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Comment, au nom du climat, la France cherche à imposer ses intérêts et ses entreprises à l’Afrique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://multinationales.org/Comment-au-nom-du-climat-la-France-cherche-a-imposer-ses-interets-et-ses
L’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, lancée lors de la COP21, devait être un projet exemplaire porté par les Africains pour les Africains, permettant d’assurer l’accès de tous à l’électricité sur le continent tout en préservant le climat. Mais la Commission européenne et la France cherchent aujourd’hui à s’approprier l’Initiative pour lui faire financer des projets énergétiques douteux, qui répondent davantage aux intérêts de leurs entreprises qu’aux besoins des populations. Responsables africains et société civile dénoncent un passage en force.
Ce devait être un projet pour les Africains et par les Africains. L’« Initiative africaine pour les énergies renouvelables » (IAER) fait partie de ces quelques belles idées annoncées au moment de la COP21 à Paris. Ce programme devait être doté de 10 milliards d’euros, apportés par les pays du Nord, mais mis en œuvre par les Africains eux-mêmes, en partant des besoins des gens sur le terrain, plutôt que des souhaits des grandes entreprises. L’objectif est de créer au moins 10 milliards de watts de capacité de production d’électricité renouvelable d’ici 2020, et d’assurer l’accès à l’électricité de tous les Africains d’ici 2030. Le tout en minimisant les impacts sociaux et environnementaux des projets financés, en respectant les droits des populations et en évitant les phénomènes d’accaparement de terres.
C’était sans compter sur l’Europe et en particulier sur la France. Suite à la dernière réunion de l’Initiative, qui s’est tenue à Conakry en mars dernier, son concepteur et haut responsable, le Malien Youba Sokona, a démissionné avec fracas, accusant les Européens et tout particulièrement Ségolène Royal, ministre française de l’Environnement sortante, d’avoir imposé aux Africains « leur » liste de projets à financer. Des projets qui ne sont ni nouveaux, ni vraiment « verts », et souvent portés par des multinationales ou des hommes d’affaires européens.
Passage en force
Selon le compte-rendu du site Climate Home (traduit en français ici), lors de la réunion de Conakry, de nombreux responsables africains ont émis des réserves sur les projets proposés et sur une décision prématurée qui ne respectait les principes fondateurs de l’IAER ni sur la forme ni sur le fond. Les Européens ont pu compter sur le soutien des présidents tchadien et guinéen Idriss Déby et Alpha Condé, deux proches alliés de Paris, pour passer en force. Immédiatement après la réunion, la Commission européenne s’est empressée de proclamer sur son site que l’Initiative avait effectivement validé 19 projets, pour un montant de 4,8 milliards d’euros.
Les projets approuvés incluent plusieurs infrastructures de réseaux, qui serviront aussi bien aux énergies « sales » qu’aux énergies renouvelables. La liste inclut également un série de projets de centrales solaires ou de barrages. Une centrale solaire au Tchad, par exemple, est portée par des entreprises basées à Londres et à Paris (la Compagnie des énergies nouvelles ou CDEN) qui semblent s’être constituées exclusivement pour profiter des nouvelles opportunités « vertes » en Afrique. La liste mêle projets à petite échelle et initiatives de très grande envergure, sans que la répartition des fonds alloués soit précisée. Autant d’ouvrages qui risquent de profiter directement (en tant que constructeurs ou concessionnaires) ou indirectement (en tant que financeurs, consultants, fournisseurs ou clients) aux grandes entreprises européennes ou autres.
Le climat, une opportunité économique pour la France ?
La COP21 avait été explicitement vue comme le gouvernement français comme une occasion de promouvoir et vendre l’expertise de ses champions nationaux, à commencer par Engie et EDF, dans le domaine des énergies « vertes ». Ce dont témoignait le choix des sponsors officiels de l’événement (lire notre enquête à l’époque) ou encore l’organisation du salon « Solutions COP21 » (lire ici). Cette ligne politique s’est maintenue une fois la Conférence de Paris passée, et l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables est rapidement apparue comme une cible prioritaire.
En septembre 2016, Ségolène Royal a signé un rapport « proposant », en tant que présidente officielle de la COP, une liste de 240 projets à l’IAER. Un véritable fourre-tout incluant de nombreux mégaprojets très controversés, à l’image du grand barrage Inga 3 en République démocratique du Congo, dans lequel sont impliqués des cabinets d’ingénieurs français. Les deux seuls projets concrets proposés pour le Cameroun sont le barrage de Nachtingal, un projet d’EDF, ainsi qu’un kit solaire « pay as you go » également proposé... par EDF. Inutile de dire que les considérations sociales et environnementales – et plus largement démocratiques – qui présidaient à la conception initiale de l’IAER sont superbement ignorées. Le rapport, tout à la gloire de Ségolène Royal, comprend plusieurs dizaines de photos d’elle en train de rencontrer des dirigeants africains.
L’Afrique au centre des convoitises
Suite à la réunion de Conakry et à la démission de Youba Sokona, un collectif d’organisations africaines a publié une déclaration dénonçant vigoureusement le « détournement » de l’Initiative africaine par la France et l’Europe. « Nous en appelons à tous les États, leaders et peuples africains pour qu’ils exigent une énergie renouvelable véritablement centrée sur les besoins et les droits des gens en Afrique, sur la base du modèle formidable esquissé par l’IAER et validé par tous les pays africains », proclament ces organisations. Elles accusent également les Européens de mentir sur leur niveau réel d’investissement dans l’IAER, en affichant le chiffre de 4,8 milliards alors que la somme réellement apportée serait au mieux de 300 millions, dans des conditions imprécises.
Ces tensions autour de l’IAER ne sont que l’une des facettes d’une lutte d’influence plus large. L’Afrique apparaît en effet comme un terrain de choix pour les multinationales souhaitant développer de grandes infrastructures très profitables, d’autant plus qu’aux financements internationaux dédiés au « développement » s’ajoute désormais la manne de la finance verte. Le groupe Engie, par exemple, s’est positionné sur le marché africain à travers son partenariat avec la famille royale marocaine, via la holding SNI et sa filiale Nareva. Dans le cadre de la COP22, les deux partenaires ont signé un accord stratégique visant à développer de nouveaux projets énergétiques au Maroc et dans le reste du continent africain (Égypte, Côte d’Ivoire, Sénégal, Ghana et Cameroun).
Dans le cas de la France, cette attirance pour les marchés des infrastructures et de l’énergie verte en Afrique se double de relents de paternalisme et de néocolonialisme. L’ancien ministre Jean-Louis Borloo avait ainsi lancé, peu avant la COP21, une fondation pour « électrifier l’Afrique en dix ans », avec le soutien de l’Élysée. Parmi les partenaires de l’initiative, on retrouvait déjà toutes les grandes entreprises du CAC40, à commencer par EDF, Engie et Total. Les représentants officiels africains ont choisi de privilégier plutôt la création de l’Initiative africaine sur les énergies renouvelables, précisément parce que celle-ci était directement pilotée par les Africains. Jean-Louis Borloo a fini par jeter l’éponge, tout en revendiquant la « paternité » de l’IAER. Mais la bataille des Africains contre les convoitises de la France et de l’Europe est loin d’être finie.
Olivier Petitjean