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Transparence sur l’ISF : les données qui manquent au débat démocratique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les chiffres précis sur la répartition de l’impôt sur la fortune ne sont pas accessibles en ligne, un manquement dommageable, notamment sur la question de l’évasion fiscale.
C’est un impôt que tout le monde connaît, au moins de nom. L’ISF, pour impôt sur la fortune, touche environ 330 000 foyers français et rapporte près de 5 milliards d’euros par an. Il fait beaucoup parler de lui (presque tous les candidats à la primaire de la droite voulaient le supprimer). Mais, dans le détail, il reste mal connu en raison d’une opacité cultivée par Bercy.
Le ministère des finances ne délivre en effet les informations qu’au compte-gouttes concernant les personnes assujetties. D’une part parce que l’anonymat des données fiscales reste un principe admis dans presque tous les pays – mais discuté : l’économiste Gabriel Zucman défend ainsi au contraire l’idée d’un cadastre financier mondial comprenant immobilier, actions, obligations, parts de fonds d’investissement… D’autre part, parce que l’administration cultive un secret étonnant sur ces chiffres.
Etonnant à plusieurs titres. Déjà, il ne s’applique qu’aux « riches » : par exemple, l’impôt sur le revenu répond à une transparence bien plus exigeante. On connaît les contingents de ménages payant les différentes tranches d’impôt sur le revenu : on apprend ainsi que plus de 700 000 foyers français avaient (en 2014) un revenu fiscal de référence de plus de 100 000 euros, et plus de 100 foyers déclaraient au-dessus de 9 millions d’euros.
Appauvrissement de l’information statistique
Ensuite, parce que de tels chiffres permettraient de mesurer l’évolution des inégalités de patrimoine, surtout depuis la crise. « Contrairement à la pratique appliquée pour l’impôt sur le revenu chaque année depuis 1915, l’administration fiscale n’a jamais pris l’habitude de publier des tabulations annuelles indiquant les nombres de contribuables par tranches de patrimoines imposables (patrimoines compris entre 1 et 2 millions, 2 et 3 millions, etc.) », regrette l’économiste Thomas Piketty (qui dispose par ailleurs d’un blog sur LeMonde.fr).
Ce type de tabulations fiscales existe depuis plus d’un siècle (1915 pour les revenus) et l’on assiste paradoxalement à un véritable appauvrissement de l’information statistique disponible au cours de la période récente. Un appauvrissement qui tient peut-être plus à un manque d’effectifs qu’à une volonté de dissimulation.
N’empêche que ce manque de transparence est dommageable au débat politique, « alors même que la question de l’ISF va être l’une des questions importantes en 2017, entre les candidats à la présidentielle », estime l’économiste. Ce dernier va même jusqu’à pointer une « culture du secret » :
« Dans le fond, la technostructure Bercy (comme d’ailleurs Sapin, Hollande, etc.) n’a jamais aimé l’ISF et l’idée de transparence sur les hauts patrimoines qui va avec. Plus généralement, Bercy comme le monde politique s’enferment dans une culture du secret, en s’imaginant sans doute que c’est une façon depréserver le pouvoir, et ne savent pas comment sortir de cet engrenage : moins on publie de données, plus on prend peur que la moindre donnée nouvelle soit interprétée d’une façon qui ne leur convient pas, moins on en publie, etc. »
Au crédit de Bercy, il faut toutefois reconnaître que des données sont disponibles sur la répartition géographique des foyers assujettis à l’ISF : la Direction générale des finances publiques (DGFIP) rend ainsi certaines données disponibles, comme le nombre de redevables par villes, ainsi que le patrimoine et l’impôt moyens. La dernière mise à jour permet d’obtenir des chiffres sur 2014.
Des données précieuses
L’intérêt de la ventilation par tranche, si elle était disponible de façon régulière et non par morceaux épars dans des rapports divers et variés, serait de pouvoir parler d’un sujet connexe : l’évasion fiscale. On retrouve ainsi, dans le rapport parlementaire consacré à l’évasion fiscale en 2014, une ventilation des tranches d’imposition (moins d’1,8 million, entre 1,8 et 2,6, entre 2,6 et 4 millions, etc.). Ce qui, couplé avec des données anonymisées portant sur 568 redevables de l’ISF ayant quitté la France en 2012, permet de montrer que « plus de 60 % de l’actif imposable est détenu par 20 % » de ces redevables de l’ISF expatriés.
En clair, ils sont très peu à concentrer beaucoup ; même chez les ultra-riches, l’inégalité règne. Autre « trou » dans la collection des données fiscales : l’administration fiscale n’a pas réalisé d’enquête sur les successions et donations depuis 2010 (enquêtes connues sous le nom de « mutations à titre gratuit », qui existent depuis 1902).
« En clair, la DGFIP elle-même n’a plus aucune base de données statistiques sur le montant des héritages, les taux d’imposition, le nombre de successions par lien de parenté. Et ce alors que les recettes fiscales sont passées de 7,5 milliards en 2009 à 12,3 milliards en 2015 », explique Clément Dherbécourt, économiste à France Stratégie et qui a pointé cette lacune auprès de l’administration dans un rapport rendu public en janvier. La difficulté pour obtenir un accès à ces données illustre bien le lent travail à l’œuvre dans ce qu’il est devenu commun d’appeler l’« open data », l’ouverture des données.
ISF : pourquoi nous demandons l’accès à certaines données qui devraient être publiques
L’ISF, pour « impôt de solidarité sur la fortune », touche environ 330 000 foyers français et rapporte près de 5 milliards d’euros par an. Problème : contrairement à l’impôt sur le revenu, nous ne savons pas comment il se répartit (patrimoines compris entre 1 et 2 millions, 2 et 3 millions, 3 et 5 millions…). Cela pose un autre souci : celui de la transparence et de la possibilité d’un débat public sur cet impôt controversé, notamment dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’évasion fiscale.
Constatant donc un problème d’accès aux statistiques de l’ISF par tranches de patrimoines, nous avons décidé d’interpeller les autorités administratives qui les détiennent (la direction générale des finances publiques à Bercy) et les politiques habilités à recevoir cette information et qui peuvent ensuite décider de les rendre publics – sans les informations personnelles bien entendu (nom, adresse, etc.). Cela concerne notamment la commission des finances de l’Assemblée nationale, et sa présidente actuelle, Valérie Rabault (députée PS du Tarn-et-Garonne).