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Utiliser le mot "race" ?

Lien publiée le 31 juillet 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://mignonchatonblog.wordpress.com/2016/07/23/utiliser-le-mot-race/

Une polémique a récemment agité le milieu libertaire français concernant l’utilisation des termes raceracialisationracisés etc. certains dénonçant une essentialisation du débat sur le racisme, essentialisation qui relèverait elle-même du racisme. Selon ce point de vue, reprendre ces termes serait contribuer à propager la grille de lecture raciste.

Dans un premier temps il semble que, tel quel, cet argument est absurde : il n’est pas question de reprendre ces termes mais de les étudier pour en révéler l’aspect socialement et historiquement construit, et de proposer une définition critique qui révèle cet aspect construit.

Cet argument est donc à peu près aussi absurde que si on affirmait que parler de prolétariat pour critiquer l’exploitation reviendrait en fait à contribuer idéologiquement au capitalisme en acceptant de nous reconnaître comme des prolétaires.

Pour lutter contre notre situation nous avons besoin de la nommer et de l’analyser parce que les catégories qui nous assignent sont déjà existantes. Nous ne choisissons pas de nous identifier à notre catégorie sociale, celle- ci s’impose à nous, de façon d’ailleurs assez violente, se reconnaître comme racisé ce n’est pas proclamer fièrement une identité, c’est simplement reconnaître que nous sommes la cible d’un dispositif d’assignation sociale spécifique, dispositif socialement construit que nous cherchons à analyser et contre lequel nous voulons lutter.

Bref, comme le disait le proverbe « Il ne suffit pas de nier les barreaux d’une prison pour qu’ils disparaissent ».

Cependant, si la récente polémique ouverte sur la racialisation dans le milieu libertaire est peut-être, entre autres, symptomatique d’une certaine forme de réaction contre la montée en puissance d’une analyse antiraciste critique dans ce dit milieu, on ne peut absolument pas se limiter à cette analyse.
Premièrement parce que cette forme de réaction n’est pas le monopole de personnes plus ou moins assignées blanches.
Deuxièmement parce qu’il ne s’agit pas uniquement d’une forme de réaction, au sens droitier du terme, parce que le champ lexical de la race a une connotation, en tout cas en France, purement raciste, et qu’il est absurde de vouloir nier cette histoire si l’on se prétend critique.

Certes, le champ lexical de la race est aussi utilisé depuis maintenant longtemps de façon critique, dans les sciences- sociales par exemple, mais cette utilisation est le fait de spécialistes qui maîtrisent la dimension critique de ces termes et le fait qu’ils se réfèrent, non à des réalités biologiques à proclamer mais à des constructions sociales à critiquer.

Lorsque l’on sort un ensemble de termes de leur champ d’utilisation spécifique pour un autre, en l’occurrence pour les projeter dans le champ politique, surtout de façon ouvertement polémiste ou provocatrice, il est inévitable que cela suscite une levée de bouclier. Inévitable et même assez sain parce que cela révèle que ces termes restent choquants, ce qui est tout de même un bon signe même si cela ne produit pas que de bons effets. On ne peut pas nier la portée potentiellement choquante de l’usage de ces termes dans le champ politique en France, ni nier que ceux qui ont polémiqué sur leur usage aient pu le faire en toute bonne foi du fait de leur tradition politique ou de leur sensibilité.

Le débat sur le racisme est un chantier qu’il faut assumer, c’est-à-dire déjà assumer le travail de réflexion, de débat, de pédagogie, voir d’auto- critique éventuelle, qu’il demande.

Pour notre part, nous assumons d’utiliser le mot « race »  pour désigner le « système d’assignation des individus à une catégorie, socialement construite, basée sur des marqueurs physiques/biologiques et/ou ethno- culturels, éventuellement justifiés par un discours pseudo- scientifique ».

Si quelqu’un penser avoir un meilleur terme ou une meilleure définition à proposer, nous sommes à l’écoute.

De notre point de vue on ne peut pas écarter a priori l’idée qu’une essentialisation du débat, et l’émergence de mouvements identitaires et racialistes pourraient survenir à la faveur de crises du capitalisme.
On ne peut donc pas blâmer gratuitement ceux qui s’en inquiètent et de renvoyer cela à du racisme de leur part.

Il faut donc ici rappeler une chose importante : c’est le racisme qui produit la race. Beaucoup de racisés se considèrent comme blancs et découvrent leur assignation raciale vers l’adolescence ou dans le monde du travail après avoir vécu sans aucun lien avec la soi- disant culture d’origineliée à leur racialisation.

L’affirmation d’une identité, qu’elle soit ouvrièreraciale ou autre, à travers une culture réelle ou fantasmée, et les positions d’empowerment, si elles peuvent se comprendre comme formes de réaction à la brutalité de l’oppression subie, relèvent pourtant tout autant de la construction.

Certes il peut être tentant, voir politiquement utile à un moment donné, de retourner le stigmate en revendication et de commencer à se construire un lien avec son assignation raciale sur des bases culturelles, en « cherchant ses racines » comme on dit.

De notre point de vue il s’agit cependant d’une stratégie obsolète, justement parce que le racisme, tout comme le travail, semblent reposer de moins en moins sur des identités sociales stables. Ceci est notamment dû au fait qu’avec la progression du métissage, de la mondialisation et de la marchandisation des cultures, il devient de plus en plus difficile de prétendre assigner une identité culturelle stable à une catégorie de race.

Il n’est pas exclut, selon nous, que l’on puisse prochainement assister à une multiplication des catégories qui relèveraient plus ou moins de la racialisation ou de l’ethnicisation, en dépit de la progression du métissage et de la mondialisation culturelle qui rendent pourtant ces catégories de plus en plus caduques, de même qu’on assiste à une multiplication des spécialisations professionnelles en dépit d’un chômage structurel de masse.
La race, comme le travail, apparaissent donc selon nous de plus en plus dépouillés de leur justification idéologique, comme de simple outils de contrôle social, ce qui n’écarte pas l’hypothèse de leur éventuelle progression et de leur intensification.
Toujours de façon hypothétique, peut être que le marqueur racial est appelé à se fondre et se dépasser dans des formes de marquage sociale plus larges et plus complexes. Quoiqu’il en soit ce dont nous sommes persuadés c’est qu’il est plus que jamais temps d’en livrer une analyse dépassionnée et minutieuse qui place le souci de rigueur et de méthode au dessus des considérations idéologiques, des querelles de distinction et des guerres de chapelle.

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