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Macron, le candidat de l’oligarchie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Emmanuel Macron a finalement décidé de lancer, mardi soir à la Mutualité, sa campagne pour la présidentielle mais sans quitter le gouvernement. Alors que l'oligarchie de Bercy a imprimé sa marque sur les politiques de gauche et de droite, au point qu'elles sont devenues identiques, elle franchit un pas de plus et propulse l'un des siens comme candidat.
Depuis qu’Emmanuel Macron a lancé son mouvement « En Marche ! », le 6 avril dernier, c’est la question qui taraude les hiérarques socialistes : pour qui roule-t-il ? Sa candidature à l’élection présidentielle a-t-elle été concertée secrètement avec François Hollande, pour offrir à ce dernier une petite réserve de voix, dans la perspective (de plus en plus hypothétique) de sa présence au second tour de l’élection présidentielle de 2017 ? Ou l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, promu ministre de l’économie, s’est-il émancipé et ne roule-t-il maintenant que pour lui-même ? La vérité, c’est sans doute que l’irruption d’Emmanuel Macron dans l’arène présidentielle révèle quelque chose de beaucoup plus profond : alors que, durant des lustres, l’oligarchie de l’Inspection des finances a essayé de peser sur les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, pour qu’ils mettent en œuvre perpétuellement les mêmes politiques néolibérales, la voici qui décide de sortir des coulisses du pouvoir, pour pousser en avant l’un des siens.
Hollande et Macron © Reuters
Entre les deux hypothèses, que soupèsent les hiérarques socialistes, il n’y a, de fait, pas de raison de trancher. D'abord, Emmanuel Macron cache lui-même son jeu et entretient le flou sur ses intentions : alors qu'il avait initialement décidé de déclarer sa candidature et de quitter le gouvernement avant l'été, pour avoir les coudées franches et mener sa campagne, il y a finalement renoncé. Il va donc tenir son premier meeting de campagne, ce mardi 12 juillet, dans la salle parisienne de la Mutualité, mais sans avoir démissionné. Dans le naufrage que connaît le pouvoir socialiste, cela ne choque visiblement personne que l'on puisse être tout à la fois ministre et candidat, les deux sans doute à mi-temps.
Et puis, il y a des indices qui plaident pour l’une des hypothèses, comme des indices qui plaident pour l’autre. Selon de très bonnes sources, François Hollande a ainsi été mis très tôt dans la confidence d’une possible candidature d’Emmanuel Macron – à moins qu’il ne l’ait téléguidée lui-même. Et le chef de l’État a prodigué des recommandations à celui qui a longtemps été son conseiller, dans les coulisses du pouvoir. Il lui a en particulier suggéré de prendre attache avec le plus de centristes possible, à commencer par Jean-Louis Borloo qui, en sa qualité de président de la Fondation énergies pour l’Afrique, a ses quartiers à l’Élysée. À la fin du mois de mai, l’ancien président de l’UDI a donc rencontré le ministre de l’économie – sans en éprouver, d’après la rumeur, une joie débordante car il a toujours pensé que s’il a été évincé par Nicolas Sarkozy en juin 2007 du ministère des finances, c’est en grande partie sous la pression de l’Inspection des finances. Dans la foulée, sous la surveillance étroite de l’Élysée, le même Emmanuel Macron a aussi invité à dîner au restaurant « La Marée », à deux pas du palais du Luxembourg, quelques sénateurs centristes, flanqués du maire de Lyon, le très droitier sénateur (PS) Gérard Collomb.
