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Le nazisme aurait-il été le même sans stupéfiants?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le journaliste allemand Norman Ohler a enquêté sur l'impact et les effets des drogues “officielles” du IIIe Reich.
Bien avant l'arrivée au pouvoir de Hitler, l'Allemagne était une «terre de drogues»: en 1919, le pays perdait ses territoires coloniaux et de facto les substances médicinales qu'on y trouvait. Cette carence dynamisa l'industrie pharmaceutique, qui ne tarda pas à développer des substituts et à s'imposer comme un leader mondial. Entre 1925 et 1930, l'Allemagne était le premier exportateur d'héroïne, produisant à elle seule 40% de la morphine mondiale.
Tout à leur obsession purificatrice, les nazis firent campagne, très tôt, contre des paradis artificiels assimilés à la décadence, produit de la démocratie vérolée par le «judéo-bolchevisme». L'appétit de drogues n'était pas tari pour autant: en 1938, les laboratoires Temmler lançaient, à grand renfort de publicité, une nouvelle méthamphétamine, la pervitine, un psychotrope surpuissant dont les créateurs dissimulaient les effets secondaires. Vendue comme un stimulant, la pervitine séduisit tout le monde: étudiants, ingénieurs, chercheurs, ouvriers, femmes au foyer, et surtout médecins comme pharmaciens, emballés par la disparition, douze heures durant, de tout signe de fatigue, agrémentée d'un effet coupe-faim et d'une allégresse totale.
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L'invasion de la Pologne sous méthamphétamine
« La consommation n'a pas été imposée, comme on pourrait s'y attendre pour une dictature, de haut en bas, mais s'est faite du bas vers le haut», souligne Norman Ohler. Dans cette période marquée par un rebond spectaculaire de l'économie et la renaissance du «Grand Reich», l'ambiance est au dépassement de soi. Résultat?«Echaudé par un cocktail mortel de propagande et de médicaments, le peuple sombre de plus en plus dans un état de dépendance», résume l'auteur. Une dépendance, certes, mais plurielle: sa substance principale n'est-elle pas le mirage du nazisme?
La puissante Wehrmacht estime bientôt que la pervitine est un produit «idéal pour le soldat». En dépit des alertes que lancent de rares spécialistes alarmés par l'état des étudiants ayant abusé des gélules miracles, elles seront employées à grande échelle: elles cadrent en effet à merveille avec le mythe nazi du guerrier aryen, insensible à la peur et à la douleur.
Premier théâtre d'expérimentation, l'invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939, s'est faite sous méthamphétamine: «Tout le monde est frais, joyeux, discipline excellente. On s'encourage, excitation. Pas d'accident. Effets durent longtemps. Voit double et avec couleurs après la 4e pilule», note un rapport de terrain. La «guerre éclair» lancée contre les troupes franco-britanniques, le 10 mai 1940, devait compenser l'infériorité numérique et matérielle des troupes nazies, dopées de surcroît par 35 millions de doses commandées aux usines Temmler.
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"Les Allemands couraient un peu partout"
Dans « l'Etrange Défaite », Marc Bloch témoignait : «Les Allemands couraient un peu partout, à travers les chemins.» Et pour cause: drogués jusqu'aux yeux, ils pouvaient se priver de sommeil plus de quarante-huit heures, peu manger et se sentir invincibles, comme le clamait la propagande de Goebbels. Les cas d'hypertension artérielle et les crises cardiaques inexpliquées n'érodent pas la confiance que témoigne à la pervitine Otto Ranke, médecin chargé d'évaluer son usage. Et pour cause: lui-même est accro au produit, officiellement considéré comme d'«importance stratégique». Au même moment, chez les civils, la consommation explose.
On le sait, l'invasion de l'URSS scella l'inversion du cours de la guerre. Aussi, la thèse que développe Norman Ohler crée un certain malaise: selon lui, la pervitine et le cocktail de substances que se faisait administrer Hitler seraient un facteur déterminant dans l'aveuglement du peuple nazifié et une explication solide des décisions parfois loufoques de leur Führer. Voilà qui revient à mésestimer la dimension particulière du nazisme, la personnalité du dictateur, et bien sûr la stratégie de ses ennemis.
Mais, comme le dit l'un des premiers détracteurs de la méthamphétamine, il est troublant de constater que l'«effondrement inévitable» constaté chez ses usagers frappa aussi le Reich, sevré de victoires et lancé dans une spirale d'autodestruction. Comme le souligne la postface signée par le regretté historien Hans Mommsen, le débat reste ouvert…
Maxime Laurent
L'Extase totale. Le III Reich, les Allemands et ladrogue,
par Norman Ohler, La Découverte, 256 p., 21 euros.