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Education : Vers une pédagogie émancipatrice critique

éducation

Lien publiée le 25 octobre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.alternativelibertaire.org/?Education-Vers-une-pedagogie

Les pédagogies libertaires ont désigné un ensemble de conceptions et de pratiques d’enseignement qui visent l’émancipation individuelle et collective. Pourtant, il est sans doute aujourd’hui nécessaire de donner un nouveau souffle à ce projet.

L’efficacité d’une technique n’est ni de droite ni de gauche... Dans le domaine de l’éducation comme ailleurs, l’histoire le montre. Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, des militants du mouvement anarchiste ouvrier se sont lancés dans le projet de renouveler l’éducation. Parmi ceux-là, on peut citer Paul Robin ou Sébastien Faure. Il s’agit de sortir d’un rapport au savoir vertical hérité de l’Église. Il faut au contraire s’inspirer de la méthode expérimentale scientifique pour promouvoir une pédagogie rationnelle. Célestin Freinet met en place, après la Première Guerre mondiale, une pédagogie d’inspiration conseilliste qui permettrait aux enfants du peuple d’acquérir les capacités d’autogérer les usines.

Ennemi commun

Mais ce projet progressiste n’est pas seulement partagé par des acteurs du mouvement ouvrier, mais également par des tenants de l’économie libérale. Ainsi à la fin du XIXe siècle, Herbert Spencer ou Edmond Demolins, par exemple, incarnent cette tendance. Mais il s’agit pour eux de former l’élite entrepreneuriale de demain. L’ennemi commun est une éducation traditionnelle et conservatrice. Il faut au contraire valoriser l’autonomie et l’esprit d’initiative. Le renouveau de l’éducation est également promu par des courants qui valorisent avant tout le développement personnel de l’individu-e. Ce sont par exemple les expériences pédagogiques ­d’Alexander Neil ou encore de Carl Rogers.

Ainsi, des ambiguïtés s’installent durablement, perdurant jusqu’à aujourd’hui. Le nouvel esprit du capitalisme utilise dans le cadre de la pédagogie entrepreneuriale les méthodes de Freinet, ou des méthodes proches, pour développer les nouvelles compétences managériales. La difficulté tient au fait que le capitalisme récupère tout ce qui est efficace en le dépouillant des intentions qui ont présidé à leur élaboration. Or il semble effectivement que les pédagogies nouvelles soient jugées fort efficaces pour apprendre le travail en équipe ou l’autonomie. Ce qui relève selon le discours managérial des « soft skills ».

Les méthodes d’éducation nouvelle sont traditionnellement combattues par les forces conservatrices : les « réac-publicains » comme les appelle Grégory Chambat. Elles sont défendues par des forces modernisatrices, attachées à l’autonomie individuelle, qui peuvent être libérales ou libertaires.

Dans les années 1960, Pierre Bourdieu met en avant que la pédagogie traditionnelle reproduit les inégalités sociales en reposant sur des implicites qui ne peuvent être maîtrisées que par les enfants des classes dominantes. Sous l’effet de la massification scolaire, les pratiques commencent à changer. Après la loi de Jospin de 1989, les IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) développent un discours favorable aux méthodes actives et constructivistes à l’école. Celles-ci restent dans les pratiques relativement limitées, mais elles ont davantage d’impact à l’école primaire. Plusieurs courants de la sociologie des inégalités scolaires s’intéressent à ces mises en pratiques. Ils observent que les méthodes nouvelles sont défavorables aux élèves de milieux populaires. En valorisant la recherche en autonomie, elles favorisent les élèves de classes moyennes qui ont déjà construit ces compétences dans leur milieu familial.

Il faut néanmoins remarquer qu’une étude, menée par Yves Reuter, dans une école Freinet en quartier populaire, montre que celle-ci obtient de bons résultats. Mais l’expérience peine à s’étendre car elle repose sur une école entièrement composée d’enseignants Freinet. Le GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle) sous l’impulsion de Jacques Bernardin tente pour sa part de prendre en compte les critiques soulevées en particulier par l’équipe des sociologues d’ESCOL.

Ainsi, si on résume le propos, il est possible de souligner deux points : le risque de reproduction des inégalités sociales et le risque de récupération par le capitalisme. Néanmoins, cette situation est-elle inextricable ?

Evaluation par compétences

Lorsque l’on compare le champ de la pédagogie dans le monde francophone, à d’autres espaces – anglo-saxon ou latino-américain »–, il est possible de constater qu’il ne se présente pas de la même manière. Il n’existe pas, en France, ce que l’on appelle à l’étranger « une pédagogie critique ». Le pédagogue critique étasunien Henry Giroux distingue trois courants : conservateur (traditionnel), libéral et critique. La pédagogie critique se distingue de la pédagogie libérale (ou éducation nouvelle) en ce qu’elle ne prône pas seulement une révolution des pratiques d’enseignement, mais une transformation politique de la société en prenant la pédagogie comme point de départ.

Ce qui est tout à fait spécifique à la France, c’est que les controverses sur les méthodes pédagogiques focalisent tout le débat au détriment des finalités. Cela conduit à ce que des individu-e-s qui ont pourtant des positions idéologiquement différentes se retrouvent à défendre les mêmes méthodes. Par exemple, des tenants du libéralisme économique et des pédagogues progressistes ont pu défendre l’introduction de l’évaluation par compétences.

C’est dans les années 1980 que se constituent, autour de la figure de Paulo Freire, les courants de la pédagogie critique. Ce qui caractérise cette approche, c’est l’idée que la pédagogie doit être orientée vers une remise en cause des inégalités sociales de classe, de sexe et de race. Les méthodes pédagogiques ne doivent donc pas être fétichisées pour elles-mêmes, mais subordonnées à cette finalité. Cela signifie qu’il ne peut y avoir de dogmatisme pédagogique, mais qu’il s’agit d’utiliser les moyens les plus appropriés pour parvenir à cette finalité.

Ce qui caractérise la pédagogie critique, ce n’est donc pas avant tout ses méthodes pédagogiques, mais le rapport au savoir qu’elle essaie de favoriser chez les apprenants et apprenantes, à savoir un rapport critique. C’est pourquoi, il ne peut être question de se limiter à une transmission verticale de savoirs. L’enseignant et l’enseignante doit créer les conditions de l’appropriation critique de ces savoirs par une pédagogie qui valorise le questionnement, le dialogue et la réflexivité.

L’école est un espace de lutte des classes

Les pédagogues critiques, comme Giroux, admettent que l’école est un instrument de reproduction sociale, mais ils ne l’y réduisent pas : l’école est un espace de la lutte des classes. De ce fait, les élèves ne sont pas passifs et peuvent également résister à la culture scolaire. Les enseignants peuvent subvertir l’ordre scolaire en menant une lutte contre-hégémonique au sein de leur classe. Les pédagogues critiques se sont en particulier intéressés à dévoiler aux apprenants et apprenantes les curricula cachés. Ce sont les règles scolaires implicites qu’apprennent à maîtriser les élèves des classes moyennes ou encore les stéréotypes sexistes qui sont véhiculés au sein de l’école. Ce sont également par exemple les présentations idéologiquement orientées dans les programmes scolaires.

Irène (amie d’AL)