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La lente agonie de l’extrême gauche française
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Figaro
ENQUÊTE - NPA, Lutte ouvrière, deux partis trotskistes rompus aux campagnes présidentielles depuis plus de quarante ans, pourraient ne pas avoir de candidat le 23 avril. La montée en puissance de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon n'explique pas cette fin de cycle entamée il y a une dizaine d'années.
Poing levé ou point final à la lutte révolutionnaire? Alors que Jean-Luc Mélenchon ne chante plus L'Internationale à la fin des meetings de La France insoumise, va-t-on aussi assister à l'extinction des voix trotskistes ou néotrotskistes à la présidentielle? Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), l'héritier de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), est ouvertement à l'agonie politique. Les observateurs ne lui donnent pas quelques semaines pour en finir avec cette élection présidentielle. Son parti n'a réuni que la moitié des 500 signatures d'élus exigées.
La fin d'un cycle qui aura duré près de quarante ans
L'évolution des règles de parrainage au Conseil constitutionnel est invoquée, avec, entre autres nouveautés, la disparition de l'anonymat partiel des élus signataires. La réforme des collectivités territoriales est aussi mise en cause. Les exécutifs locaux exerceraient une pression politique et financière sur les «petits» élus. Mais le problème est plus profond. Certes, Lutte ouvrière (LO) et ses 8000 adhérents revendiqués pourraient parvenir à se présenter. La quête des signatures est, en effet, leur spécialité. Et rien n'arrête ces moines soldats. Mais quel avenir pour Nathalie Arthaud, qui n'a obtenu que 0,56 % des voix en 2012? Pour l'extrême gauche, c'est la fin d'un cycle qui aura duré près de quarante ans…
«Nous étions à la tête d'une véritable armée privée.» Henri Weber ne plaisante pas. C'était au début des années 1970. L'ancien sénateur PS, proche de Laurent Fabius, était le compagnon de route d'Alain Krivine à la LCR. Les batailles de rue, il les a bien connues. Elles étaient autrement plus toniques et maîtrisées que celles observées durant les manifestations contre la loi travail au printemps 2016. Il suffit, pour s'en convaincre, de revoir le documentaire de Romain Goupil: Mourir à trente ans , qui prend pour toile de fond les événements du 21 juin 1973. Ce jour-là, la petite «armée privée» de jeunes trotskistes, casquée, bâtons ou cocktails Molotov à la main, veut en découdre. Les ennemis d'Ordre nouveau, un groupuscule d'extrême droite, sont en ligne de mire. L'État aussi, bien entendu. Près de cent policiers sont blessés. Juin 1973, c'est aussi le début des luttes sociales chez Lip, à Besançon. Et en avril de la même année, 500.000 lycéens et jeunes étaient aussi descendus dans la rue contre la suppression des sursis militaires décidée par la loi Debré. La Ligue diffuse l'antimilitarisme. L'ambiance est insurrectionnelle.
«Travailleuses, travailleurs!»
Dans ces temps que certains jugeaient «prérévolutionnaires», tout est bon à l'extrême gauche pour se faire entendre. Y compris de la plus curieuse des manières pour ces adeptes de la révolution: se présenter à la présidentielle. Quelques années plus tôt, Alain Krivine, alors soldat de 2e classe affecté dans l'est de la France, est le premier à franchir le cap en 1969. Résultat: 239.106 bulletins dans l'urne, soit 1,06 % des voix. Un début… Les camarades de LO, déjà concurrents, sinon ennemis, comme le sont généralement entre eux les courants trotskistes, regardent avec intérêt cette candidature et se lancent à leur tour dans la bataille. Véritable prolétaire, contrairement à l'intellectuel Alain Krivine, Arlette Laguiller trouve ses mots dès 1974. «Travailleuses, travailleurs!» L'introduction à ses interventions devient une marque de fabrique et va ponctuer ses campagnes présidentielles pendant plus de trente ans. Jusqu'à faire de cette candidature une sorte de monument national. Alain Souchon chantera même en 1993 ses louanges dans une chanson au titre éponyme.
Aux présidentielles de 2002 et 2007, le charismatique Olivier Besancenot réveille la LCR et obtient 4,25 %, puis 4,08 % des voix. Arlette Laguiller, de son côté, grimpe jusqu'à 5,30 % et 5,72 % en 1995 et 2002. Le vase de l'extrême gauche se remplit à mesure que celui du PCF se vide. Pourtant, LO ne saura rien tirer de ces scores encourageants, sauf des divisions internes. Pour eux, le seul intérêt de la présidentielle est la fenêtre militante et médiatique destinée à faire passer un message. Le pouvoir façon Ve République, ils n'en veulent pas.
«Il n'y avait aucune synthèse possible entre un Olivier Besancenot vu à la télévision, sympathique postier pédagogique, et le même Besancenot militant de la LCR ayant choisi Lucien Beretta comme “pseudo ”, en référence à une marque de pistolet»
Une figure proche du Parti communiste français
La LCR, au contraire, cherche à ouvrir son horizon. Ce sera la création du NPA en 2009. Il faut moderniser et rassembler. On abandonne donc le trotskisme. Le parti révolutionnaire n'est plus qu'anticapitaliste, et la révolution se dissout dans une transformation de la société. Une sorte de Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, avant l'heure.
