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Printemps sans soleil (Tentative de bilan en cours de route)

Khomri

Lien publiée le 17 juin 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://dndf.org/?p=15136

Pour alimenter les discussions en cours, nous reproduisons un tract distribué à la manifestation parisienne du 14 juin

PRINTEMPS SANS SOLEIL (Tentative de bilan en cours de route)

Ce texte se veut une contribution à l’auto-compréhension du mouvement social actuel ; il n’aspire pas pour autant à la neutralité ni à faire l’unanimité, c’est une tentative de bilan critique et engagée qui se propose de mettre en relief surtout la spécificité et les limites de ce mouvement. Face à ces dernières, nous n’avons pas de solution-miracle à mettre en avant, mais nous pensons qu’elle doivent être d’abord nommées et discutées pour que d’autres voies soient tout simplement pensables, d’autant plus que le risque d’un enterrement du mouvement à court terme n’est pas négligeable. Le mouvement social des derniers mois marque sur plusieurs points une rupture avec le passé : c’est un de ses aspects les plus positifs ; malgré ou peut-être à cause de cela, il est malheureusement plus facile de dire ce qu’il se laisse derrière que de voir vers quoi il pourrait se diriger.

Recommençons du début, c’est-à-dire du projet de loi El-Khomri. Pour le gouvernement l’enjeu était à la fois de se remettre au pas des autres pays européens en matière de compétitivité, et de montrer dans de brefs délais son volontarisme auprès d’un MEDEF irrité par une posture qu’il estime immobiliste. Du point de vue du gouvernement, il aurait néanmoins fallu trouver une entente entre grand capital, petit capital et leurs salariés respectifs via leurs organisations syndicales, mais dans ce jeu à trois il est impossible de satisfaire tout le monde. Le MEDEF (le grand capital) demandait essentiellement plus de flexibilité, les oligopoles devant faire face à un durcissement de la concurrence au niveau mondial ; El-Khomri & Co. veulent les satisfaire, mais au détriment des intérêts des PME, qui embauchent et licencient proportionnellement plus que les grands groupes, et qui en plus se voient reporter sur leur dos les coûts du vague côté « social » de la flexisécurité (la surtaxation des CDD dans la deuxième version du texte négociée avec la CFDT). Il en ressort un projet de loi fait à l’arrache, se débattant dans des contradictions insolubles que seulement une longue négociation pourrait modérer. Il serait donc excessif de dire que l’usage du 49.3 symbolise un virage totalitaire d’un gouvernement décidé à s’imposer ou que la mobilisation a déjà en partie réussie car elle a obtenu des amendements : les projet de loi El-Khomri n’était pas fait pour aboutir tel quel.

