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Husson - Assurance chômage : une voie punitive inefficace
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Quand on lui demande comment il pense s’attaquer au problème du chômage, Emmanuel Macron répond avec ces mots : « investissements, formation professionnelle, baisse des charges et réforme du marché du travail » (Les Échos, 23 février 2017). C’est donc clairement un projet sous-tendu par la pensée magique des réformes structurelles et par un optimisme à la Schumpeter (vive la destruction créatrice !) que Patrick Artus a très bien résumé (l’Opinion, 11 avril 2017) : « Macron pense qu’en France on empêche les mauvais emplois de se transformer en bons emplois. Il faut donc lever les obstacles : les barrières à l’entrée, les rentes, la fiscalité qui décourage l’investissement ». Grâce à ces « réformes structurelles », le taux de chômage devrait donc redescendre à 7 % en 2022. Mais en attendant Macron propose une réforme profonde de l’indemnisation du chômage qui pose deux grandes questions à laquelle il n’a pas jusqu’à présent apporté de réponses claires.
Accompagnement ou « activation » ?
Emmanuel Macron propose que l’assurance-chômage devienne universelle, en l’ouvrant aux salariés démissionnaires ainsi qu’aux indépendants, aux professions libérales et aux entrepreneurs. On peut y voir un louable souci de justice et d’égalité.
Le nouveau président insiste en même temps sur l’accompagnement des chômeurs et sur la formation. Sur ce dernier point, on peut être sceptique, dans la mesure où il n’est pas possible de considérer que les millions de chômeurs sont tous dépourvus de qualification. Le chômage est un phénomène de file d’attente, ou un jeu de chaises musicales, comme le montre la chercheuse Ioana Marinescu (Libération, 4 mai 2017) qui invoque une étude sur la France et sa propre étude sur les États-unis. Bref, on peut modifier la place des individus dans la file, sans forcément la raccourcir.
Mais admettons qu’un meilleur ciblage des actions de formation permette de rétablir un peu d’égalité des chances et de réduire le chômage de longue durée. Reste la disposition selon laquelle les allocations seraient supprimées si le chômeur refuse deux emplois décents ou si sa recherche d’emploi est insuffisante : « au troisième, je suis en droit de vous enlever l’indemnisation, puisque manifestement vous ne voulez pas travailler. Là, j’assume totalement. Il faut faire un contrôle. Ça tordra le coup à cette idée qu’il y a des gens qui profitent du système » expliquait Macron sur Mediapart le 5 mai dernier. Mais s’il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle il y a des gens qui profitent du système, c’est qu’elle est fausse, et pourquoi alors lui donner tant d’importance ?
Des actions punitives à l’efficacité douteuse
On peut en outre émettre de très sérieux doutes quant à l’efficacité des mesures punitives, comme le montre encore Ioana Marinescu, déjà citée. Cette économiste qui travaille à l’Université de Chicago et au NBER ne peut pourtant être soupçonnée de « laxisme » puisque, dans une chronique résumant ses travaux, elle calculait qu’un allongement de 10 % de la durée d’indemnisation conduit à une baisse de 1 % dans le nombre de demandes d’emploi déposées et souligne que « les chômeurs semblent effectivement chercher moins activement quand la durée d’indemnisation augmente ».
En dépit de ce constat, elle demande de faire « attention aux effets pervers » de telles mesures dans une autre tribune (Libération, 3 avril 2017) où elle convoque trois études qui montrent que « le renforcement du contrôle de la recherche d’emploi reste pour le moins contre-productif ». L’évaluation de trois expériences de renforcement du contrôle des chômeurs (Maryland aux États-unis, Pays-Bas et Royaume-Uni) conduit à ce résultat : « les chômeurs n’ont pas retrouvé d’emploi plus rapidement ».