Mais quand il navigue en d’autres cercles, Emmanuel Macron – qui est capable d’une très grande duplicité – affiche un mépris souverain à l’encontre de François Hollande, auquel il doit pourtant sa carrière, et jure ses grands dieux qu’il ne roule pas pour le chef de l'État. Lors d’un déplacement à Londres, le 14 avril dernier, on se souvient que le ministre de l’économie en avait profité pour déjeuner avec quelques patrons en vue de solliciter leur soutien financier. Et Le Point avait, à l’époque, donné le verbatim de certains échanges (lire Présidentielle: Macron prêt à déclarer sa candidature). L’un des invités avait ainsi demandé au ministre de l’économie de « lever l'ambiguïté sur [ses] ambitions », et s'il avait l'intention d'« aller au bout » en se présentant à une présidentielle, ponctuant son propos de cet avertissement : « On veut bien vous financer, mais c'est pas pour aller faire la campagne de Hollande ensuite. » Réponse d’Emmanuel Macron : « À droite comme à gauche, les partis créent des candidats qui ne sont que la synthèse de gens qui pensent différemment entre eux. Moi, si j'ai lancé “En Marche !”, c'est pour y aller, et y aller maintenant. »
Aux milieux financiers, dont l’ex-associé gérant de la banque Rothschild est issu, le ministre a envoyé le même message : s’il se présente, ce n’est pas pour participer à une manœuvre passablement fumeuse de François Hollande. Non ! C’est pour en découdre aussi avec lui. Selon nos informations, Emmanuel Macron s’est ainsi ouvert de ses projets avec certains grands patrons, et notamment celui d’Axa, Henri de Castries, qui lui aussi est issu de l’Inspection des finances et lui a promis dès le début un soutien total. Et comme par hasard, quelques mois plus tard, comme l’a révélé Mediapart (lire Le patronat héberge discrètement Emmanuel Macron), le ministre de l’économie a commis la bévue d’installer le siège de son mouvement « En Marche ! » au domicile privé de Laurent Bigorgne, le directeur de l’Institut Montaigne, un influent club patronal qui a été créé par… Axa !
Henri de Castries n’est d’ailleurs pas le seul à chouchouter Emmanuel Macron. En vérité, c’est une bonne partie du Medef qui le regarde se jeter en politique avec délectation, à commencer par le président du Medef, Pierre Gattaz, qui lors de la création du mouvement « En Marche ! » avait applaudi l’initiative, la jugeant « rafraîchissante ».
Il y a donc bel et bien deux hypothèses. Soit Emmanuel Macron est de mèche avec François Hollande ; soit il ne l’est pas. Soit il est en passe de voler de ses propres ailes ; soit il rentrera plus tard dans la basse-cour socialiste. Mais sait-il lui-même ce que sera son chemin ? Ou bien les aléas de la vie politique décideront-ils pour lui ?
En fait, toutes ces spéculations n’ont guère d’intérêt car, dans tous les cas de figure, la candidature d’Emmanuel Macron revêt une importance qui dépasse ces péripéties : c’est la première fois en effet, en France, que l’oligarchie de Bercy, celle de l’Inspection des finances ou de la direction du Trésor, pousse en avant l’un des siens à entrer en politique pour son propre compte.
Depuis trente ans, cette oligarchie de l’Inspection des finances a certes déjà joué un rôle majeur dans la vie politique et économique française. Contrôlant toutes les grandes directions, les plus influentes, du ministère des finances, dirigeant la plupart des grandes entreprises publiques, dirigeant aussi de très nombreuses entreprises privées grâce à trois décennies de privatisations, cette oligarchie pèse d’un poids majeur sur toutes les politiques publiques. Sur ce que Jacques Chirac avait baptisé la « pensée unique ».
En clair, si la gauche et la droite ont conduit depuis plus de trente ans des politiques économiques et sociales de plus en plus voisines, sinon même strictement identiques, bafouant périodiquement l’aspiration à une alternance des citoyens, ruinant la conception même de la démocratie, c’est en grande partie à cause de cette oligarchie, qui a toujours survécu à toutes les alternances, et préconise perpétuellement la mise en œuvre des mêmes réformes dites « structurelles » – traduction : néolibérales !
