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Hommage à Pujadas et Salamé, journalistes intransigeants
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans « L’Émission politique », on ne badine pas avec l’indépendance des médias.
Rappel des faits
Le 6 septembre dernier, « Arrêt sur images » publiait une enquête consacrée au « bras de fer entre [Michel] Field et Envoyé spécial » à propos de la diffusion d’un reportage consacré à « l’affaire Bygmalion ». Michel Field aurait tenté à plusieurs reprises de décaler la diffusion de l’enquête d’ « Envoyé spécial » afin qu’elle n’ait pas lieu durant la « primaire de la droite et du centre ». Argument invoqué par le directeur de l’information de France télévisions : « diffuser un sujet au moment où la primaire des Républicains bat son plein fait courir le risque d’instrumentaliser France télévisions ».
La question d’éventuelles pressions de Nicolas Sarkozy et de son entourage s’est évidemment posée. Et tandis que Michel Field et les proches du candidat à la primaire démentaient toute ingérence, plusieurs sources ont affirmé à « Arrêt sur images » et au Canard enchaîné [1] que l’équipe de Nicolas Sarkozy était bien intervenue, mettant notamment dans la balance la participation, le 15 septembre, de l’ex-Président au premier opus de la nouvelle émission politique de France 2, « L’Émission politique » :
Selon plusieurs sources, l’entourage de Sarkozy aurait formulé un avertissement : si France télévisions programme l’enquête sur Bygmalion durant les primaires de la droite, pas de Sarkozy dans la première de la nouvelle émission politique. Mais ce n’est pas tout. Une autre menace aurait été brandie : si l’enquête est maintenue, France Télé pourrait bien dire au revoir à la diffusion des débats des primaires de la droite programmée sur France 2. [2]
On connaît désormais la fin de l’histoire : après divers rebondissements, Michel Field a été contraint de reculer, et le reportage sera bien diffusé le 29 septembre.
Léa Salamé et David Pujadas montent au front
La fin de l’histoire… ou presque. Car une question, et pas des moindres, demeure : y a-t-il bien eu des pressions, ou les témoins d’ « Arrêts sur images » et du Canard enchaîné ont-ils tout inventé ?
Heureusement, « L’Émission politique » du 15 septembre a été l’occasion d’y voir plus clair. David Pujadas, Léa Salamé et leurs équipes attendaient en effet Nicolas Sarkozy au tournant, et s’étaient donné les moyens de confronter l’ex-chef de l’État aux accusations de tentative de censure d’un reportage peu à son avantage. Rien que de plus normal : les deux journalistes travaillent pour France 2, et l’idée que Nicolas Sarkozy ait pu faire pression sur la chaîne pour saborder le travail de certains de leurs confrères et consœurs leur était insupportable.
C’est David Pujadas qui a ouvert le bal, dès le début de l’émission :
- « Monsieur Sarkozy bonsoir. Avant d’entrer dans le vif du sujet et de vous interroger sur votre analyse de la situation française et sur vos propositions, nous nous devons, par acquit de conscience, de vous poser une question qui fâche. Depuis plusieurs jours, une rumeur tenace circule, selon laquelle votre entourage aurait tenté de faire reporter, voire annuler, la diffusion d’une enquête concernant l’affaire Bygmalion. Qu’avez-vous à répondre à ces accusations ? »
Face aux tergiversations de Nicolas Sarkozy, Léa Salamé, connue pour sa pugnacité, n’a pas hésité à relancer le candidat à la primaire :
- « Monsieur Sarkozy. Comme nous sommes des journalistes sérieux, nous avons vérifié que les témoins cités par différents médias n’étaient pas imaginaires. Et ils ne le sont pas. Rien ne prouve qu’ils disent vrai, mais le moins que l’on puisse dire est qu’on ne voit pas pourquoi ils inventeraient une telle histoire. Pour le dire autrement : les rumeurs ont l’air d’être fondées. N’est-il pas gênant, lorsque l’on aspire aux plus hautes fonctions de l’État, de mettre ainsi à mal l’indépendance d’un média, a fortiori de service public ? »
Face aux dénégations de Nicolas Sarkozy, « L’Émission politique » a alors abattu sa meilleure carte : Élise Lucet a soudainement fait son entrée sur le plateau, accompagnée de l’un des témoins cités par Le Canard enchaîné. Le piège s’est alors refermé sur l’ex-Président de la république, et l’honneur du journalisme et du service public a été sauvé.
Ou pas.
Nous avons malheureusement dû inventer ces séquences, puisqu’elles n’ont pas eu lieu. Les questions n’ont pas été posées et Élise Lucet n’est jamais intervenue sur le plateau [3]. Alors que certains commentateurs soulignent aujourd’hui que Nicolas Sarkozy aurait été « malmené », voire même « harcelé » au cours de « L’Émission politique », ce qui mérite d’être discuté, une chose est certaine : David Pujadas et Léa Salamé ont soigneusement évité d’interroger l’ex-chef de l’État à propos d’une « affaire » qui ne devrait pourtant laisser indifférent aucun journaliste en général, et aucun journaliste de France 2 en particulier.
***
Hommage donc à ces deux intervieweurs intransigeants qui, par leur silence assourdissant sur cette « affaire » de censure, nous rappellent à quel point la lutte pour une véritable indépendance des journalistes est plus que jamais d’actualité. Car si certains font honneur à leur profession en refusant de céder aux injonctions de leur hiérarchie et des pouvoirs économiques ou politiques, quitte à rester souvent dans l’ombre, d’autres sont prêts à tout pour conquérir ou conserver une place au soleil.
Julien Salingue
[1] Article publié dans l’édition datée du 7 septembre.
[2] Manuel Vicuña, « France télévisions : bras de fer en Field et Envoyé spécial », en ligne sur « Arrêt sur images ».
[3] Soulignons qu’en toute fin d’émission, l’humoriste Charline Vanhoenecker a (peut-être ?) évoqué le sujet dans sa chronique, faisant semblant de recevoir des consignes par l’intermédiaire d’une oreillette (« Attendez parce que j’ai Michel Field, le directeur de l’info dans l’oreillette. Oui Michel, je suis gentille avec Monsieur Sarkozy »), après avoir ironisé au sujet d’Élise Lucet, « placée en confinement au sous-sol, donc elle ne vous embêtera pas ». Une éventuelle allusion pour le moins allusive, reléguée dans une séquence humoristique, diffusée après 2h10 d’émission, et qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire ou d’aucune relance de la part des deux journalistes en plateau. Autant dire : rien.