Quant au mouvement contre la loi El-Khomri, il se présente tout d’abord comme étant moins massif par rapport à ceux de 1995 et de 2010, et non seulement en raison de l’absence des fonctionnaires, majoritairement non concernés par le projet de loi. En ce qui concerne les grandes manifs, la participation fut moins importante qu’en 2010, mais souvent celles-ci furent plus combatives et aussi plus prolétariennes. De l’autre côté, les luttes réelles qui se menaient et se mènent encore dans les entreprises privées ou publiques se caractérisent pour leur ancrage fortement sectoriel, et le mouvement général contre la Loi-Travail en ressort très marqué (en 2010 c’était déjà le cas, mais de manière moins visible à cause l’enjeu des retraites). Pas question de condamner le « corporatisme » de quiconque, mais il faut être lucides et dire les choses telles qu’elles sont : le mouvement contre la Loi-Travail en tant que mouvement de grève, est majoritairement le fait de fractions de salariés s’opposant aux conséquences de la Loi-Travail dans leur branche, ou – en ce qui concerne les plus précaires – utilisant le mouvement comme caisse de résonance pour leurs revendications spécifiques au sein de l’établissement ou de l’entreprise. Il est de bon ton de dire qu’« on ne lutte pas que pour sa pomme », pourtant c’est bien ce qui se passe dans la plupart des conflits de travail qui alimentent la mobilisation, et dans les conditions présentes le moindre qu’on puisse dire, c’est que c’est normal. Évidemment le gouvernement et les patrons jouent, eux aussi, sur la segmentation pour limiter l’ampleur de la mobilisation : revalorisation des salaires des fonctionnaires à 1,2% après 6 ans de congélation, promesses pour un milliard d’euro de hausses des salaires d’ici 2020 pour les profs, « mesures jeunesse » présentées par Valls à la mi-avril, accord sur les heures supp’ des routiers en grève … Les conventions collectives de certains secteurs étant d’ailleurs déjà remarquablement merdiques ou neutralisées par la sous-traitance, la négociation par entreprise fait déjà partie du mouvement qui dit s’opposer à sa prépondérance (cf. la question de l’inversion dans la hiérarchie des normes à l’article 2 du projet de loi) : grèves sur les salaires et les conditions de travail chez MacDo, Campanile Tour Eiffel, Amazon … Cela en dit long sur les raisons qui font que les grèves, aussi dures soient-elles, restent localisées dans des secteurs précis et ont du mal à s’étendre : c’est que la pratique dans les entreprises s’est déjà éloignée depuis longtemps du Code du Travail. Soyons pour une fois des matérialistes borné(e)s : ce n’est pas la casse du Code du Travail qui détermine le déclin des « protections » dans le salariat, c’est le déclin de ces protections qui serait enfin entériné (et accéléré, certes) par la casse du Code du Travail. Il est donc, sinon normal, du moins compréhensible que beaucoup de prolétaires travaillant dans des conditions déjà proches du modèle El-Khomri – tout en étant majoritairement hostiles à la Loi-Travail et, quoi qu’on en dise, parfaitement capables de se mettre en grève- considèrent que l’enjeu de ce conflit ne soit pas aussi énorme. On a vu, au Havre et ailleurs, des manifs ouvrières telles qu’on ne le voyait plus depuis longtemps, mais qu’en est-il – pour ne faire qu’un exemple – des milliers et milliers d’ouvriers non qualifiés qui bossent en intérim (près de la moitié des effectifs intérimaires en France, qui sont 600.000 environ) dans la métallurgie, dans l’agroalimentaire, etc.?

Face à cet état de fait, le verbiage mouvementiste ou « radical » a eu du mal à « prendre », trouvant enfin dans le mouvement lui-même sa propre réfutation. Convergence des luttes ? Kaput ! Elle n’a jamais été pratiquée autrement que comme une addition/fédération de « Nom> (le « non » des étudiants, le « non » de la CGT, etc.) ou comme soutien extérieure aux luttes des autres qui, quant à eux, n’avaient jamais dit qu’ils voulaient cette convergence. Autonomie ? Avec un calendrier aussi déterminée par l’intersyndicale, ça ressemble à une mauvaise blague. Blocage de l’économie ? N’en déplaise à ceux qui pensaient pouvoir « bloquer l’économie » à partir de n’importe où, on se retient de sourire : les seuls à bloquer quoi que ce soit dans l’« économie » ont été les grévistes dans les secteurs de l’énergie, de la chimie, des transports publiques – derniers bastions d’une classe ouvrière relativement stable en raison du métier, du closed shop ou du statut.

En ce qui concerne la « jeunesse », son discours sous-jacent tourne principalement autour de la dévalorisation des diplômes : « on vaut mieux que ça », « se lever pour 1200 euro par mois c’est insultant » etc. ne sont pas des généralités sur le sens de la vie ; ces slogans découlent d’une situation sociale délimitée, celle de la jeunesse scolarisée qui accède aux études universitaires. Les fils/filles des prolétaires qui vont à la fac ne sont qu’une infime minorité, et « se lever pour 1200 euro par mois c’est insultant » seulement pour ceux qui s’imaginaient en gagner 2000. Un repérage typologique et géographique des lycées mobilisés confirme en grande partie le diagnostic (pas ou peu de mobilisation dans les lycées professionnels, dans les départements les plus pauvres, etc.). Quant à « tout le monde déteste la police », oui enfin, peut-être, mais certainement pas pour les mêmes raisons. De tels slogans sont allés de paire avec une présence très déterminée dans la rue, une détermination remarquable face à la police… mais qui a dit que les classes moyennes sont incapables de ténacité et de faire recours à la violence ? En 1968 il y en avait qui construisaient des barricades par dégoût de devenir petit cadre, aujourd’hui c’est parce qu’on n’y parvient plus …