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »
Veut-on connaître la philosophie qui guide depuis si longtemps l’action de cette oligarchie ? Il suffit de se replonger dans le rapport de la commission Attali – dont Emmanuel Macron était le rapporteur – remis à Nicolas Sarkozy en janvier 2008. Brûlot néolibéral, ce document proposait 316 réformes visant à démanteler le code du travail et à déréguler l’économie – autant de réformes qui sont depuis des lustres dans les cartons des grandes directions de Bercy. Et en introduction de ce document, Jacques Attali et Emmanuel Macron avaient consigné cette préconisation : « [La réforme] ne peut aboutir que si le président de la République et le premier ministre approuvent pleinement les conclusions de ce rapport, le soutiennent publiquement, dès maintenant, personnellement et durablement, en fixant à chaque ministre des missions précises. Pour l’essentiel, ces réformes devront être engagées, selon le calendrier proposé à la fin de ce rapport, entre avril 2008 et juin 2009. Elles devront ensuite être poursuivies avec ténacité, pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités. »
« Pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités »… Nous y voilà ! Toute la « pensée unique » est dans cette formule. Voilà ce que sécrète le système de l’oligarchie française, dont Jacques Attali et Emmanuel Macron sont des représentants : elle sécrète une idéologie qui tient la démocratie pour méprisable ou quantité négligeable. Peu importent les alternances démocratiques, peu importe le suffrage universel : il faut que « pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités », la même politique économique se poursuive. Perpétuellement la même. L’enrichissement pour les uns, la punition sociale pour les autres.
Sans que l’on n’ait pu le deviner dès cette époque, il y avait d’ailleurs un aspect prémonitoire dans cette recommandation. Car effectivement, c’est sous le quinquennat de Hollande qu’une bonne partie des dispositions réactionnaires contenues dans ce rapport commandé par Sarkozy ont finalement été mises en œuvre, instillées dans les deux lois défendues par le même… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Macron: un projet néolibéral concocté sous Sarkozy).
Et comme tant d’autres oligarques, Emmanuel Macron a lui-même joué les essuie-glaces : il a commencé à faire carrière sous Sarkozy ; et a continué sous Hollande, en défendant exactement les mêmes idées, ce qui lui a permis de prendre son envol. Voici ce qu’incarne Emmanuel Macron : d’une certaine manière, c’est la fin de la politique ; c’est l’oligarchie qui survit à toutes les alternances. C’est la mise en œuvre du si terrible précepte que Tancredi souffle à l’oreille de son oncle, le prince de Salina, dans Le Guépard de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Car c’est cela même, le ressort d’un système oligarchique : ceux qui y participent sont insubmersibles.
Avec Macron, il y a pourtant une nouveauté radicale. Jamais, jusqu’à présent, les membres de sa caste n’étaient entrés en politique directement. Il y a certes des inspecteurs des finances qui ont fait ce choix, tel Alain Juppé, mais toujours en respectant les codes traditionnels de la vie politique : en se mettant au service d’un parti, en l’occurrence le RPR (l’ancêtre de l’UMP puis du mouvement Les Républicains), jamais en défiant les partis politiques installés. Mais dans la plupart des cas, les oligarques français de l’Inspection des finances se sont toujours tenus dans les coulisses du pouvoir, préférant jouer les conseillers de l’ombre, plutôt que de prendre en main eux-mêmes les commandes publiques. C’est le cas d’un Alain Minc – le modèle et ami de Macron – ou encore de Jacques Attali – un autre ami – qui, pour n’être pas inspecteur des finances, est aussi très illustratif de l’oligarchie française.
Conseiller dans les coulisses du pouvoir, Macron l’a donc longtemps été, comme ses influents protecteurs. Mais lui fait aujourd’hui un pas de plus, que n’ont pas fait ses mentors : il entre en politique pour son compte propre. Ou pour le compte de la caste dont il est issue. C’est en cela que son parcours est inédit. C’est en quelque sorte l’aboutissement d’une histoire longue : jusqu’à présent, l’oligarchie était parvenue à anémier la vie politique en imposant progressivement le célèbre diktat « Tina » – pour « There is no alternative » ; avec Macron, c’est l’ultime étape : la tentative de prise de pouvoir par l’oligarchie elle-même.
