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L’Europe et le révisionnisme historique de la Croatie

Croatie histoire

Lien publiée le 25 juillet 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-europe-et-le-revisionnisme-183177

Quand l'Union Européenne aura-t-elle donc le courage moral, à défaut de lucidité politique, de reconnaître, tout en la condamnant, l’actuelle et dangereuse dérive négationniste de l'un de ses pays membres, la Croatie, aujourd'hui confrontée, une fois encore, à ses démons nationalistes ?

L'OPERATION « TEMPÊTE » : LA PIRE DES EPURATIONS ETHNIQUES EN EX-YOUGOSLAVIE

J'avais déjà eu l'occasion au mois d'août de l'année dernière, il y a pratiquement un an, de dénoncer la manière dont ce pays, la Croatie, avait commémoré en grandes pompes, au centre de sa capitale Zagreb, le vingtième anniversaire de l'opération militaire « Tempête » : une offensive éclair, alors menée par son président Franjo Tudjman, antisémite notoire et révisionniste chevronné, qui expulsa en cinq jours seulement, entre les 1er et 5 août 1995, plus de 250.000 Serbes, auxquels il convient d'ajouter près de 10.000 morts, de la région de la Krajina (http://www.lalibre.be/debats/opinions/une-scandaleuse-commemoration-55c3768b3570b5465323312d) .

De ce qui est pourtant considéré là comme le plus grand nettoyage ethnique lors de la guerre en ex-Yougoslavie, personne, à de rares exceptions près, ne s'en était véritablement ému. Au contraire : l'Union Européenne envoya, pour fêter dignement l'événement, quelques-uns de ses représentants les plus prestigieux, arguant même, au faîte d'un raisonnement à ce point fallacieux qu'on ne sait si c'est l'ignominie ou l'hypocrisie qu'il faut blâmer le plus, que cette guerre de reconquête territoriale, de la part de la Croatie, mit enfin un terme au conflit avec la Serbie et, partant, en Bosnie même. On appréciera le sophisme, doublé là d'une patente mauvaise foi !

LE SCANDALEUX ACQUITTEMENT, PAR LE TPIY, DES GENERAUX CROATES

Pis : les deux principaux responsables militaires de cette entreprise criminelle que fut l'opération « Tempête », les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac, ont été définitivement acquittés, lors d'un jugement prononcé le 16 novembre 2012, par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, le fameux TPIY, dont on peut donc légitimement penser, au vu de cet inique et scandaleux verdict, qu'il s'avère être, avant tout, un tribunal politique. Ce fait aussi, je l'avais vigoureusement contesté en une autre de mes tribunes (http://www.lepoint.fr/invites-du-point/daniel-salvatore-schiffer/ex-yougoslavie-le-scandaleux-verdict-du-tpiy-16-11-2012-1529841_1446.php). Peine perdue, toutefois : Gotovina et Markac sont rentrés, libres et satisfaits, à Zagreb, où ils ont été accueillis, face à une foule en liesse, comme des héros !

LA RENAISSANCE DU FASCISME OUSTACHI

Mais là où la Croatie d'aujourd'hui culmine, dans cette vaste entreprise de révisionnisme historique, c'est dans le non moins indigne et funeste jugement que le tribunal de Zagreb vient de rendre ce 22 juillet 2016, sans que nos démocraties modernes ne trouvent rien à redire là non plus, en faveur du cardinal Aloïs Stepinac, prélat catholique qui fut l'un des fers de lance, durant la Seconde Guerre mondiale, de l’État Indépendant de Croatie (subsumé, dans la langue nationale, sous le sigle de NDH) : pays fantoche qui fut créé, entre les années 1941 et 1945, par l'Italie fasciste de Mussolini et qui avait alors à sa tête Ante Pavelic, le chef des oustachis, cette milice dont l'invraisemblable cruauté - sa « spécialité » consistait à mutiler l'ennemi en lui excavant les yeux des orbites puis en lui coupant les parties génitales, qu'elle introduisait ensuite dans sa bouche, comme le relate l'écrivain Curzio Malaparte dans son livre Kaputt - horrifiait jusqu'aux nazis eux-mêmes : ce qui, on en conviendra aisément, n'est pas peu dire !

