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Des enregistrements révèlent les liens secrets de la mafia du CO2 avec la police

Lien publiée le 13 juillet 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Des enregistrements clandestins dévoilent l’existence de tractations secrètes entre des membres de la mafia du CO2 et des réseaux policiers. Ils viennent jeter une lumière de plus en plus trouble sur les rapports qu’entretiennent des figures du crime financier avec certains agents de l’État censés les confondre.

Des enregistrements clandestins dévoilent l’existence de tractations secrètes entre des membres de la mafia du CO2 et des réseaux policiers, qui viennent jeter une lumière de plus en plus trouble sur les rapports qu’entretiennent des figures du crime financier avec certains agents de l’État censés les confondre.

L’écoute des bandes, obtenues en Israël par Mediapart et le quotidien Haaretz, laisse peu de doute sur la nature des discussions et sur le fait qu’elles concernent des sujets problématiques d’un point de vue moral si ce n’est pénal pour les policiers présumés. Il y est ouvertement question d’« arrangements » hors procédure, de « juges difficiles à manier » et d’« interférences » dans des enquêtes en cours pour amoindrir certaines responsabilités ou négocier des sorties anticipées de prison.

Toutes les discussions tournent autour du même personnage : Cyril Astruc. Il s’agit d’un homme d’affaires international déjà condamné par la justice française, relaxé récemment dans l’affaire Neyret (un dossier de corruption policière), mais qui reste encore mis en cause dans plusieurs procédures d’escroqueries, dont celle de la fraude aux quotas carbone.

L’homme est précédé d’une réputation qui frôle la légende. Jouissant d’innombrables surnoms dans le milieu (« Poulet », « Maigrichon », « Cyril le fou »…) et considéré par la police comme « l’homme au milliard d’euros » – ce qui reste à prouver –, Astruc fait saliver et fantasmer aussi bien les escrocs que les enquêteurs. Contacté, il n’a souhaité faire aucun commentaire.

Les enregistrements téléphoniques que révèlent Mediapart et Haaretz, et dont nous diffusons plusieurs extraits, mettent en scène un ancien associé d’Astruc, un dénommé Avi Ben Ezra. Lui aussi recherché par la justice française dans l’un des volets du CO2 (l’affaire Global Energie, 23 millions d’euros de TVA éludés), Ben Ezra est actuellement réfugié en Israël. Sollicités, ses avocats n'ont pas donné suite.

Arnaud Mimran, condamné dans l'affaire du CO2, et Avi Ben Ezra, recherché par la justice. © DR Arnaud Mimran, condamné dans l'affaire du CO2, et Avi Ben Ezra, recherché par la justice. © DR

Dans les bandes clandestines, on l’entend discuter à tour de rôle avec Arnaud Mimran, figure de la mafia du CO2 et intime du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, condamné le 7 juillet à huit ans de prison ferme, et un homme qui a tout du policier. Ce dernier a été présenté à Ben Ezra par le même Mimran, si l’on en croit les échanges captés clandestinement.  

Plusieurs recoupements, nourris de documents judiciaires et de divers témoignages, ont permis d’authentifier matériellement les bandes. Les enregistrements datent du début 2014 et ont été réalisés dans la foulée de l’arrestation, le vendredi 10 janvier de la même année, de Cyril Astruc. Visé par un mandat d’arrêt international depuis décembre 2013, Astruc avait quitté un mois plus tard Israël, où il s’était réfugié, pour se rendre en France, où il est né. Sitôt le pied posé sur le territoire sous une autre identité (“Alex Khann”), il était attendu par plusieurs services d’enquête à la descente de l’avion, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.

La scène a déjà été racontée par Mediapart : ce 10 janvier 2014, sur le parvis de l’aéroport, alors que des douaniers (en charge des enquêtes sur le CO2) et des policiers de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO, chargé d’exécuter des mandats d’arrêt) attendent de savoir lequel des deux services partira avec le trophée du jour, Arnaud Mimran se fait déposer en moto-taxi devant tout le monde. Il salue Astruc, qu’il connaît, puis un policier de l’OCLCO et serre la main à un autre policier présent. L’incrédulité est alors totale pour les douaniers, qui ont également dans leur ligne de mire… Mimran. Astruc partira finalement avec l’OCLCO, au grand dam des agents de la douane. Mimran, lui, suivra le convoi policier avec sa moto. Du jamais vu.