Dans le passé, Minc et Attali ont envisagé de passer en politique : le premier a intrigué en 1988 pour que Rocard le coopte dans son gouvernement, tandis que le second a rêvé que Sarkozy le fasse entrer dans le gouvernement Fillon. Mais après beaucoup d’hésitations – ou de désillusions –, ils sont tous deux restés dans l’ombre, comme conseillers des princes. Un autre, comme Trichet, a très fortement pesé sur la « pensée unique », mais est resté respectueux du fonctionnement républicain, c’est-à-dire dans un rôle d’exécutant. Il a lourdement pesé sur les politiques de Bérégovoy puis de Balladur (avant de passer à la Banque de France puis à la BCE), mais il se montrait toujours très respectueux des politiques. Ce qui n’est pas le cas de Macron, lequel affiche sa détestation (très révélatrice, très… oligarchique !) des politiques, comme il l'a récemment montré dans un récent entretien avec Sud-Ouest où il affichait son mépris pour la « caste politique » en précisant qu’il n’en faisait pas partie.
Il y a donc un effet de miroir dans le pas que franchit Macron : c’est un autre révélateur de la gravité de la crise politique que nous vivons. C’est un peu comme si, à la veille de 1789, les fermiers généraux, qui étaient les principaux soutiens de la monarchie, étaient tellement affolés de l’incurie de cette même monarchie, qu’ils décidaient eux-mêmes de prendre les choses en main.
Dans l’audace de Macron, c’est ce qui ressort. Il a décidé de franchir le pas, parce qu’il a derrière lui le clan de Bercy. Et s’il a ces appuis, c’est qu’il y a de l’exaspération dans les hautes sphères de la finance qui n’ont plus confiance en Sarkozy, qui n’ont plus confiance en Hollande ; bref, qui ont envie de diriger eux-mêmes, ou qui approuvent que l’un des leurs se lance dans cette aventure.
La candidature de Macron dit donc beaucoup de l’exaspération qui chemine dans le pays. Pas l’exaspération de « gauche » ou de gauche radicale. Une autre forme d’exaspération, dans d’autres couches de la société. L’exaspération des cercles de l’oligarchie.
Des faux pas en cascade et un mensonge grave
Mais il y a, pourtant, quelque chose de pathétique dans cette irruption en politique de l’un des représentants de l’oligarchie de Bercy. Car si Macron a beaucoup d’appuis dans les milieux de la haute finance qui le poussent à s’émanciper, c’est qu’il règne un climat de panique dans ces milieux d’affaires. En effet, celui que ces mêmes milieux d’affaires adoubent pour les représenter n’est pas le plus brillant de la caste. Comparé aux hauts fonctionnaires des décennies antérieures – comme Jean-Claude Trichet, Jacques de Larosière ou Michel Camdessus –, Macron apparaît même bien terne et maladroit, sans charisme ni autorité. Sans véritable légitimité…
Si l’on s’en tient aux derniers mois, on peut même recenser une cascade de faux pas et de maladresses qui révèlent l’amateurisme du jeune ministre voulant se mettre en marche…
Il y a d’abord eu son faux pas concernant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). À la fin du mois de mai, le ministre de l’économie suggère qu’il est partisan de la suppression de l’impôt fétiche de la gauche, qui hérisse depuis si longtemps les grandes fortunes. Il le laisse entendre dans la revue Risques, qui est la propriété de la Fédération française des sociétés d’assurance, un lobby patronal dont Emmanuel Macron est décidément très proche. « Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF », lâche-t-il. Après les révélations de Mediapart, on découvre à peine quelques jours plus tard que le propos n’est pas totalement désintéressé puisque le contribuable Macron, à l’issue de plus d’un an et demi de discussions avec le fisc, ayant notamment porté sur la demeure de son épouse au Touquet, a dû admettre qu’il devait payer l’ISF et même déposer une déclaration rectificative pour 2013 et 2014 (lire Macron rattrapé par son ISF).
Il y a ensuite son hypocrisie sur le dossier de la fonction publique. Car Emmanuel Macron a pris dans ce domaine – ce qui est naturellement son droit – une position très tranchée : il est partisan de dynamiter ce statut, radicalité que, même à droite, beaucoup de ténors n’osent pas défendre publiquement. Il l’a fait comprendre notamment le 18 septembre 2015, lors d’un débat organisé par le club « En temps réel » dont il est membre. En réponse à une question sur le sujet d’une journaliste de Challenges, le ministre a fait valoir qu’à ses yeux ce statut n’était « plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout […] plus justifiable compte tenu des missions », avant d’ajouter : « Je ne vois pas ce qui justifie que certains cadres de mon ministère bénéficient d’un emploi garanti à vie, et pas le responsable de la cybersécurité d’une entreprise… » (lire La morgue de Macron contre la fonction publique).
