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Emmanuel Toula, au feu, le héros

Lien publiée le 28 février 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/france/2017/02/27/emmanuel-toula-au-feu-le-heros_1551426

Cet ado, très intéressé par la politique, a sauvé une enfant dans une voiture en feu lors de la manif pour Théo. Sans se la raconter.

Un groupe de filles le voit dans la rue et crie son prénom, comme dans les documentaires sur les crooners. «Emmannueeeeel.» Il baisse la tête, lève le pouce et se tourne vers nous : «Tout ça, ce n’est pas trop pour moi.» Il se marre quand même. Sur Facebook, des profs de Sciences-Po et des filles l’ont contacté. Il dit «adultes», «le monsieur», «la dame» et vouvoie juste après avoir tutoyé dans la même phrase. Explique que plus tard, il aimerait faire de l’audit, après avoir pensé au droit pénal. On a rencontré un ado de 16 ans, à qui des médias posent des questions de grands depuis une dizaine de jours.

Le samedi 11 février, Emmanuel Toula participe à un rassemblement de soutien pour Théo, organisé à Bobigny. Alors que celui-ci dégénère, une gamine se retrouve coincée dans une voiture qui menace de prendre feu. Il la sort de là. Quelques heures plus tard, la préfecture de police évoque le sauvetage en l’attribuant à des CRS. Tandis que des médias relaient, des militants présents à la manif se fâchent sur Twitter sur le mode «les policiers vous baratinent, les lauriers reviennent à un petit gars». Le soir même, le héros poste un message sur Facebook pour sortir de l’anonymat : «J’allais brûler vif, j’ai risqué ma putain de vie pour sauver la petite.» Son témoignage devient tellement viral que la police se résout à rattraper le coup dès le lendemain matin, admettant que tout le mérite revient à un jeune homme.

Sur son portable, Emmanuel Toula nous montre des conversations sur Snapchat avec ses potes. Il tente de les convaincre d’aller à la mobilisation du 11 février, eux lui répondent que c’est peine perdue. Résumé de la pensée majoritaire : à part se faire gazer par les flics, il n’y a rien à gagner. «C’est malheureux, mais la vie citoyenne ne fait pas partie de leur réalité, alors que cette jeunesse est capable de grandes choses. Si je m’étais pris une matraque dans les fesses, j’aurais voulu être soutenu.» Quand il rentre de la manif, sa mère lui passe un savon. A cause de la peur qu’il lui arrive une grosse galère, mais pas que. «Pour mes parents, immigrés, manifester n’est pas quelque chose de naturel. Ils n’aiment pas faire de remous.» Elle ne prendra la mesure de son histoire de sauvetage qu’après avoir jeté un coup d’œil sur les réseaux sociaux, où le nom de son fils commence à clignoter partout. Sur Twitter, le jeune homme a remercié la préfecture de police juste après son correctif : «Bravo à vous pour le rétablissement de la vérité messieurs, God bless you.» Deux fonctionnaires sont passés chez lui pour le féliciter.

A la maison, Emmanuel Toula, lycéen en première STMG, débat souvent avec son père. De Le Pen, Fillon ou Macron, du profil des électeurs et des militants des différents partis. Il ne peut pas voter, mais un candidat l’intéresse plus que les autres : Macron. En république démocratique du Congo, ses grands-parents étaient militants politiques. Lui y voit un héritage. «Même avant cette histoire, des gens autour de moi me disaient que j’avais des facilités à exprimer des avis très tranchés.»Chose faite le 23 février, où il met en ligne une tribune : «Il est temps de redorer le blason de cette jeunesse malmenée, décriée, décrédibilisée. Il est temps pour chacun d’entre nous d’écrire le destin socio-économique de la cinquième puissance mondiale.» Sur sa démarche, il explique :«Dans la semaine, on a débattu de politique en cours de français. J’ai remarqué à quel point on était très peu à s’y intéresser. C’est comme ça qu’ils arrivent à faire passer des lois sans qu’on se rende compte.»

Drôle d’ado, qui maudit la télé-réalité en évoquant des biographies d’hommes politiques. A dire vrai, si nous ne l’avions pas croisé dix jours à peine après son histoire, on aurait cru que quelqu’un l’avait briefé. Même pas : il est juste détendu, à la coule. Sur la manif de Bobigny, Emmanuel Toula décrit une mobilisation pacifique partie en vrille sans trop savoir pourquoi. «Une voiture de RTL s’est mise à brûler, j’ai eu un gros coup de chaud.» Alors qu’il essaye de filer, il remarque une«citadine grise, peut-être une 206» encerclée et secouée par des manifestants, avec un enfant à l’intérieur. «La maman est sortie de la voiture avec son bébé dans les bras, en demandant à sa fille de la suivre. Dans la confusion, elle pensait que sa petite était juste derrière. Le temps de se rendre compte que non…» Le gaz lacrymogène, le monde, le flip, les mains qui tremblent. Il résume ça en un mot : «Le merdier.» Il tourne en rond avec la petite plus de trois quarts d’heure. Entre-temps, il joue les nounous dans un parc, trouve du lait pour se frotter les yeux irrités par le gaz lacrymo et parlemente avec des policiers pour passer les cordons de sécurité, histoire de retrouver la maman. «Ils ne voulaient rien savoir, ça devenait très tendu.» Deux militants finissent par prendre en main la petite, avant de la confier aux forces de l’ordre. Avec un autre jeune, il continue de rechercher la mère en solo. En vain. Il finit par rentrer chez lui. Dans le contexte, il n’est plus un héros, plutôt une contre-enquête à lui tout seul.

Emmanuel Toula est né à Saint-Denis. Un ado très long, avec un petit air de Paul Pogba, qui reconstitue son aventure avec une tasse de café et un sachet de sucre. Qui raconte avoir reçu un accueil de dingue au lycée, avec un mot du proviseur. «Je sais, c’est stéréotypé ce que je vous dis… je ne suis pas un héros.» Quand il a 6 ans, ses parents, tous deux ouvriers, emménagent à Clichy-la-Garenne, d’où sa famille ne bougera pas. «Ils sont devenus plus sensibles à la question des violences policières depuis ce qui s’est passé à Bobigny. Je ne suis plus le seul à en parler à la maison.»Il joue au foot à Boulogne-Billancourt, même si Osgood, une maladie de croissance du genou, lui fait des misères. Parle pêle-mêle de Zyed et Bouna, Ibrahim Ali, Ilan Halimi et Adama Traoré.«Ils sont morts dans des circonstances différentes, mais ça pourrait être n’importe qui d’entre nous. Depuis l’affaire Traoré, je savais que je devrais sortir de mon petit confort.»

La famille de la gamine qu’il a sauvée l’a contacté deux jours plus tard. Elle voulait l’inviter à l’anniversaire de la petite. Il n’a pas pu y aller. «A cause des sollicitations médiatiques, j’étais sous l’eau. Mais je tiens à passer.» Parmi ses gimmicks préférés : «Je préfère laisser retomber le buzz.» On est resté un peu en bas de chez lui lors de la séance photo. Un petit immeuble dans une rue introuvable, pas loin de grandes barres de béton. Une fois la nuit tombée, son petit frère a passé sa tête par la fenêtre. Il a besoin d’aide pour les devoirs. «Monte, Emmannueeeeel.»

18 juillet 2000 Naissance à Saint-Denis. 11 février 2017 Sauvetage d’une petite fille à Bobigny.