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A Paris, un cortège de tête à l’aise avec la violence
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Ce 15 septembre marquait une rentrée décisive pour le mouvement contre la loi Travail. A Paris, 40 000 personnes ont défilé selon la CGT. En tête du cortège, des affrontements violents ont eu lieu avec la police. Au moins quatre manifestants et quinze policiers ont été blessés. Reportage.
Un petit air de déjà vu s’est emparé des opposants à la loi Travail, place de la Bastille à Paris, ce 15 septembre. Fouilles à l’entrée, voies bloquées par des forces de l’ordre venues en nombre, itinéraire réduit à la portion congrue (1,6 kilomètre entre Bastille et République)… Etat d’urgence oblige, la préfecture de police a imposé des conditions draconiennes à cette mobilisation pour l’abrogation de la loi El Khomri (promulguée le 6 août dernier). C’est devenu une habitude. A tel point que l’AFP avaitannoncé dans une dépêche que les opposants à la loi Travail avaient été “autorisés à manifester”, comme s’il s’agissait d’une concession.
“C’est qui les casseurs ? C’est eux les casseurs !”
L’ambiance dans le cortège était à l’image de ce contexte : tendue, surtout à l’avant où des camions de CRS étaient postés en “éclaireurs”. Dès le départ, comme au cours des dernières manifestations du printemps dernier, un groupe de protestataires – qui n’a cessé de grossir au fur et à mesure de la manifestation – a pris la tête du défilé, au grand dam du service d’ordre des syndicats. Cagoulés ou pas, munis de masques et de projectiles, certains s’en sont pris à plusieurs reprises à la police, ou leur ont fait face en scandant :
“C’est qui les casseurs ? C’est eux les casseurs ! C’est qui la racaille ? C’est eux la racaille ! Alors dehors, dehors ce gouvernement, qui casse nos grèves, et le droit du travail, qui nous matraque, et qui nous gaze !”
Parmi eux, des lycéens, des étudiants, mais pas seulement.
Au printemps dernier, des acteurs du mouvement social ont cru constater qu’il y avait une “porosité” entre les manifestants d’habitude pacifistes et le cortège de tête, partisan de la politique la plus remuante. Qu’en est-il vraiment ? Les témoignages des quelques personnes que nous y avons interrogées semblent confirmer cette hypothèse.
“Le droit de manifester est remis en cause par le gouvernement”
Alors que des grenades de désencerclement des policiers explosent à fréquence régulière dans un nuage de gaz lacrymogène, Erika, une franco-brésilienne membre de l’ONG Ritimo, trouve cette violence “un peu normale” :
“En France il y a un vrai problème de démocratie, qui touche notamment le droit à manifester. En échange de la ‘protection’ de l’Etat, ce droit est remis en cause par le gouvernement. C’est une bonne excuse pour affaiblir le mouvement. Le terrorisme a bon dos : comme le gouvernement ne peut pas répondre aux problématiques sociales, il se replie sur ça”, estime-t-elle d’une voix calme malgré le contexte tendu à l’approche de la place de la République.
Alors que l’avancée du cortège est bloquée par les affrontements entres les autonomes et la police, des syndicalistes franchissent le cordon du SO de la CGT pour rejoindre le cortège de tête. On y trouve alors aussi des étudiants de Jussieu et de Paris I qui chantent en sautant à l’unisson :“Qui ne saute pas est au PS !” Dans cette ambiance où l’adrénaline le dispute à la festivité, des membres d’Attac ont aussi organisé un jeu sur le mode de Pokémon Go pour “dresser” des membres du gouvernement et du Medef transformés en “Valstico” ou “Pikattaz”.
“Si j’étais lycéen, je serais avec eux”
Serge et Nicolas, la cinquantaine, reviennent d’une percée à l’avant du cortège de tête. “Ça commence fort !”, lance le premier, ancien délégué CGT dans le secteur de l’imprimerie. Sa position quant à la violence est ambivalente : “Je ne sais pas jusqu’à quel point on doit aller. Je ne condamne pas les violences, mais je me pose des questions.” Nicolas, syndiqué à SUD, la soutient pour sa part entièrement :
“Qui qu’ils soient je les comprends. Ils sont jeunes, ils voient bien que leurs conditions se dégradent, qu’il n’y a pas de travail, qu’on licencie dans toutes les boîtes, et qu’il y a une réduction des droits. Si j’étais lycéen, je serais avec eux”.
Et d’ajouter, en gardant le sourire : “Le problème, c’est qu’on ne peut plus avancer !”
Un peu plus loin, Arthur, ancien porte-parole de la Coordination nationale étudiante, désormais étudiant en histoire à Paris-1, renverse la problématique de la violence – lui et ses camarades ont été fouillés à trois reprises :
“La violence vient de la police et de l’Etat, la mort d’Adama Traoré en a dernièrement encore témoigné. Mais c’est aussi et surtout de violence sociale qu’il faut parler, qu’il s’agisse de la loi Travail ou du plan Hirsch. Ce mode d’action est une réponse à ces violences, qui est loin d’être aussi forte, car le rapport de force n’est pas équilibré.”
“On a envie de passer du stade de la colère à la révolte”
De part et d’autre du cortège, les stands des partis politiques de gauche radicale font bien pâle figure devant les échauffourées qui se déroulent sous leurs yeux. Philippe Poutou, candidat du NPA à la présidentielle, une liasse de tracts à la main, se veut pourtant un accompagnateur de cette radicalité :
“Quelle méthode de lutte adopter dans une situation où la répression est de plus en plus forte, où il y a des reculs sociaux énormes ? C’est une discussion qu’on va avoir dans le mouvement social. Une lutte plus dure est envisageable dans cette situation intermédiaire. On a envie de passer du stade de la colère à la révolte”, soutient-il.
Place de la République, le résultat de cette radicalisation est patent : au moins quatre manifestants et quinze policiers ont été blessés – l’un d’entre eux a eu la jambe brûlée par un cocktail Molotov. D’après David Perrotin, journaliste à Buzzfeed, un manifestant aurait perdu un œil. Tout de noir vêtu, des autonomes tiennent une pancarte qui se veut prophétique : “A l’abordage, 2017 n’aura pas lieu”. Sur le trajet, un poème qui n’est pas sans rappeler l’agit-prop situationniste des années 68 a été distribué, témoignant de la présence en force de la plus extrême gauche.
En sortant de la place de la République par un trou de souris entre deux rangées de CRS – qui en bloquent encore une fois toutes les entrées – un policier demande à un manifestant de retirer son autocollant “La France insoumise” : “Retirez votre autocollant, la manif est finie”. Abasourdi, il obtempère. “C’est dingue, on s’y habitue presque”, regrette-t-il en partant.