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L’Euro 2016, l’exutoire politique d’une violence de masse

sport

Lien publiée le 22 juin 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Jean-Marie Brohm Headshot

http://www.huffingtonpost.fr/jeanmarie-brohm/leuro-2016-lexutoire-politique-dune-violence-de-masse_b_10590576.html?utm_hp_ref=france

Jean-Marie Brohm 

Sociologue, directeur de publication de la revue "Prétentaine"

Fabien Ollier 

Enseignant d'EPS, directeur de publication de la revue "Quel Sport ?"

François Hollande a décidé d'assister à de nombreux matchs de l'Euro 2016, alors que la France est depuis des mois sous la menace terroriste et que le djihadisme vient encore de frapper en région parisienne avec l'assassinat de deux policiers à leur domicile. Le "Président s'amuse", déguisé en supporter, à regarder et commenter des spectacles dérisoires en regard de la gravité de la situation nationale et internationale. Comme cela était en effet largement prévisible, la prétendue "fête populaire du football" vantée avec un lyrisme aussi pompier que grotesque par François Hollande apparaît depuis le jeudi 9 juin sous son véritable jour: un rassemblement de meutes supportéristes imbibées de bière et de haine face à des forces de l'ordre exténuées qui ne parviennent que difficilement à les contenir. Les Français, qui ont assisté à des scènes de violences inouïes mettant notamment en cause les hooligans russes venus en force pour casser leurs homologues anglais, se réveillent dégrisés et constatent les dégâts dans des rues dévastées.

Le rêve publicitaire de l'Euro censé, selon Patrick Kanner, "propager des ondes positives" et favoriser "des moments de communion laïque nationale" (AFP, 9 juin 2016) vire au cauchemar sécuritaire et au gouffre financier. Marseille mais aussi Nice (supporters niçois contre supporters nord irlandais le 11 juin), Paris (supporters parisiens contre supporters turcs le 12 juin), Lille (supporters ukrainiens contre supporters allemands le 12 juin ; supporters gallois contre supporters russes le 15 juin), Lyon (agressions au couteau par des supporters albanais sur deux supporters belge et français dans la fan zone le 16 juin), Saint-Étienne (supporters croates qui se battent dans les tribunes et lancent des fumigènes sur le stade le 17 juin) et toutes les villes accueillant des "matchs à hauts risques" sont en train de devenir des "fights zones", de vastes champs de bataille où se déchaînent le vandalisme, les violences urbaines, les chasses à l'homme sanglantes, et les déprédations massives de biens publics et privés. L'état d'urgence ne s'applique apparemment pas à ces rassemblements de fauteurs de troubles, tandis que la supposée "communion populaire" provoque surtout un état de siège permanent.

Thierry Braillard a beau dénier la réalité en tentant de persuader les sceptiques que "le football ce n'est pas ça" (France Info, 11 juin 2016), nul ne peut contester que ce sont bien les enjeux et les affrontements du foot qui suscitent de telles flambées xénophobes et nationalistes aux conséquences délétères pour la construction européenne déjà gravement en crise avec la montée des populismes d'extrême droite et les risques de dislocation de l'Union (des supporters hongrois ont fait le salut nazi au stade vélodrome le 18 juin). Les rixes entre supporters radicaux, organisés en véritables commandos venus proclamer à grands bruits leur supériorité physique dans les tribunes et dans l'espace public virent en incidents diplomatiques et en affaires d'État, comme l'a montré la réaction du ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui n'a pas hésité à convoquer l'ambassadeur de France en Russie pour dénoncer "l'attisement des sentiments antirusses" à la suite de l'arrestation de 43 des 150 brutes fanatiques d'extrême droite impliqués dans les heurts survenus à Marseille quatre jours durant.

Depuis des dizaines d'années le championnat européen de football est gangrené par les violences racistes, antisémites, nationalistes et sexistes des groupes de supporters. En 2014-2015, de nombreux matchs de Coupes d'Europe (C1, C2 ou C3) ou de qualification pour l'Euro 2016 ont révélé ce qu'était le foot, véritable incitation à la violence. Souvenons-nous par exemple du saccage de la place d'Espagne par des hooligans néerlandais avant le match opposant l'AS Rome et le Feyernood Rotterdam, le 19 février 2015 ; ou des bagarres provoquées par les supporters de Kiev contre ceux de l'En-Avant Guingamp le 26 février 2015. Songeons aux manifestations racistes régulières contre les Noirs (jets de bananes, insultes, bananes gonflables, etc.) dans les tribunes ou dans le métro, notamment à Paris lors du match entre Chelsea et le PSG le 17 février 2015, mais aussi très régulièrement dans les championnats russe, polonais, hongrois ou autrichien. Rappelons-nous aussi le match Italie-Croatie, le 12 juin 2015, débuté sur la pelouse du stade de Split où figurait une croix gammée ; ou le match Serbie-Albanie, le 14 octobre 2014, interrompu par les violences de supporters Serbes appelant à tuer les Albanais. Aucun championnat de football de l'UEFA n'est aujourd'hui épargné par la sauvagerie pandémique des hordes d'ultras, casuals, hooligans, kops ou commandos capables de mettre des quartiers à sac en moins de quelques heures avec l'aide des supporters dits "modérés". Dans les stades ou à leurs abords, sur les aires d'autoroute, en plein centre-ville, la folie chauviniste de ces "cristaux de masse" (Elias Canetti) ou de ces "meneurs" qui "mettent de l'ambiance" s'exprime quasiment chaque semaine dans le championnat français lors des divers "classicos", "chocs de légende" ou "derbys sous tension" entre l'OM et le PSG, Bastia et Nice, Saint-Étienne et Lyon, Lille et Lens, Sochaux et Nantes, Bordeaux et l'OM, etc.