Seulement voilà ! Le ministre a parlé pour les autres, pas pour… lui-même ! Quelques rares hommes politiques, qui défendent des positions identiques, ont eu le courage de mettre en pratique pour eux-mêmes les positions qu’ils défendaient dans le débat public. C’est le cas par exemple de Bruno Le Maire, qui a démissionné du corps des conseillers des affaires étrangères – on peut consulter ici le décret de François Hollande en date du 22 octobre 2012, entérinant sa radiation. Mais bien que le même Bruno Le Maire l’ait exhorté à suivre son exemple, Emmanuel Macron ne s’y est pour l’instant pas (ou pas encore ?) résolu.
Opposé à un système d’emploi à vie pour les petits fonctionnaires, Emmanuel Macron profite, pour lui-même, du statut le plus protecteur de la fonction publique, celui des inspecteur généraux des finances : un emploi à vie parmi les plus mieux rémunérés. Cessant d’être ministre, il va donc pouvoir continuer à percevoir durant encore six mois la rémunération qu’il percevait à ce titre, mais au-delà, s’il ne démissionne pas, il percevra de nouveau la rémunération des inspecteurs des finances : de l’ordre de 100 000 euros brut par an.
Il y a encore eu le très gros mensonge d’Emmanuel Macron dans le cas de la privatisation de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse – un mensonge qui, en d’autres démocraties, aurait marqué la fin de la carrière politique de son auteur. Le ministre avait annoncé publiquement, lors de la cession de 49,9 % du capital de la société à un investisseur chinois, que les actionnaires publics (État, Région, département, ville, CCI) garderaient le contrôle majoritaire de l’aéroport. Mais Mediapart a révélé qu’il s’agissait d’une duperie, l’État ayant passé secrètement un pacte d’actionnaires avec l’investisseur chinois, lui concédant les pleins pouvoirs (lire Aéroport de Toulouse: Macron rattrapé par son mensonge).
Et puis, il y a le comportement hautain d’Emmanuel Macron, qui colle désormais à son personnage, et qui a contribué à faire de lui l’une des têtes de Turc de toutes les manifestations du printemps, depuis sa désormais célèbre saillie adressée à deux grévistes : « La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler » !
Emmanuel Macron va donc se jeter tout seul dans le grand bain de la politique. Mais il franchit le Rubicon, alors que des doutes de plus en plus marqués commencent à se faire jour sur sa capacité de mener sa barque tout seul. À preuve, cette sortie, la plus vacharde que l’on puisse concevoir, de Jacques Attali, celui-là même qui a aidé le jeune haut fonctionnaire à faire ses premiers pas : « Macron n’incarne que le vide ! » a-t-il lancé le 13 mai…
« Macron n’incarne que le vide ! » Comme Jacques Attali est l’un de ceux qui connaissent le mieux Emmanuel Macron, sans doute faut-il prendre la formule au sérieux, même si elle n’est sûrement pas dénuée d'une féroce jalousie. Mais cela ne gomme pas l’essentiel. Envers et contre tout, avec Macron, c’est un pas symbolique qui est franchi : le conseiller efface celui qu’il conseille ; le haut fonctionnaire supplante le politique qu’il a longtemps épaulé mais qu’en vérité il méprisait, parce qu’il était obligé de prendre en compte des préoccupations électorales (ou électoralistes). C’est cela, l’oligarchie : c’est le mépris du politique. En définitive, c'est le mépris de la démocratie…
La morale de notre histoire, c’est celle que tire le grand républicain Marc Bloch dans L’Étrange Défaite, dans les semaines qui suivent la débâcle de juin 1940 : « Quelle que soit la nature du gouvernement, le pays souffre si les instruments du pouvoir sont hostiles à l’esprit même des institutions publiques. À une monarchie, il faut un personnel monarchiste. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecœur. »
D’une débâcle à l’autre, l’histoire bégaie…