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Isabelle Adjani : "On est en pleine ubérisation de la société"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans "Carole Matthieu", de Louis-Julien Petit, Isabelle Adjani interprète un médecin du travail confronté à la détresse de salariés victimes d'un management par la terreur. Un film-miroir de l'époque. L'actrice et son réalisateur racontent.
TéléObs. Vous avez acquis les droits du roman de Marin Ledun "les Visages écrasés" (Seuil), dont le téléfilm est adapté. Comment êtes-vous entrée dans ce projet ?
Isabelle Adjani. Grâce à Jean-Paul Lilienfeld, le réalisateur de "la Journée de la jupe", j'ai pu découvrir le roman de Marin Ledun. L'auteur a souhaité que je me l'approprie, il recherchait un metteur en scène passionné par le sujet du hard management pour lancer la production du film. Marin Ledun est à la fois écrivain et sociologue. Il a transposé dans son livre sa propre histoire de souffrance au travail. Cet ouvrage a été un tremplin pour la libre adaptation de Louis-Julien Petit.
Louis-Julien Petit. Quand nous nous sommes rencontrés avec Isabelle, l'urgence était de savoir ce qui se passait dans la tête de l'auteur sept ans après la parution des "Visages écrasés", où en était sa réflexion de sociologue au regard de l'actualité. Il nous a aidés à rencontrer des gens qui travaillent sur les plateaux de téléphonie pour essayer de comprendre cette problématique post-orwellienne : aujourd'hui, il ne s'agit plus de "Big Brother is watching you" mais de "Big Brother is listening to you" .
Ces pratiques managériales dépassent-elles le monde du travail ?
I. A. - On est en pleine ubérisation de la société... Que vous preniez un taxi, que vous achetiez un téléphone ou que vous payiez votre facture EDF, on vous envoie des enquêtes de satisfaction pour que vous notiez le service. Vous devenez le boss de l'autre, le dominant. C'est terrorisant car cela s'applique à des travailleurs ! Il s'agit de personnes qui ont le besoin impérieux de garder leur travail. On met le consommateur dans la position d'un délateur. Et le pompon, dans certains domaines, c'est de créer un leurre démago du côté du dominé en lui permettant à son tour de noter le client. Sous un prétexte égalitaire, on crée une culture de l'anonymat et de la délation.
L.-J. P. - On s'habitue à être filmés et écoutés tout le temps. On est constamment sollicités par des enquêtes de satisfaction qui nous donnent l'illusion, planqués derrière notre téléphone, d'être tout-puissants par rapport à la personne qui est à notre service. Ce film est comme le combat de Carole : une alerte collective sur ce système. Il est presque une incarnation du monde des invisibles, ceux qu'on a au bout du fil mais qu'on ne voit jamais. J'espère qu'il amènera les gens à réfléchir à cette entreprise de déshumanisation. Chacun participe à ce système, à la fois victime et bourreau, et n'arrive plus à sortir de ces rôles.
Au sein de l'entreprise Melidem, on devine le désir de certains salariés d'être reconnus à tout prix…
L.-J. P. - Dans le genre humain, il y a toujours un rapport presque animal avec la meute, l'envie d'être accepté par elle. Je me suis intéressé aux rites néosectaires et aucorporate : comment on doit s'exprimer pour être intégré au groupe, comment on s'habille (tous pareil) pour un nom, pour soutenir une marque. On est soit adoubé, soit rejeté.
Vous avez enquêté sur le sujet ?
L.-J. P. - Je me suis rendu sur des plateaux de téléconseil à Bordeaux et au Havre, dans des entreprises qui ont bien voulu me laisser l'accès, donc ce que j'y ai vu est parfois en dessous de réalités encore plus dures. Je sais, par exemple, qu'il existe un logiciel de capture d'écran destiné à photographier les téléconseillers pendant leur travail pour voir s'ils sourient… C'était impossible de mettre ça dans le film, on n'aurait pas voulu le croire ! Les téléconseillers sont des « acteurs de production » : ils lisent des scripts, ils jouent un rôle. Ils sont écoutés par le manager, lui-même écouté par un chef de plateau, lui-même écouté par le service qualité… Comment lutter contre ça ?
Le film a été montré dans plusieurs festivals. Quelles ont été les réactions ?
L.-J. P. - Le film sera diffusé le 18 novembre sur Arte, puis au cinéma le 7 décembre. La sortie en salle est très importante socialement car elle libère la parole. Après certaines projections, nous avons reçu des témoignages bouleversants comme celui d'une inspectrice du travail à Angoulême qui s'est exclamée : "C'est exactement ça !" Les médecins du travail sont embarqués dans une logique de rentabilité, ils ne doivent pas dépasser quinze minutes par patient. Leur rôle est essentiellement préventif, ils sont frustrés de ne pas avoir de relation plus poussée avec leurs patients. Ils sont comme un point de rencontre, à la fois très proches des salariés et impuissants face à leur détresse. C'est le cas de Carole Matthieu, elle en fait son combat et se retrouve dans un altruisme complètement autodestructeur.