La sauce, pourtant, ne prend pas. «Au bout de trois ans, leur sectarisme les a tués», note la communiste Marie-Pierre Vieu. Une autre figure proche du PCF est plus directe encore: «Ils sont mort-nés. Il n'y avait aucune synthèse possible entre un Olivier Besancenot vu à la télévision, sympathique postier pédagogique, très gauche radicale grand angle, et le même Besancenot militant de la LCR ayant choisi Lucien Beretta comme “pseudo ”, en référence à une marque de pistolet.» Très vite, le Front de gauche unissant les communistes à Jean-Luc Mélenchon et d'autres anciens du NPA va occuper l'espace puis absorber le potentiel électoral relativement stable à la présidentielle de 2012…
«Des immigrés me disent que les seuls candidats valables, ce sont le postier et Marine (...) C'est la montée des nationalismes du type Brexit»
Alain Krivine
Ni Poutou au NPA, ni Arthaud à LO ne parviendront à relever le gant cette année-là. Au siège du NPA, à Montreuil, Alain Krivine, 75 ans, continue pourtant à militer. Inlassablement, malgré l'âge et la fatigue. Dans son petit bureau où les plantes vertes respirent de santé, il écoute de la grande musique et regrette d'être le seul à aimer le classique dans son parti. Pas désespéré, plutôt lucide. «Si nous n'avons pas nos signatures, dit-il, certains voteront LO, d'autres voteront blanc.» Quant à Jean-Luc Mélenchon, «il n'a pas franchement la cote chez nous. Sur Poutine et sur Assad, il n'est pas clair. Il est trop perso aussi. Trop laïque et nationaliste. C'est son genre franc-maçon. Je le dis, car il le reconnaît lui-même.»
La chute du NPA, même s'il ne l'admet pas comme telle, est liée selon lui à l'évolution de la société. «Aujourd'hui, le chacun pour soi domine la gauche. Il n'y a plus de mouvement d'ensemble», affirme Krivine. Dans son département de Seine-Saint-Denis, raconte-t-il, «des immigrés me disent que les seuls candidats valables, ce sont le postier (Olivier Besancenot, NDLR) et Marine. Ils jurent ne pas être racistes, mais quand même, ils n'aiment pas les Roms… En période de crise, chacun cherche son ennemi. C'est la montée des nationalismes du type Brexit…»
«Minuit moins cinq»
Alain Krivine observe aussi avec une certaine attention «les nombreuses mobilisations sectorielles anticapitalistes, très locales» de type ZAD, acronyme de zone à défendre. «Ce sont, dit-il, des mouvements très durs et radicaux qui dépassent souvent les organisations officielles, politiques et syndicales.» Dans son histoire, le fondateur de la LCR reconnaît pourtant des liens avec le groupe Action directe. Mais il l'affirme: «S'il n'y a pas eu en France de violence comme en Allemagne et en Italie, c'est bien parce que la LCR a su canaliser cette violence.» Voudrait-il faire regretter au ministère de l'Intérieur le déclin du NPA alors même que l'on observe le retour des autonomes? Ils étaient des centaines à Paris lors du défilé du 14 juin contre la loi travail. Particulièrement visibles et violents.
Chez LO, le frère ennemi du trotskisme, Nathalie Arthaud balaie ce regain des autonomes d'un revers de main. «Il y en a toujours eu et de bien plus bouillonnants. Tout le monde a la mémoire courte.» Mais quels partis aujourd'hui pour absorber cette violence, quels services d'ordre de quels syndicats, eux aussi en perte de vitesse?
«Les mouvances trotskistes ont perdu la main dans les mobilisations sociales. LO continue de faire comme si de rien n'était, mais l'extrême gauche classique est épuisée»
Pierre-François Grond, soutien de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle
Ex-bras droit d'Olivier Besancenot à la LCR, puis au NPA, et aujourd'hui soutien de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle au sein du mouvement Ensemble, Pierre-François Grond observe que «pour la première fois, les mouvances trotskistes ont perdu la main dans les mobilisations sociales. LO continue de faire comme si de rien n'était, mais l'extrême gauche classique est épuisée». Et, selon lui, «les mouvances anarchoïdes autonomes qui renaissent poussent le discours anti-institution jusqu'au bout en se moquant de la politique. Ils placent LO et le NPA devant leur incohérence: participer aux élections tout en rejetant le système politique…» Des jeunes «qui n'ont plus besoin des partis et des syndicats pour se former ni pour communiquer et inventent une nouvelle façon de faire de la politique».
Le paysage radical se recompose, donc, à gauche, avec la fin du NPA et de LO, le déclin du PCF, la crise chez les écologistes et la mutation possible au PS avec la victoire de Benoît Hamon à la primaire. Sans parler de l'après Jean-Luc Mélenchon, qui se jouera selon son score à la présidentielle. «On tâtonne», reconnaît Pierre-François Grond, conscient du «rejet des partis» au sein d'une gauche qui se qualifie de «citoyenne». L'économiste Frédéric Lordon, au discours très radical, a séduit les participants du mouvement Nuit debout au printemps.
Dans la dernière livraison de la revue Charles, il prévient: «Le sentiment de scandale général est trop fort… Ce système est mort et les gens qui s'y agitent sont des morts-vivants. On voudrait leur dire de faire attention tout de même, parce qu'il est minuit moins cinq. Il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait des éruptions de violence.» Lordon pourrait-il devenir une figure politique du rassemblement? Un ténor de la gauche radicale ironise. «C'est de la radicalité académique et universitaire qui cherche à entrer en résonance avec les mouvements de la société. Mais cela ne fait pas une stratégie politique faite de rapports de force…» Un autre ajoute, «il est comme Louis Althusser dans les années 1970, il fascine les amphithéâtres. Mais la raideur stalinienne, ça ne fait pas de bonne politique».