L’étude sur le Maryland montre qu’une partie des individus concernés par le dispositif a été découragée et s’est retirée du marché du travail ou bien s’est reportée sur les allocations pour handicapés : « le retour à l’emploi n’a pas augmenté ». Il a même diminué au Royaume-Uni où l’étude citée conclut ainsi : « si les exigences plus strictes en matière de recherche d’emploi ont réussi à faire sortir des personnes de l’indemnisation du chômage, elles n’ont pas réussi à les faire accéder à des emplois stables ou de meilleure qualité ».
Le cas Suisse
Mais c’est sans doute l’étude sur la Suisse qui est la plus intéressante. Les auteurs trouvent bien que « conformément à la théorie de la recherche d’emploi, les avertissements et les baisses d’allocation favorisent la sortie du chômage ». Mais ce résultat ne leur suffit pas et leur exigence va plus loin. Certes, disent-ils, « l’activation des chômeurs grâce à l’introduction d’un système de sanctions peut être un moyen relativement peu coûteux et efficace pour ramener les chômeurs au travail plus rapidement ». Cependant « l’évaluation d’un tel système devrait tenir compte non seulement des effets directs mais aussi d’effets indirects en termes de stabilité de l’emploi et de revenus ». Et c’est à ce propos qu’ils mettent en lumière une série d’effets pervers : « Les demandeurs d’emploi exposés à une sanction ont tendance à réduire leurs exigences quant à la qualité de l’emploi » et sont amenés à accepter des emplois de moindre qualité « en termes de durée d’emploi et de salaires »
De ces trois études, Ioana Marinescu tire cette leçon : « quand le taux de chômage est élevé, la compétition est féroce, et pousser certains chômeurs à prendre un emploi en dessous de leurs compétences pour aller plus vite ne fait qu’ôter ces emplois à d’autres chômeurs moins qualifiés, dans un triste jeu de chaises musicales ».
Et elle conclut par cette recommandation : « il serait donc utile de mener d’abord une expérience pilote en France afin de quantifier les effets pervers potentiels liés au renforcement des sanctions proposé par Emmanuel Macron ». Mais ce conseil ne pourra être suivi, parce que le contrôle accru des chômeurs est une pièce maîtresse des « réformes structurelles » qui devraient permettre une économie de 10 milliards d’euros sur l’indemnisation du chômage.
Assurance ou assistance ?
L’assurance chômage sera universelle mais elle devra être placée sous « gouvernance publique » grâce à un changement profond du financement de l’Unedic : les 2,4 % de cotisations chômage des salariés seraient compensés par la hausse de 1,7 point de la CSG. Macron justifie sa réforme par la dette cumulée de l’assurance chômage, alors qu’en fait l’assurance chômage est excédentaire.
Il s’agit donc d’une fiscalisation partielle, puisqu’elle ne concerne pas les cotisations employeurs (au moins dans un premier temps). Mais cela suffit à introduire un coin dans le paritarisme : une fois les cotisations salariés supprimées, on ne voit pas en effet à quel titre les représentants des salariés pourraient avoir leur mot à dire. La réforme conduirait alors à un tripartisme bâtard et non soutenable puisque ce serait en fin de compte le gouvernement qui déciderait des ressources financières du régime et donc des conditions d’indemnisation des chômeurs. Elle risque même de se heurter au Conseil constitutionnel qui, comme le rappelle Henri Sterdyniak, avait retoqué un projet similaire parce qu’il « aurait brisé la logique contributive du système. »
Mais c’est précisément l’enjeu de cette réforme : faire passer d’une logique assurantielle à une logique d’assistance. Cet objectif est très clairement revendiqué par Macron, qui veut sortir d’un « système assurantiel où chacun se dit : "j’ai cotisé, j’ai droit à être indemnisé" » (Les Échos, 23 février 2017). La porte est alors ouverte à une indemnisation du chômage déconnectée des cotisations et indexée sur les seules contraintes budgétaires.
La réforme de l’assurance chômage ne sera pas un long fleuve tranquille.