Bien qu'elle soit sans cesse banalisée ou euphémisée par les responsables politiques, les journalistes et certains sociologues qui préfèrent parler de "culture des tribunes" ou de "partisannerie", en souhaitant même la "liberté pour les ultras", cette violence de masse provoque depuis des années en Europe des centaines de blessés graves et des dizaines de morts dans un cycle infini de revanches et de vengeances abrutissantes. Le dogme de la "fraternité du football" vole en éclat et l'Europe du foot, loin d'être en avance sur l'Europe politique et sociale comme l'affirment avec impudence Daniel Cohn-Bendit, Pascal Boniface et quelques autres supporters invétérés du supportérisme, est en réalité une bombe à fragmentation qui attise les passions belliqueuses sur fond de tensions sociales et de crises économiques.

Lors de son passage sur France-Inter à l'émission "L'œil du Tigre" le dimanche 5 juin, François Hollande se vantait d'occuper "le poste le plus important, celui qui permet à une équipe, en l'occurrence toute la France, de pouvoir être en situation de réussir". Après avoir rappelé quelques lieux communs sur la pratique sportive comme "facteur formidable de citoyenneté, d'intégration, de respect, d'égalité", il estimait que "le football est une culture qu'on partage: on connaît les joueurs, on connaît les équipes". "On va avoir un Euro 2016 de ce point de vue là exceptionnel" prophétisait-il. Tout en reconnaissant les résurgences du nationalisme en Europe, la pression sur les frontières, les divisions, les guerres, le chef de l'État se demandait comment allaient être vécus les matchs entre nations aux histoires conflictuelles. "Est-ce que ce sera vécu comme un affrontement ? Alors dans ce cas-là l'Euro aura été une exacerbation des tensions, une aggravation des pressions que l'on peut connaître, des divisions. Est-ce que cela va être un engagement à ne regarder que le jeu et à ne penser qu'à ce que la victoire peut donner aux uns et aux autres, c'est-à-dire la fierté ? Je pense que c'est tout le risque d'une compétition. On ne sait pas comment elle va être. Et ma responsabilité c'est que l'Euro 2016 doit être bien sûr un grand événement sportif mais aussi un événement qui rassemble". D'ores et déjà, les bataillons de supporters formés pour la guerre du foot sont un démenti cinglant au projet naïvement rassembleur du président Hollande.

Aveuglé par sa propre passion pour le football, le Chef de l'État se comporte de manière irresponsable en sous-estimant "le risque d'une compétition" qui pourrait être la cible d'attentats terroristes, mais plus encore en osant parler de "culture", de "citoyenneté" et de "respect" à propos du foot-business qui donne de lui une image lamentable depuis des mois. Dans une Europe travaillée par les affrontements communautaristes, les revendications nationalistes ou identitaires, les racismes, la guerre en crampons du football, loin de contribuer à la solidarité européenne, ne fait qu'exacerber les tensions ataviques entre les peuples. Les mises en scène spectaculaires des rencontres - avec des hymnes nationaux chantés à pleins poumons par des foules exaltées, les déguisements tribaux, les drapeaux brandis à profusion - indiquent bien que le football est la continuation de la guerre par d'autres moyens.

Cosignataires:

Pierre Arnaud, professeur des Universités, historien du sport et de l'éducation physique ; Gilles Bataillon, directeur d'études à l'EHESS ; Patrick Baudry, professeur de sociologie à l'Université Bordeaux III ; Denis Collin, professeur agrégé de philosophie ; Claude Javeau, professeur émérite de sociologie à l'Université Libre de Bruxelles ; Laetitia Petit, maître de conférences en psychologie clinique à l'Université d'Aix-Marseille ; Louis Sala-Molins, professeur émérite de philosophie politique aux Universités Paris I Panthéon-Sorbonne et Toulouse Jean Jaurès ; Pierre-André Taguieff, philosophe et politologue, directeur de recherche au CNRS.