S’il y a un aspect qu’il faudra encore interroger de ce mouvement, c’est justement cette dialectique inversée du particulier et du général. Il est du moins singulier que le début du mouvement, en avril, semblait aussi marqué par un « ras-le-bol général » (une aspiration à un « changement de système », aussi vague ou caricaturale soit-elle), tandis que deux mois plus tard ce qui le fait vivre ce sont des conflits comme les grèves des postiers du 92, des éboueurs de Paris et de Saint-Étienne, des salariés d’Air France, etc. On dirait que l’intensification de la lutte de classe déstabilise paradoxalement le « général » au profit du « particulier ». Le revers de la médaille de cette tendance a été le caractère artificiel des assemblées interpro et d’autres comités d’action, qui aspiraient à rassembler surtout ceux qui ont du mal à intervenir dans leur lieu de travail ou n’en ont pas un (précaires, chômeurs, etc). Se rassembler, d’accord, mais pour quoi faire ? Certains ont soutenu des grévistes, d’autres ont essayé (sans grand succès) de bloquer des sites depuis l’extérieur, très peu voulaient vraiment un soutien pour changer quelque chose à leur propre situation, ou ramener les autres membres du comité ou de l’interpro sur son lieu de travail ou son Pôle Emploi. Au sommet de tout cela, Nuit Debout : un universel tellement abstrait et consensuel qu’il parvient à l’effacement de la lutte de classe quotidienne : « Nous ne revendiquons rien ». Bravo ! Et pourtant, parmi les participants majoritairement middle class de ND, il y en avait certainement quelques-uns qui en 2010 disait « Je lutte de classe » !

Parallèlement, il faut remarquer l’impossibilité de tout relais politique au niveau institutionnel, qui va de pair avec le rôle de plus en plus politique de la CGT : encore en 2010, à la fin du mouvement contre la reforme des retraites, on pouvait entendre « rendez-vous en 2012 », et Hollande fit la promesse de revenir sur cette reforme tant détestée au cours de sa campagne électorale. On sait qu’il n’en fut rien, il n’en reste pas moins que – perdant ou victorieux – personne n’osera dire <<rendez-vous en 2017 » à la fin du mouvement actuel.

Entre-temps, les représentants du gouvernement nous répètent sans cesse que « La France va mieux ». Huit ans après la crise de 2008, la reprise serait enfin à l’ordre du jour : il faudrait alors remercier ces crétins comme si c’était leur mérite. Sans blague ! TI serait facile de répondre à cette propagande avec de la propagande, affirmant que ce n’est qu’illusion, que la crise n’est pas finie, qu’il existe une France « d’en haut » et une France « d’en bas », etc. Cependant, une période de récession longue comme celle dans laquelle nous nous trouvons peut effectivement connaître des reprises courtes et localisées. « La France » va peut-être moins mal, mais cela ne change pas la donne : une baisse significative du chômage nécessiterait un taux de croissance « chinois » (au moins 3%), que la Chine même a d’ailleurs de plus en plus du mal à assurer pour elle-même. Le reste, ce n’est que du vent. De plus, nombre d’indicateurs économiques suggèrent qu’une nouvelle crise, potentiellement plus dévastatrice de celle de 2008, est actuellement en gestation. Impossible d’anticiper le lieu et la date exacte de son déclenchement. Mais c’est pour bientôt. Et donc ? Malgré l’absence d’une interpénétration réelle entre les différentes composantes du mouvement, le retrait de la loi travail reste néanmoins la revendication qui lui confère sa cohérence propre, nous refusons donc (et faisons appel à refuser) toute hypothèse liquidationniste, même en cas d’amendement de l’article 2. Mais dans tous les cas, même dans le plus heureux, l’histoire ne finit pas demain, ce ne sera donc que partie remise.

(Des communistes de la region parisienne)

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