L’anecdote de l’arrestation d’Astruc, qui continue de susciter la sidération dans le landernau judiciaire deux ans après, est également relatée dans les enregistrements clandestins par le mystérieux policier, manifestement de l’OCLCO, en tout cas très proche de ce service : « C’est nous, dit-il, qui l’avons pris en charge à l’aéroport […] Il y avait aussi le service des douanes qui voulait l’arrêter. Nous, on a réussi à le sortir des douanes. C’est nous qui l’avons tiré de l’aéroport. Quand nous avons passé la zone de transit international, on a pu le laisser avec Arnaud dix minutes, un quart d’heure. » Arnaud Mimran lui-même, dans un autre extrait des bandes clandestines, confirme : « Moi, je l’ai vu à la sortie de l’aéroport. On marchait le long de la file des taxis. Il n’avait pas de menottes. »

 Conversation entre Avi Ben Ezra et un policier non identifié. Photo d'Arnaud Mimran, dont il est question dans la bande. © Mediapart

 Discussion entre Arnaud Mimran et Avi Ben Ezra. Photo d'Arnaud Mimran. © Mediapart

À l’écoute des enregistrements, on comprend qu’Astruc ne s’attendait pas à partir en prison après sa reddition. Avi Ben Ezra, qui s’en émeut dans une conversation avec Mimran, évoque d’ailleurs une discussion avec « le grand patron » quelques jours avant l’arrivée d’Astruc en France, au terme de laquelle des garanties lui auraient été offertes. De qui s’agit-il ? Mystère.   

Mimran se montre pourtant confiant et assure à Ben Ezra que son « copain » lui a juré que tout allait s’arranger. L’envoi en prison semble en tout cas un bon prétexte de négociation pour le « copain ». Celui-ci parle sans fioritures au proche d'Astruc dans les enregistrements :

« Je vais essayer de vous faire comprendre les choses […] Si on n’intervient pas, il va risquer de rester pas mal de temps […] Moi, je vous donne un maximum de délai de 6 mois. On est sûr de pouvoir le sortir dans six mois. Il fera six mois de prison maximum […] Maintenant, nous, on va vous rendre service dans le dossier. De votre côté, vous pouvez aussi nous rendre service.
— De quelle façon ? demande Ben Ezra, benoîtement. 
— Je pense que vous savez où je veux en venir […] Mais à partir du moment où vous nous rendez service, je peux vous garantir qu’il ne fera pas plus de six mois »
, répond, louvoyant, le policier non identifié.

 Suite de la discussion entre Avi Ben Ezra et un policier non identifié. Photo de Cyril Astruc. © Mediapart

« Vous savez où je veux en venir »

L’affaire, de toute évidence, est sensible. Le policier présumé dit à plusieurs reprises qu’il ne veut et ne peut pas trop en dire au téléphone. Il répète qu’il a besoin de rencontrer un représentant d’Astruc sur Paris ou ailleurs pour faire avancer le dossier, qu’il présente comme « complexe » eu égard au CV d’Astruc. Mais il dit que lui et ses « collègues » peuvent « interférer » sur les procédures « si on trouve un terrain d’entente ».

Sonnant et trébuchant, le terrain d’entente ? Pour Ben Ezra, oui, c’est bien d’argent qu’il est question. Entendu en février 2016 en Israël dans le cadre d’une commission rogatoire internationale délivrée par une juge parisienne, Ben Ezra raconte : « Arnaud Mimran a discuté avec Cyril [Astruc] en lui disant qu’il avait peut-être une solution pour revenir en France. On a eu rendez-vous au Sheraton tous les trois. Arnaud était au courant de tous les dossiers en justice de Cyril — 300 000 — et quand il sort — 700 000. Les 300 000, il les a envoyés vers un compte à Dubaï. En arrivant à l’aéroport, il me dit que tout va bien, et le soir j’ai appris qu’il était arrêté. J’ai pris le téléphone et j’ai parlé à Mimran, il m’a dit de rajouter un million d’euros. J’ai tous les enregistrements, je me propose de vous les remettre. Mimran a été convaincant. »

Si cela devait se confirmer, il s’agirait d’une affaire de corruption policière potentiellement inédite, qui ferait passer l’affaire Neyret pour une comptine.