Comme dans "la Journée de la jupe", vous incarnez une femme forte de ses convictions mais aussi très fragile, un personnage ordinaire qui va se retrouver dans une situation extraordinaire…
I. A. - Carole a abandonné son travail de généraliste pour ce poste de médecin du travail. Elle explique à sa fille, inquiète après le suicide d'un salarié de Melidem, que son travail a du sens et que les gens ont besoin d'elle. Elle a des convictions, intellectuelles et humanistes, et une grande fragilité psychique due à la fatigue d'un combat qui semble perdu d'avance. Comme les gens qui essaient de croire à ce qu'ils font malgré le mal-être qui résulte de ce qu'on leur inflige, dans un monde qui ne laisse plus la possibilité de se poser les bonnes questions : est-ce que mon travail me reflète, est-ce que je suis bien dans ma vie, etc. ? Les gens cachent souvent leur désarroi car se plaindre, ce serait aller vers la perte de ses ressources, de son emploi, et vers le licenciement.
Alors, bien sûr, on trouve une multitude de livres qui proposent de chercher le bonheur, de le trouver, de vivre mieux, etc. Cela me fait sourire… Mais il y a aussi des gens comme Alexandre Jardin et ses "faiseurs" qui œuvrent à un changement par les citoyens pour les citoyens. Ils proposent des solutions alternatives dans tous les domaines, de l'agriculture à l'éducation, pour faire face au système aliénant. Sur le terrain, c'est drôlement convaincant ! Avec sa bonne humeur indéfectible, il mène ce mouvement utopiste et visionnaire et propose des réponses non pas comme un « dominant » mais en redonnant un sens au mot "démocratie".
"Carole Matthieu" est un thriller social. C'est un film engagé ?
L.-J. P. - Il y a urgence à parler de la déshumanisation. On me demande souvent si je suis militant. Pour moi, faire un film, c'est un acte militant. Nos films parlent pour nous. C'est pour cette raison également que nous avons souhaité une sortie en salle, pour le partager, pour lancer le débat. Le cinéma est une force médiatique qui permet d'aborder les problèmes de société en résonance avec l'actualité. Peu importe le genre. "Discount", que j'ai réalisé l'an dernier, était une comédie sociale. Elle est sortie alors que le projet de loi contre le gaspillage des invendus alimentaires était en discussion. On a tourné "Carole Matthieu" en plein débat sur la reconnaissance du burn-out comme maladie.
I. A. - Le cinéma sert à ça : à s'évader ou à se retrouver. Les gens ont envie d'entendre parler d'eux. C'est un cinéma de service au sens noble. Nous avons de grands réalisateurs français qui s'engagent à l'instar des Ken Loach ou Jim Sheridan. Qu'on continue de me parler de "la Journée de la jupe"… Ouf ! Ce n'est pas qu'un produit de consommation disparu avec les déchets, ce film a encore du sens…
L.-J. P. - Cet intérêt du public s'est manifesté avec l'incroyable succès de "Merci patron !"…
Quels autres sujets de société vous tiennent particulièrement à cœur ?
I. A. - Hier, je regardais à la télévision la mise en scène du départ des migrants de Calais. Une journaliste nous montrait leur parcours entre les barrières jusqu'aux salles d'où ils seraient orientés… Avec, en arrière-plan, un message subliminal : "on va bien les traiter, ne vous inquiétez pas, regardez comme tout est bien organisé". Cela avait un effet désagréablement "concentrationnaire". C'était flippant !
L.-J. P. - Il y a une guerre souterraine entre les migrants - ou plutôt les "réfugiés" car ils fuient un pays en guerre - et les SDF. J'ai entendu pas mal d'horreurs. Les SDF estiment qu'on s'occupe plus des réfugiés que d'eux, c'est du pain bénit pour le Front national. On est très en retard, regardez "Welcome", de Philippe Lioret, avec Vincent Lindon, c'était il y a plus de dix ans et depuis, rien n'a changé…
Quels sont vos projets ?
L.-J. P. - Je travaille sur la réinsertion dans la société des femmes en grande difficulté face aux lenteurs de l'administration : des prostituées, des sans-abri ou libérées de prison. Et sur les flux migratoires des sans domicile fixe, comment on les déplace de centre en centre.
I. A. - Il faut continuer à croire que ça a du sens de faire un film. On a la conviction de le faire pour le livrer aux spectateurs qui, eux, en feront quelque chose.
Propos recueillis par Anne Sogno