis dit : c’est pas possible, y’a bien quelque chose pour moi, mais non : y’a rien. Il faut que j’aie 25 ans. Avant ça, ils comptent sur les parents, sauf que moi, mes parents, il faut pas que je compte dessus… » « Tu fais comment ? » « J’ai reçu 50 euros de la commune. » « 50 euros ! »

Je l’avais déposée à la gare de Lillers, pour qu’elle remonte sur Béthune. (Elle ne paie jamais ses billets, elle m’expliquait, et le dimanche le contrôleur ferme les yeux.) Quelques mois plus tard, donc, je prenais de ses nouvelles : « T’es partie en vacances ? » « Je voudrais bien mais j’ai pas d’argent. Non, j’ai cherché du travail. » « Et t’as trouvé ? » « Je viens de terminer ma période d’essai chez Cora, c’est la mission locale qui m’a proposé ça. Ils m’ont payé 230 euros les six semaines, alors que je faisais les 35 heures et tout ! C’est affolant. » « Et c’est terminé, là ? »« Oui, mais ils vont m’embaucher pendant six mois en contrat pro. »

« Contrat pro, ça veut dire que t’as une formation et tout ? » « Nan, enfin oui, mais c’est à l’intérieur de l’entreprise, une formation pour tenir la caisse ! Alors que j’ai déjà fait ça chez Match pendant toutes mes études. C’est pour qu’ils puissent toucher les aides, ils sont exonérés je crois. » « Tu seras payée combien, là ? » « 50 % du smic. Et dans six mois, rebelote. » Laurelyne travaille. Elle ne va pourtant pas se payer un costume tout de suite.

Produire davantage avec moins

Une scène du documentaire français de François Ruffin, "Merci patron !", sorti en salles mercredi 24 février 2016.

Pendant ce temps, le ministre de l’économie grondait : « Si j’étais un chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre », et il œuvrait à sa manière au redressement du pays, avec Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), pacte de responsabilité et tutti quanti. Comment va-t-on créer un million d’emplois grâce au CICE ?

On interrogeait Guy Laplatine, délégué CFDT de Auchan. « L’année dernière, il y a 40 millions d’euros qui ont été économisés par Auchan grâce au CICE, et on s’est rendu compte qu’à la fin de l’année, il manquait 1 400 équivalents temps plein par rapport à l’effectif de l’année précédente. Alors qu’on avait ouvert deux magasins en plus et 25 “drives”. » « Donc il y a eu 1 400 suppressions d’emplois chez Auchan l’an dernier ? »

« On n’a pas licencié 1 400 personnes, simplement on a produit davantage avec 1 400 personnes en moins. C’est ça qui est extraordinaire : on a ouvert deux magasins en plus et on a ouvert 25 drives, donc on aurait dû avoir 1 400 en plus ! Et non pas en moins. Donc l’écart, il est pas de 1 400, il est du double pratiquement ! »

« Avec, en prime, un CICE de 40 millions ? » « Et cette année, la ristourne va tourner autour de 60 millions d’euros. Depuis un an et demi, l’entreprise mène un plan social pour supprimer 25 % de ses effectifs et on a calculé que le coût de ce plan social, ça correspond pratiquement au CICE. » « Donc ça permet à l’entreprise de se moderniser grâce au CICE ? »

Avidité élevée au rang de vertu

« De se moderniser… je sais pas si c’est moderne. Ça permet à l’entreprise de faire des gains énormes sur le dos du contribuable, moi c’est ce que je vois. Et moi j’ai pas voté pour ça. J’ai pas voté pour qu’on me fasse un truc à l’envers. » La famille Mulliez, qui contrôle Auchan, va pouvoir s’en payer toujours plus, des costumes.

Des salariées de Gad « illettrées », jusqu’à aujourd’hui « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler », en passant par « la vie d’un entrepreneur est plus dure que celle d’un salarié »« le statut des fonctionnaires n’est plus justifiable », ou encore le travail du dimanche pour « gagner plus », ses autocars pour que « les pauvres voyagent plus facilement »« il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », enfin son mouvement « ni droite ni gauche » hébergé par un think-tank patronal, et surtout, surtout : de quoi Macron est-il le nom ?

D’une avidité élevée au rang de vertu. D’une arrogance qui n’en finit plus : banquier d’affaires qui – selon ses propres dires – a servi de « prostitué » pour les PDG, qui en a retiré 2,4 millions d’euros en dix-huit mois et qui, fort de cette douloureuse expérience, vient servir des leçons de « travail » à la nation.

D’une morgue de maître, oui : lui à la vie si lisse, à la jeunesse si protégée, dont le drame est d’avoir échoué à « Normale Sup », dont le cornélien dilemme est d’avoir hésité à faire, après Sciences Po, après l’ENA, directement de la politique ou à d’abord passer par une banque d’affaires, dont le titre de gloire est d’avoir amené Nestlé dans le portefeuille de Rotschild, et qui, sans vergogne, délivre des sermons.

Voyages low cost, travail low cost, droits low cost

D’une inégalité devenue projet : les vainqueurs raflent la mise. A eux, à leurs valets, et à leurs « prostitués », les millions des subventions, les milliards des stock-options. Pour les autres, des voyages low cost, du travail low cost, des droits low cost, le nivellement par le bas sous couvert de « modernité », voire d’« égalité ».

D’une corruption générale : finance qui n’est plus un « adversaire » mais à qui on remet directement les clés de l’économie. Mais, au-delà de l’homme, il faut regarder le symptôme, encore. Car malgré son palmarès, M. Macron est maintenu dans un gouvernement « socialiste », avec un quitus délivré par le président.

Quelle est cette maladie, alors, la macronite ? C’est le « socialisme » dans sa phase terminale. C’est fini, le vide, le naufrage des idées, plus rien après. Et l’on rêve – mais ne rêvons pas seulement, construisons-le ! – à un socialisme contre ce « socialisme », à un gouvernement par le peuple et pour le peuple, qui les renverrait, lui et ses semblables, à la caisse de Cora, en stage, en contrat pro, le temps qu’il faudra, le temps de les ramener à l’humilité, à notre commFrançois Ruffin est l’auteur du film « Merci Patron ».une humanité.