Aussi est-ce dans ce même État Indépendant de Croatie, dont Stepinac fut l'efficace suppôt idéologico-religieux et Pavelic l'impitoyable bras politico-militaire, que fut alors implanté, durant cette période-là toujours, le plus grand camp de concentration des Balkans : celui de Jasenovac, où périrent, en d'atroces souffrances, environ 700.000 Serbes, en plus de nombreux Juifs, Gitans et Tziganes, sans compter les homosexuels, artistes, intellectuels et militants socialistes, dont la plupart étaient de vaillants Résistants.

UNE INFÂME REHABILITATION

Et bien, oui : aussi honteux cela puisse-t-il paraître pour tout authentique humaniste, c'est ce même cardinal Stepinac, qui fut donc l'un des pivots les plus aguerris de ce sombre pan de l'histoire contemporaine, que le tribunal de Zagreb vient de réhabiliter en annulant la sentence (70 ans de prison) que la vieille Yougoslavie de Tito (qui n'était certes pas lui non plus, à l'instar de bon nombre de dirigeants communistes en cet obscur temps-là, un individu particulièrement recommandable) avait émise au lendemain de la guerre, en 1946, à son encontre !

Ainsi cette infâme réhabilitation d'Alois Stepinac, et à travers lui, l'ignoble État Indépendant de Croatie (dont l'ancien drapeau à damier rouge et blanc est encore celui, aujourd'hui même, de la nouvelle Croatie, comme, par ailleurs, du maillot de son équipe nationale de football), se révèle-t-elle être également, par son évidente indélicatesse compassionnelle, sinon de simple conscience face aux innombrables victimes d'alors, comme une gigantesque insulte envers les Serbes : ce qui ne favorise malheureusement pas le nécessaire processus de pacification, après les dernières guerres en ex-Yougoslavie, entre ces mêmes peuples croate et serbe (il est vrai que seuls les responsables politico-militaires de celui-ci, outrageusement diabolisé, furent perçus, dans le manichéisme intello-médiatique qui caractérisa ces ultimes guerres balkaniques, comme des bourreaux) !

DE LA BEATIFICATION A LA CANONISATION ?

Faudra-t-il, du reste, véritablement s'en étonner lorsque l'on sait que c'est le Vatican lui-même qui, le premier, procéda à cette réhabilitation de Stepinac puisque c'est le pape Jean-Paul II en personne qui décida, en 1998 déjà, de béatifier, carrément, ce cardinal croate, ainsi que je l'avais là encore dénoncer, quoique toujours en vain, dans un autre de mes articles (http://www.liberation.fr/tribune//01/beatification-1998/10revisionniste_249643).

Reste que tout espoir, en cet épineux et calamiteux dossier, n'est cependant pas perdu : il paraît que le pape François a, quant à lui, bloqué le processus de canonisation, cette fois, de ce sinistre personnage, pour le moins très controversé, que fut Alois Stepinac. Alléluia, aurais-je envie de m'écrier au ciel, même si je ne puis que regretter tout aussi amèrement, bien entendu, que la dépouille momifiée de celui que les historiens les plus sérieux et crédibles accusent de « complicité de crimes de guerre » (c'est un euphémisme !) gise toujours, soigneusement protégée dans un sarcophage de verre, telle la plus sainte des reliques, au centre de la cathédrale de Zagreb.

L'Europe, apparemment plus préoccupée aujourd'hui par son avenir économique que par son passé idéologique, du moins dans certains de ses pays, a, décidément, la mémoire courte, trahissant ainsi, du même coup, quelques-unes de ses valeurs morales, et autres principes philosophiques, les plus nobles : ce qui n'est certes pas le moindre des paradoxes dans la construction de cette Union Européenne lorsque l'on pense que celle-ci est née, s'évertue-t-elle à nous rappeler pour mieux s'exonérer de toute faute à ce douloureux sujet, afin que ce type de barbarie, précisément, ne sévisse plus, à juste titre, sur son sol !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

* Philosophe, auteur, notamment, de Requiem pour l'Europe - Zagreb, Belgrade, Sarajevo (Éditions L'Âge d'Homme), Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des 'nouveaux philosophes' et de leurs épigones (François Bourin Éditeur), Le Testament du Kosovo - Journal de guerre (Éditions du Rocher).