Est-ce la raison pour laquelle, dans les enregistrements clandestins, le mystérieux policier multiplie, fébrile, les précautions avec son interlocuteur ? « C’est trop délicat de parler de cela au téléphone », dit-il par exemple. Puis : « Il ne faut pas torpiller ce qu’on est en train de faire pour Cyril. Nous faisons des choses extrêmement importantes. Nous prenons des risques. »

 Suite de la négociation entre Avi Ben Ezra et le policier non identifié. Photo d'Avi Ben Ezra. © Mediapart

Il va même jusqu’à conseiller à Ben Ezra qu’Astruc change d’avocat. Et cite à ce propos le nom d’un conseil qui serait, d’après lui, mal vu des services de police et des tribunaux : Me David-Olivier Kaminsky, en effet avocat d’Astruc à l’époque des faits. Avi Ben Ezra, rusé, lui demande :« Mais quel est l'intérêt d'avoir un avocat si vous êtes derrière ? » Réponse du policier : « Lorsqu’il [Astruc] sortira de prison, il ne faudra pas que son avocat se demande pourquoi il est sorti, comment il est sorti. » Et il ajoute : « Des gens pourront penser que c’est un informateur. » Ce n’est donc pas d’échanges d’informations qu’il est question dans les négociations.

Le policier présumé veut faire monter les enchères, manifestement. « Votre ami, ce n’est pas n’importe qui. Tous les services de police le veulent, des douanes jusqu’à la financière. C’est un cas extrêmement complexe. On n’a pas affaire à un voleur de poules », glisse-t-il.

 Fin de la discussion entre Avi Ben Ezra et un policier non identifié. Photo de Avi Ben Ezra. © Mediapart

À l’écoute des bandes, peu de doute existe sur le fait qu’il s’agit bien d’un policier ou d’un émissaire en lien étroit avec la police, qui connaît les dossiers, la procédure et le dessous des enquêtes — y compris des éléments non publics et couverts par le secret. L’intéressé évoque même à un moment de la discussion la « présentation du dossier » que son service a fait après l’interpellation d’Astruc au procureur. Il parle aussi de deux commissions rogatoires (des actes d’enquête sollicités par un juge) arrivées à son service et qui, promet-il, vont revenir « vierges » au tribunal. Il cite enfin les noms des juges Patrick Gachon et Renaud Van Ruymbeke, qui enquêtent sur Astruc. « Ils sont extrêmement difficiles à manier », se plaint-il. Et de se vanter : « Nous, nous avons les arguments et les moyens pour. »

Finalement, Astruc fera 15 mois de détention provisoire dans les différents dossiers qui le visent, dont l'affaire Neyret pour laquelle il vient d'être relaxé par le tribunal. Dans son entourage, on assure qu'il s'est refusé à verser le moindre dessous-de-table après son retour en France. De son côté, Avi Ben Ezra sera à son tour visé par un mandat d'arrêt le 29 janvier 2014, soit quelques jours après les enregistrements téléphoniques.

Cela fait des années, en réalité, que les liens supposés entre la mafia du CO2 et certains policiers alimentent des discussions inquiètes dans le monde judiciaire. « C’est malheureusement un vrai sujet », confie, dépité, un magistrat spécialisé au palais de justice de Paris. Cette proximité douteuse apparaît d’ailleurs à la marge de plusieurs procédures, comme l'a déjà raconté Mediapart.   

Dans une affaire criminelle, qui vaut actuellement à Mimran une quadruple mise en examen pour « enlèvement »« séquestration »« extorsion en bande organisée » et « blanchiment », un de ses anciens hommes de main a confié sur procès-verbal que son patron avait été averti à l’avance de son interpellation dans l’affaire du CO2 et de son placement sur écoutes.

Dans cette même affaire de kidnapping et d’extorsion de fonds, le juge alors en charge du dossier, Patrick Gachon (promu depuis à Versailles), s’était ému des fuites sur l’enquête en cours :

« Il résulte que vous avez eu des informations sur l’enquête en cours, s’est étonné le magistrat lors d’un interrogatoire de Mimran.
— Pour avoir discuté avec un policier, il m’a précisé qu’il y avait une investigation en cours à l’OCLCO, répond le mis en examen.
— Quel policier ? demande le juge.
— Je ne veux pas répondre. Les gens de l’OCLCO savent qui c’est. »

Devant les policiers, Mimran avait parlé d'un certain “Seb”, qu'il avait alors présenté comme un agent de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Seulement voilà, en audition, les policiers de l'OCLCO n'avaient pas poussé plus loin l'interrogatoire. Entendu par la justice sur ce point, l'ancien patron de la DGSI, Bernard Squarcini, avait quant à lui balayé toute proximité coupable avec son ancien service. Avant d'ajouter : « Il se dit que l'intéressé [Mimran - ndlr] entretient de très bons contacts avec des fonctionnaires des services de la police judiciaire, mais je ne sais pas avec qui, à quel titre, ni même si cette rumeur est fondée. »